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Financial Crime Commission
Le DPP perd le monopole dans certains délits ?
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Financial Crime Commission
Le DPP perd le monopole dans certains délits ?
Le projet de loi pour la création de la «Financial Crime Commission» sera présenté à la rentrée parlementaire.
On se souvient de la tentative du gouvernement, en 2016, de remplacer le DPP par une «Prosecution Commission», tentative déjouée par la démission du PMSD. Y aura-t-il une autre démarche dans ce sens avec la création de la «Financial Crime Commission»?
La crainte a été exprimée par Navin Ramgoolam le 15 septembre lors d’une conférence de presse. C’était dans le sillage de la déclaration de Mahen Seeruttun, le 5 août, dans laquelle celui-ci disait souhaiter que l’opposition accorde son soutien au gouvernement au projet de loi pour la création de la Financial Crime Commission (FCC), qui sera présenté à la rentrée parlementaire. Le ministre de la Bonne gouvernance se demandait «si l’opposition sera en ligne avec le gouvernement dans sa lutte contre les fléaux que sont le trafic de drogue, le blanchiment d’argent et la corruption».
Si la mise sur pied de la FCC nécessitait le vote de l’opposition, ce serait peut-être pour obtenir une majorité de trois quarts de votes à l’Assemblée nationale dans le but d’amender la Constitution. À souligner qu’un amendement à la Constitution est normalement effectué quand il s’agit de toucher une ou plusieurs de nos institutions les plus importantes et, par conséquent, à notre démocratie. Il se pourrait donc que la FCC soit dotée de pouvoirs équivalents à ceux du Directeur des poursuites publiques (DPP) en amendant l’article 72 de la Constitution et en y ajoutant la FCC, comme le pensent plusieurs légistes.
Rajen Narsinghen, constitutionnaliste et Senior Lecturer à l’université de Maurice, pense qu’il est tout à fait possible de faire cet amendement mais à condition d’avoir le soutien de l’opposition. Mais il s’empresse de souligner que le DPP ou un futur directeur de la FCC doit satisfaire les conditions sine qua non d’indépendance et de Security of Tenure. «C’est la Judicial and Legal Service Commission qui doit nommer ces directeurs qui ne doivent pas être des nominés politiques.» Rajen Narsinghen pense d’ailleurs que le gouvernement veut piéger l’opposition. Il rappelle que «le professeur Smith a expliqué la logique de garantir l’impartialité et l’indépendance d’un DPP. Est-ce une façon déguisée de réduire les pouvoirs du DPP ?» Tout en précisant que le DPP doit être l’équivalent d’un juge de la Cour suprême.
Un seul Parquet
Pour le Senior Counsel Anil Gayan, l’article 72 de la Constitution peut être amendé techniquement grâce à un vote de trois quarts des membres du Parlement et en ajoutant la FCC à côté du DPP comme une autorité de poursuite pour les délits financiers et de trafic de drogue. «Toutefois, il ne sera pas possible d’avoir deux telles autorités suprêmes de poursuites publiques. En Angleterre, dont nous nous inspirons, il n’existe qu’une seule autorité, le Crown Prosecution Service. La philosophie qui sous-tend la structure de notre Constitution n’admet pas une bicéphalité institutionnelle. Le DPP doit avoir le dernier mot pour toute poursuite. Il a le pouvoir de “discontinue” toute poursuite s’il le considère “undesirable”.»
Mᵉ Parvez Dookhy, qui exerce comme avocat en France, est lui aussi d’avis que le DPP est l’autorité qui détient le monopole des poursuites publiques. «Même si la Constitution ne le dit pas expressément, il est évident, en vertu de l’esprit de la Constitution, que le DPP détient ce monopole. Donc, le DPP ne devra pas partager ses pouvoirs avec une éventuelle FCC.» Parvez Dookhy nous rappelle que même s’il existe en France plusieurs parquets, comme le Parquet national financier, tous ces pôles tombent sous le Parquet national qui est gouverné par le principe de son indivisibilité.
L’avocat ne pense pas, toutefois, que l’appel lancé par Mahen Seeruttun à l’opposition vise à amender la Constitution. «La FCC pourrait être créée par une simple loi. Le gouvernement veut juste mettre l’opposition devant ses responsabilités et répondre favorablement aux attentes d’institutions internationales concernant le combat contre les crimes financiers.»
Mais que vient faire la lutte contre le trafic de drogue, comme l’a rappelé Mahen Seeruttun, parmi les crimes financiers ? Il se pourrait qu’il concerne le volet blanchiment d’argent des trafiquants. Il faut savoir que bien que Mahen Seeruttun ne parle que de la lutte contre le trafic de drogue, le blanchiment d’argent et la corruption, cela suffirait à amener une foule de personnes devant la justice. Et en détention préventive, pendant de longues périodes. Est-ce que le DPP pourra intervenir en cas d’abus de la part de l’ICAC ou de l’Integrity Reporting Services Agency (IRSA) ? Les pouvoirs du DPP ne seront-ils limités qu’aux crimes de droit commun comme le meurtre, vol, viol etc. ? Il faudra attendre le projet de loi pour en savoir plus. Cependant, la déclaration de Seeruttun donne déjà à réfléchir.
On se rappelle des objections soulevées par le commissaire de police après la libération conditionnelle de Bruneau Laurette, du couple Singh, des frères Bissessur (maintenant de Sabapati) et de la contestation constitutionnelle du même commissaire des pouvoirs du DPP. Est-ce que ce sera la FCC qui sera appelée à se prononcer sur la légalité de la détention et sur le maintien ou non de la charge pour certains crimes ? Serait-ce à la FCC de recommander de déférer aux Assises un accusé pour trafic de drogue ? Même si la justice acquitte finalement l’accusé, beaucoup de dégâts lui auront été causés, notamment concernant sa réputation et sa liberté, sans parler du temps et de l’argent dépensés pour sa défense. Et que dire de ses biens qui auront été éventuellement gelés ou saisis ! Commode pour être utilisé contre un opposant ! À noter que l’IRSA tombera sous la future FCC et elle possède presque les mêmes pouvoirs, au moins en théorie, que la Financial Intelligence Unit.
Même si les charges provisoires sont abolies, comme le demandent certains avocats au cas où la FCC est mise sur pied, cette dernière ne pourrait-elle pas imposer des charges formelles que le DPP n’aurait pas, lui, imposées ? Si oui, l’abolition de la charge provisoire n’empêcherait pas des abus. On sera bientôt fixé, lorsque le projet de loi sera présenté à l’Assemblée nationale.
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