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Vies égarées
Le combat des jeunes sans-abri
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Vies égarées
Le combat des jeunes sans-abri
Umair Milatre et son équipe viennent en aide à ceux qui sont dans le besoin.
Pendant la journée, le lieu est peu fréquenté. Mais après 18 heures, en hiver, lorsque la nuit arrive plus tôt et que l’on n’entend plus le bruit émanant des autobus ou des passants, il se transforme en un refuge idéal pour quelque 75 personnes. Avec l’arrivée de la saison froide, les sans-abri sont livrés à eux-mêmes. Et la foire Decaen, sise près de l’ancien poste de police de Trou-Fanfaron, offre une zone de confort, sommaire certes, à beaucoup de «prisonniers» du sort, qui peinent à échapper à ce triste quotidien.
Parmi eux, Damien, 25 ans, qui se réfugie à la foire Decaen depuis quatre ans. Originaire du sud de l’île, il a été victime du fléau de la drogue durant son adolescence. Avec le temps, il s’est retrouvé sans soutien familial ; il avait 21 ans quand il a dû quitter la maison. «Depuis, je suis ici. J’ai eu pas mal de difficultés à trouver un travail décent ou à faire autre chose parce que je n’ai pas de carte d’identité (...) Je travaille sur des chantiers pour Rs 700 par jour, quand il y a du boulot», confie-t-il. Espère-t-il trouver un meilleur espace de vie, dans un shelter par exemple ? Non, il préfère rester ici jusqu’à ce que le ciel s’éclaircisse, qu’il puisse trouver un autre boulot fixe.
Pravesh, également âgé d’une vingtaine d’années et toxicomane, ne dort pas à un seul endroit. Il passe la nuit soit à la foire Decaen, soit sur le parvis de la Cathédrale. Avec l’arrivée de l’hiver, les choses sont plus dures. Trouver des repas et vêtements chauds, des couvertures, devient une nécessité. Confrontés à la toxicomanie et sans garantie de revenus, les jeunes comme Damien et Pravesh se tournent vers l’aide bénévole d’Umair Milatre, jeune habitant de Plaine-Verte, qui est engagé dans le social.
Entre 13 heures et 17 heures, sa maison accueille environ 60 personnes chaque jour. Sur place, des sachets de farine, des dattes, des biscuits, des bouteilles de jus et d’eau, des produits d’hygiène, le tout stocké et prêt à être distribué aux plus démunis. «Je récupère chez lui des repas chauds tous les jours depuis que j’ai trouvé refuge à la foire Decaen. En hiver, je reçois aussi des vêtements, des chaussettes, des chaussures et des couvertures», explique Damien. «Les autres me volent mon molleton et mes draps. Je prends des cartons que j’utilise comme matelas et couverture dans ce cas.» Parmi les personnes qui viennent chercher des produits alimentaires offerts gratuitement, on aperçoit également des dames âgées et veuves.
«Cycle complexe»
Pour Umair Milatre, chef de cuisine de profession et gérant de son propre business, cet engagement envers les plus démunis de la société se poursuit quotidiennement tout au long de l’année, avec une petite équipe qu’il a mise en place après que quelques jeunes du quartier se sont rassemblés pour soutenir son engagement. L’inspiration, confie-t-il, lui vient de son grand-père, qui était également engagé dans le social. Les produits qu’il distribue proviennent principalement de la fondation Al Ihsaan, ainsi que du soutien de l’ancien président, Cassam Uteem, et du député du parti travailliste, Shakeel Mohamed.
«La plupart des jeunes sans-abri qui trouvent refuge à la foire Decaen se retrouvent dans cette situation parce qu’ils ont sombré dans la toxicomanie ou l’alcoolisme lorsqu’ils étaient adolescents. L’addiction est si problématique que les proches ne peuvent pas vivre avec eux sous le même toit. Les parents ne peuvent pas poser même une roupie sur la table, ils finissent par la prendre pour acheter leur drogue. Il arrive un moment où, face à la complexité du problème et à l’agressivité des jeunes, les familles n’ont d’autre choix que de les rejeter.» Selon son constat, «le nombre de sans-abri augmente, de nombreux jeunes couples tombent même dans la drogue et leurs enfants sont soit livrés à nous et à un autre tuteur légal, soit se retrouvent dans des refuges. Actuellement, nous offrons les produits nécessaires pour aider six bébés dont les parents sont soit décédés d’une overdose, soit en train de purger une peine de prison».
Que dire de la question pertinente à laquelle les sans-abri sont souvent confrontées, à savoir: pourquoi ne travaillent-ils pas ou n’économisent-ils pas de l’argent comme le reste d’entre nous afin de sortir de cette situation ?’ «Ce n’est pas aussi facile. Ces personnes triment plus que nous. Ils travaillent autant qu’ils le peuvent, chargent et déchargent des camions, sont des manœuvres maçons, portent des sacs de légumes dans les marchés. Ils gagnent facilement plus de 600 voire 1 200 roupies par jour. La différence, c’est que les personnes qui ne sont pas victimes de toxicomanie économiseront l’argent pour se nourrir ou pour prévoir d’autres dépenses en priorité. Mais ces personnes seront obligées de dépenser la totalité de l’argent gagné par jour pour obtenir leur dose de drogue (...) Nous avons également constaté que quelques personnes ont fait des efforts pour trouver une place dans un abri de nuit, mais elles ne peuvent pas s’adapter à un ensemble de règles ou être privées de leur drogue, donc elles reviennent vivre dans les rues. Il s’agit d’un cycle complexe qui amène souvent même les institutions ou les personnes qui veulent aider à penser qu’il n’y a pas vraiment de solution pour y mettre fin», confie Umair Milatre.
Les enfants pas épargnés
À l’intérieur de sa maison, le salon ressemble à un entrepôt, avec des paquets de nourriture, des coussins et du matériel éducatif éparpillés ici et là. Mais il émane de l’endroit un sentiment paradoxal de résilience et de beauté. Ils sont une quinzaine d’enfants âgés de 3 à 12 ans, regroupés pour faire des dessins ou mémoriser des chants spirituels en regardant des vidéos éducatives à la télévision. La plupart d’entre eux fréquentent les écoles avoisinantes. Après les heures de classe, ils se réfugient dans le confort du domicile d’Umair Milatre.
«Nous avons commencé par aider un enfant en lui donnant de la nourriture. Nous pensions faire ce qu’il fallait en aidant, jusqu’à ce que nous réalisions que nous devions changer d’approche», explique Umair Milatre. Farhan, 12 ans, témoigne. «Si je ramène cette nourriture à la maison, je ne pourrai pas la manger. Mon père la volera, il ira la vendre. Il obtiendra de l’argent pour acheter sa drogue», dit-il, faisant preuve d’une étrange innocence d’enfant, mais aussi d’une grande maturité. On apprend que les parents de Farhan sont tous deux drogués. Avec le temps, leur dépendance s’est aggravée. Farhan a également une petite sœur qui a été prise en charge par la Child Development Unit. «Pour ces enfants, la maison n’est pas un lieu de tendresse mais de traumatisme. Leurs parents sont soit séparés, soit victimes de toxicomanie, soit absents de leur vie. Parmi eux, il y a aussi une fille dont le père est décédé d’une overdose de drogue. En conséquence, la mère a été forcée à se prostituer pour gagner sa vie (...) Notre approche maintenant est que nous nous assurons que les enfants sont inscrits dans une école, mais après les heures de classe, ils passent du temps ici et apprennent, jouent, dînent, se procurent des biens de première nécessité tels que des vêtements chauds. Ils participent également à la préparation des repas et ne vont dormir que chez leur tuteur légal, souvent des tantes ou des grands-parents. Des habitants de la localité, médecins de profession, leur prodiguent également des soins, et des enseignants assurent le suivi de leurs devoirs», confie l’équipe.
Parmi les autres choses qui réchauffent les enfants face au froid de l’hiver: jouer dans une cabane qu’ils ont aidé à construire dans les locaux avec des tôles pour donner libre cours à leur créativité...
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