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Marc Hein, Senior Counsel et président du conseil d’administration de Juristconsult Chambers
«Le Luxembourg devrait être une source d’inspiration pour Maurice»
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Marc Hein, Senior Counsel et président du conseil d’administration de Juristconsult Chambers
«Le Luxembourg devrait être une source d’inspiration pour Maurice»
Marc Hein, Senior Counsel et président du conseil d’administration de Juristconsult Chambers.
Avec un Produit intérieur brut par habitant situé aux alentours de $ 140 000, le Luxembourg est un des pays les plus riches d’Europe. Au fil du temps, il est devenu la destination de prédilection des gestionnaires de fonds d’investissement. Depuis un certain temps déjà, Maurice s’y intéresse. Pas pour son sucre mais pour les compétences de ses sujets. Marc Hein, président du conseil d’administration de Juristconsult, donne son avis par rapport à la posture que Maurice devrait adopter vis-à-vis de la juridiction luxembourgeoise. Ayant plus d’une quarantaine d’années de pratique à son actif, il est souvent perçu par ses pairs comme un des visionnaires qui ont fait leurs preuves tant dans le monde du droit que dans celui des services financiers.
Depuis quelque temps déjà, on assiste à un fort intérêt du Luxembourg pour les compétences mauriciennes. Faut-il voir dans cette juridiction une menace pour le secteur mauricien des services financiers en particulier ?
Bien au contraire. Rares sont les situations en apparence menaçantes pour une juridiction qui ne cachent pas parallèlement des opportunités. Le Luxembourg est une juridiction régie par le droit civil et commercial de nature française. Cela fonctionne très bien. Le Luxembourg devrait être une source d’inspiration pour nous car notre système juridique local peut accommoder, par exemple, ces fonds d’investissement qui ont une préférence pour ce pays. Depuis pas mal de temps, Maurice voulait augmenter en puissance le niveau des activités de son secteur des services financiers en s’engageant davantage dans la gestion de fonds d’investissement plutôt que se cantonner à la simple administration de ceux-ci.
En effet, Maurice est en présence d’une opportunité dont il aura tort de ne pas exploiter le potentiel. Depuis quelques années, des sociétés du Luxembourg recrutent de plus en plus à Maurice de par le fait que nous avons une main-d’oeuvre bilingue et qualifiée, et il semble que des liens nouveaux aient été tissés entre les deux pays.
Le droit mauricien dispose d’une composante de son Code civil qui est d’inspiration française. Cette caractéristique peut-elle constituer un attrait sur le Luxembourg ?
Maurice est une de ces rares juridictions qui sont devenues des centres financiers internationaux et qui peuvent se vanter de pouvoir utiliser des instruments juridiques d’inspiration française. Depuis 1808, nous avons le Code civil précédemment connu comme le Code Napoléon. Nous sommes une juridiction de droit mixte qui marie le droit civil français au Common Law anglais. Le droit civil français est interprété à partir d’un Code civil, alors que le Common Law anglais est surtout modelé à partir de la jurisprudence (le Case Law anglais) des Tribunaux. Nous pouvons être complémentaires du Luxembourg et être une porte d’entrée pour des sociétés internationales allant vers cette juridiction ou encore une porte de sortie pour les sociétés du Luxembourg qui veulent, disons, investir en Afrique.
La juridiction de Maurice et celle du Luxembourg disposent déjà d’une structure pouvant inciter les sociétés internationales à tirer profit du potentiel de l’axe Maurice/ Luxembourg. Il s’agit de l’existence du Double Taxation Agreement, une convention fiscale dont le principal objectif consiste à permettre aux deux pays d’éviter un double prélèvement sur les revenus. L’absence du modèle de sociétés d’investissement ayant trait aux Sociétés d’Investissement à Capital Variable, la SICAV, dans notre panoplie de produits corporatifs offerts n’est nullement un handicap car la Variable Capital Company existe à Maurice depuis 2019. Ce modèle, qui d’ailleurs, peine à démarrer, a plusieurs caractéristiques de la SICAV française ou luxembourgeoise. Maurice devrait saisir l’opportunité d’essayer de les adopter au profit des opérateurs de fonds d’investissement.
Quelles sont les places financières où une comparaison entre le droit civiliste français relatif aux codes et le droit anglo-saxon, inspiré du «Common Law» anglais, peut être envisagée ?
Nous pensons souvent que le droit anglo-saxon, donc le Common Law, contrôle le monde des affaires au niveau international, de par la puissance des USA et des places financières comme celles de New York, Chicago, Londres, Dubaï, Singapour ou Hong Kong. Cependant, deux tiers des pays de la planète sont des pays dits civilistes et sont régis par un Code civil, un Code de commerce, un Code de procédure civile ou encore un Code pénal. Il en est aussi de l’Amérique Latine et de l’Amérique du Sud, de deux tiers de l’Afrique, d’une majeure partie de l’Europe et, last but not least, de la Chine et de la Russie, qui sont toutes des juridictions de nature civiliste et donc étrangères au Common Law anglais. Nous avons à Maurice la chance d’avoir un droit civil mauricien d’inspiration française. Ce serait dommage si nous décidons de ne pas en tirer profit pour le progrès et l’essor du centre financier, corporatif et administratif. Nous sommes évidemment parfaitement bilingues, en anglais et en français. Ce qui constitue un avantage certain.
C’est une initiative louable de vouloir exploiter tous les moyens susceptibles d’attirer des investisseurs à la juridiction mauricienne, par exemple, les avantages associés au droit mauricien. Quelle garantie pouvant permettre d’avancer comme argument que le droit mauricien est à jour par rapport aux normes internationales ?
La France et plusieurs pays européens ont adopté une réforme du droit des contrats – le nouveau droit des contrats et des obligations – principalement depuis 2016. Il est indispensable que Maurice adopte également cette réforme. Notre droit des contrats date de 1808, bien qu’il soit régulièrement remis à jour par les jugements de la Cour suprême mauricienne, euxmêmes inspirés des nouveaux jugements en France. Nous avons la chance d’avoir à côté de notre île, l’Université de La Réunion et ses professeurs de droit viennent régulièrement donner des cours aux juristes mauriciens. Avec leur aide, nommément celle du Professeur Jean Baptiste Seube, très connu du monde juridique mauricien, nous pouvons rapidement envisager la mise en place de ce projet de réforme qui est devenu une nécessité.
La Law Reform Commission mauricienne a, de plus, son rôle à jouer ainsi que le bureau de l’Attorney General. Le droit des contrats est celui qui régit les échanges financiers et commerciaux et il doit être à jour pour notre bénéfice non seulement au niveau national, mais aussi au niveau international. Nous serions probablement le premier pays africain à adopter ces réformes et cela ne peut que nous aider dans cette quête d’une réputation d’excellence pour le centre financier, corporatif et administratif du pays.
Serait-il une bonne stratégie de considérer comme un pari gagnant d’avance l’exploitation éventuelle de la connaissance du droit civil codifié par des Mauriciens comme un atout pour la juridiction ?
Les missions menées par l’Economic Development Board ou par des entreprises du privé au niveau international vantent les atouts de Maurice comme étant principalement un beau pays éduqué, avec une démocratie vivante, un système respectueux du droit et une main-d’oeuvre qualifiée. Il est temps de vanter à fond notre droit mixte ; ce droit mauricien qui nous permet de gérer un droit d’inspiration civiliste français tout en cohabitant avec le Common Law anglais. Cet atout n’est pas seulement adressé au monde francophone, mais aussi plus largement à d’autres États civilistes en Europe. Il ne s’agit pas seulement de l’Espagne, du Portugal ou de l’Italie, tous d’inspiration latine et grandement influencés par les Codes napoléoniens, mais aussi de l’Allemagne, des pays nordiques et des pays de l’Europe de l’Est. En Afrique, nous nous adressons alors non seulement aux États francophones mais aussi aux États lusophones comme le Mozambique et l’Angola, influencés par le droit portugais. Puis à d’autres pays à l’instar de l’Égypte, de l’Éthiopie ou de la Libye, pays civilistes influencés par le droit italien.
Ce n’est pas parce que la Fédération de Russie n’est pas bien vue par l’Occident à cause de la guerre qu’elle a unilatéralement déclenchée contre l’Ukraine, qu’il faut ignorer son importance au niveau du secteur mondial des services financiers. En réaction à la posture occidentale, la Fédération a récemment suspendu ses traités de non double imposition avec plusieurs pays occidentaux parmi lesquels le Luxembourg. Cela n’a pas été le cas en ce qui concerne Maurice. Quelle stratégie la juridiction mauricienne devrait-elle envisager dans une situation pour le moins truffée d’ambiguïtés ?
Effectivement, cela peut être une chance pour Maurice. Soyons clairs, légalement Maurice n’a pas envisagé de prise de sanctions contre la Russie. Bien de personnes à Maurice ne le réalisent pas suffisamment. Les banques mauriciennes ont subi des pressions de la part des USA et des Européens pour ne pas effectuer des transactions avec les Russes. Cependant, elles peuvent le faire si elles le veulent. Ainsi, Dubaï, pourtant allié fidèle de l’Occident, s’est immédiatement imposé pour accueillir l’argent russe et il le fait toujours. L’argent russe continue de circuler parmi tous ces satellites offshores britanniques comme les British Virgin Islands, les Cayman Islands ou les Bermudes, puis encore à Monaco ou à Singapour. Est-ce de l’hypocrisie ? Je n’hésiterai pas à dire oui !
L’argent russe circule en Europe, en Asie et en Afrique Nous devons, certes, être prudents, mais certainement, cette posture n’engage que moi, ne pas fermer la porte aux investissements russes, ni à leurs touristes. Notons qu’au niveau touristique, Aeroflot dessert toujours notre fidèle amie… les Seychelles.
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