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Le cœur brisé de Lillka
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Le cœur brisé de Lillka
Lillka Cuttaree, une femme brillante, la cinquantaine affirmée, est de ces figures féminines qui auraient pu redessiner l’horizon politique mauricien sans jouer sur son patronyme ou sans adopter une posture sectaire de circonstance. Militante engagée, elle possède cette allure pressée mais posée, un calme presque inébranlable qui semble défier le tumulte du monde. On la devine déjà candidate, prête à prendre le relais de son père, l’ancien ministre Jayen Cuttaree. Mais elle aura vite compris que les portes du MMM lui étaient fermées malgré l’apport de son père, des décennies durant ! Lillka refuse cette destinée préétablie.
Contrairement à d’autres progénitures, elle ne cherche pas à hériter du trône politique de son père, ni à marcher dans ses pas, comme d’autres. Ce qu’elle désire, c’est servir, améliorer la vie de ses concitoyens à travers l’éducation et l’autonomisation, deux mots qui résonnent comme une promesse.
Cependant, dans ce microcosme qu’est la politique mauricienne, dominé par des hommes pour qui le pouvoir se transmet comme une affaire de famille, Lillka fait un peu figure d’exception. Et cette exception dérange forcément, surtout ceux qui se comportent comme des petits dinosaures et veulent prêcher le statu-quo pour leurs intérêts claniques. Certains politiciens, en quête de «ticket-sésame» – ce précieux laissez-passer qui ouvre les portes du pouvoir – la surveillent du coin de l’œil, jaloux de son indépendance et de son refus de jouer selon leurs règles.
Des offres pour rejoindre différents partis se multiplient, mais Lillka reste ferme. Elle n’a pas encore envie d’entrer dans cette arène où les hommes semblent s’adonner à un jeu qui la répugne, un jeu où il faut marcher sur des œufs tout en écrasant les autres pour progresser. Elle refuse de participer à cette mascarade où les hommes s’autoproclament maîtres des décisions, dictateurs dans leur propre parti, décidant de tout et de rien sans même accorder aux femmes la place qui leur est due. Sauf s’ils partagent leur patronyme, ou s’ils sont ou ont épousé leurs rejetons.
Lillka, à bien des égards, pourrait être une figure tirée des pages de Toni Morrison ou de Maya Angelou, ces voix puissantes qui décrivent, avec une acuité désarmante, l’invisible chaîne qui retient les femmes dans des rôles subalternes. Comme les héroïnes de Morrison, Lillka porte le fardeau de l’héritage, mais aussi celui de son genre. Dans une société où la moitié de la population est féminine, le nombre de femmes en politique reste désespérément faible. Et celles qui osent franchir le pas, comme Lillka, se retrouvent sacrifiées sur l’autel des alliances politiques et des ambitions masculines.
Prenons l’exemple d’Ivan Collendavelloo, qu’on croyait fatigué par la maladie mais qui veut encore rempiler. Ce dernier refuse à Lillka le fameux ticket pour la circonscription no 19, là même où son père avait forgé sa carrière. Et vite, Ivan cède ce précieux ticket à un de ses hommes de main, Seety Naidu. Peu importe les qualifications, peu importe le mérite. Ce que Lillka ne comprend pas encore – mais qu’elle devine – c’est que dans ce monde, les hommes comme Ivan préfèrent garder le contrôle, réticents à céder ne serait-ce qu’un centimètre de pouvoir aux femmes. Comme l’aurait écrit Ann Petry dans La Rue, ce pouvoir masculin est une rue sans fin, un chemin que les femmes comme Lillka ne peuvent emprunter qu’à leurs risques et périls.
Découragée mais jamais vaincue, Lillka se tourne vers le no 20, où elle a vécu, espérant cette fois obtenir la bénédiction d’Alan Ganoo, autre vétéran de la politique mauricienne et ancien compagnon de route de son père. Cette fois, elle croit y parvenir. Ganoo, plus conciliant que Collendavelloo ou Bérenger, lui accorde le ticket sous les couleurs de son parti, le MPM. Tout semble se mettre en place, la hiérarchie de l’alliance approuve. Lillka descend sur le terrain, prépare minutieusement son entrée en politique, et commence à inspirer d’autres femmes, à leur montrer qu’elles aussi peuvent prétendre à des postes de pouvoir, qu’elles ne sont pas vouées à rester dans l’ombre de ces hommes qui les dominent.
Mais voilà que la machine politique, avec ses rouages impitoyables, se met en branle. À la dernière minute, Lillka est évincée. Un coup de téléphone, un murmure en coulisses, et tout bascule. Un autre homme, comme par hasard de la même communauté que Lillka, Miven Tirvengadum, obtient le ticket du no 20, ce «ticket-sésame» qui est arraché à Lillka. Ganoo perd une deuxième fois face au PMSD de XLD et ses dix tickets, sans même un mot d’explication. On n’a pas jugé utile de prévenir Lillka qu’une décision avait déjà été prise pour la remplacer. Une fois encore, une femme est sacrifiée, effacée des discussions, reléguée au second plan. Sans que personne ne s’en émeuve.
Lillka, fidèle à elle-même, reste silencieuse, préférant attendre avant de dévoiler toute l’amertume qu’elle ressent. Mais derrière son silence, une vérité plus profonde émerge : la politique reste un monde d’hommes, un monde où les femmes ne sont tolérées que tant qu’elles n’ébranlent pas l’ordre établi. Et cet ordre par des hommes accrochés à leurs privilèges ne fait aucune place aux Lillka de ce monde.
Comme le dirait Maya Angelou, «Vous pouvez m’enchaîner, me torturer, mais vous ne pourrez jamais m’empêcher de me lever.» Lillka, malgré les embûches, se relèvera forcément. Mais pour combien de temps encore devrons-nous attendre avant que la politique mauricienne cesse de sacrifier ses femmes capables, formées et méritantes, sur l’autel des ambitions masculines ou sur celui des alliances qui sont tout sauf naturelles...
PS: Après avoir reçu la confirmation officielle, elle a consenti à nous accorder un entretien qui était publié le lundi 7 octobre en tant que future candidate au no 20.
Question de l’express : Avec le système politique actuel, qui met l’accent sur les patronymes connus et les dynasties, pourquoi s’engage-t-on en politique?
Lillka Cuttaree : S’engager en politique demande du courage et j’aime rappeler le motto de la Harvard Kennedy School dont je suis une alumni : «Do not ask what the country can do for you but what you can do for the country.» C’était le discours inaugural du président Kennedy en 1961.
L’engagement politique est une lourde responsabilité. Je souhaite que ce choix inspire d’autres femmes, de tous bords politiques, à se lancer dans l’arène politique et je salue celles qui se sont déjà engagées. Les femmes parlementaires amènent un recadrage vers des politiques publiques plus inclusives, créent de l’harmonie sociale.
Il est important d’aligner ces compétences diversifiées pour créer de la vraie valeur. La notion de servir son pays doit rester un acte noble et respecté. Je rentre dans cette course pour amener de l’inspiration, de l’impact et de la cohésion. Ne pas essayer n’est plus une option.
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