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Le défi de Charles Baissac: élever le folklore au rang de patrimoine

25 septembre 2023, 20:06

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Le défi de Charles Baissac: élever le folklore au rang de patrimoine

Pour Arnaud Carpooran, Charles Baissac est un grand Mauricien.

Célébrer la mémoire d’un grand mauricien : Charles Baissac. C’était le 192e anniversaire de sa naissance, le 13 septembre. Ce professeur de français du Collège Royal de Port-Louis s’est passionné, à la fin du 19e siècle, pour les contes, les sirandanes et les chansons en créole. En les publiant en 1888, il les a sauvés de l’oubli. C’est ce que marque la réédition de «Folklor Lil Moris», par la Creole Speaking Union, l’année où se tiennent les premiers examens de «kreol morisien» au «National School Certificate».

Célébrer la mémoire d’un grand mauricien : Charles Baissac. C’était le 192e anniversaire de sa naissance, le 13 septembre. Ce professeur de français du Collège Royal de Port-Louis s’est passionné, à la fin du 19e siècle, pour les contes, les sirandanes et les chansons en créole. En les publiant en 1888, il les a sauvés de l’oubli. C’est ce que marque la réédition de «Folklor Lil Moris», par la Creole Speaking Union, l’année où se tiennent les premiers examens de «kreol morisien» au «National School Certificate».

Marie France.jpg Marie France Favory a captivé l’auditoire le jour du lancement avec une «zistwar Tizan». Credit photo Mediacom Studio

«Enn gran terib.» Un érudit en langue française. «C’est le Charles Baissac que l’île Maurice de la fin du 19e siècle connaît». Ainsi démarrent les présentations de l’auteur de Folklor Lil Moris par Arnaud Carpooran, président de la Creole Speaking Union (CSU). C’est une version rééditée et réadaptée de l’ouvrage qui a été lancée le 13 septembre dernier par le CSU.

Flashback. En 1880, huit ans avant la parution de Le Folklore de l’Ile Maurice, Charles Baissac publie Études sur le patois créole mauricien, la «première description scientifique d’une langue créole qui est encore utilisée aujourd’hui», explique Arnaud Carpooran. Charles Baissac est professeur de rhétorique et de français au Collège Royal de PortLouis. Fin 1880, il en devient le recteur par intérim. Chroniqueur de presse, poète, chanteur, «par laswit li pou nome kouma examinater gouvernman, e dimounn pou kontigne konsilte li antan ki enn otorite lor tou bann kestion ki konsern Franse dan Moris», écrit le président du CSU en avant-propos de l’ouvrage. Dans son temps libre, la sommité en français «écoute les gens parler le créole». Ce sont d’anciens esclavés et leurs descendants, alors désignés comme les «Noirs». «A cette époque, Charles Baissac lui-même se définit comme un créole», ajoute Arnaud Carpooran.

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Non seulement Charles Baissac écoute, mais il collecte un patrimoine, qui fin 19ᵉ siècle, est en voie de disparition. «Il précise qu’il n’est pas l’auteur de ces histoires, qu’elles sont issues de la tradition orale». Résultat : une compilation de 28 contes, 170 sirandanes et une cinquantaine de chansons. «Charles Baissac dit que ce travail n’est qu’un inventaire post-mortem d’un trésor linguistique.» Et que c’est 50 ans auparavant que cet inventaire aurait dû avoir été fait, quand ce patrimoine était encore vivant.

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La «littérature noire à l’île Maurice»

Le titre original de l’œuvre était «Littérature noire à l’île Maurice». Comme l’atteste la correspondance entre Charles Baissac et Hugo Schuchardt, linguiste autrichien. L’auteur lui confie ses difficultés pour trouver un éditeur en France. À la publication en 1888, l’ouvrage a pour titre «Folklore de l’île Maurice». Un choix de l’éditeur qui a publié une collection de littérature populaire du monde, dans laquelle il classe l’œuvre de Charles Baissac. En avant-propos, Arnaud Carpooran explique : «Li evidan ki kan nou pe dir ‘literatir nwar’ nou pe fer referans explisitman ek bann dimounn ki, dan kondision eskalavz, finn donn form sa parti nou literatir Moris, ki tranpe dan bann tradision oral e ki sorti sirtou Lafrik ek Madagascar me ousi an parti, Lenn.» Cela, malgré une apparente contradiction entre ‘littérature’ et un groupe qui «larzman analfabet (…) antouka dan lizie bokou dimounn ‘lettrés’ sa lepok-la, inapt pou kapav ena enn literatir». Des considérations qui «donn nou enn lide lor pri sosial ki Charles Baissac ti devet finn peye pou sa». La version rééditée et réadaptée rend hommage au titre souhaité par Charles Baissac.

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«Montagne Signaux signale», «ayo Lisa», monuments du patrimoine oral

Ce recueil de patrimoine oral est publié en créole contemporain, dans le créole employé par Charles Baissac et en français. La section conte s’ouvre avec «Zistwar liev ek torti dan bor basin lerwa». On y croise l’incontournable Tizan. Les sirandanes sont en deuxième partie. La troisième est consacrée aux chansons, certaines uniquement des fragments. On y retrouve des paroles utilisées dans des ségas comme «Montagne Signaux signale» employé dans «Mo kapitenn» de Michel Legris, Ayo lisa repris par Abaim et Larivyer Tanier.

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Reconnaissance de l’académie Française

Études sur le patois créole mauricien (1888) est publié en France. Charles Baissac se fait alors connaître du cercle des romanistes, qui étudient les langues romanes. L’esclavage ayant été officiellement aboli, «il y a une fascination en Europe pour décrire ces langues nouvelles, fruits de la colonisation et de la traite négrière», explique Arnaud Carpooran. Les travaux de Charles Baissac sur le créole – qui ont eu une mention de l’Académie Française en 1883 – attirent l’attention d’Hugo Schuchardt, membre du cercle des romanistes, qui sera plus tard connu comme le fondateur de la créolistique. Charles Baissac et Hugo Schuchardt entretiennent une correspondance pendant 10 ans, de 1882 jusqu’à 1892, année du décès de Charles Baissac. Une correspondance qui a été rendue publique. C’est elle qui nous renseigne sur la maladie et les tragédies personnelles vécues par l’auteur. Charles Baissac écrit à Hugo Schuchardt qu’il est réconfortant pour lui d’avoir au moins un interlocuteur avec qui partager son travail sur le créole, parce qu’«à Maurice (il) vit dans un isolement intellectuel». Un contexte de «guerre froide sur la question du français et de l’anglais. L’Acte de Capitulation de 1810 dit que les Français conserveront leur langue, lois et coutumes. Pendant 20 ans, le français est la langue administrative. En 1831, l’anglais rentre dans l’administration jusqu’à ce qu’elle devienne la langue des lois en 1840», précise Arnaud Carpooran. À l’époque, les travaux de Charles Baissac sur le créole mauricien «représentent un intérêt nul» pour la population locale. En 1891, Charles Baissac est élu membre de la Société linguistique de Paris, pour ses travaux sur le créole mauricien. Parmi les autres membres figurent Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique générale et Michel Bréal, fondateur de la sémantique.