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Le mensonge de la désinflation

22 novembre 2023, 09:07

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C’est Mark Twain qui attribua cette phrase au Premier ministre Benjamin Disraeli : «Lies, damned lies, and statistics.» Les statistiques mentent parce que les données du monde physique n’ont pas de signification sans la dimension de valeur. La valeur de n’importe quel produit n’est pas reflétée dans les statistiques, car elle est subjective, étant la satisfaction personnelle de celui qui l’utilise. Ainsi, la science économique ne relève pas de la statistique, qui ignore la réalité de l’économie et des inégalités, mais elle porte sur l’action humaine.

Nous avons pourtant besoin de bonnes statistiques. Dans un discours prononcé le 14 décembre 2006, Rama Sithanen, alors ministre des Finances, postulait que «good statistical information provides a basis for good policies and decision-making», que «the private sector needs credible and transparent statistical information as a basis for assessing business opportunities, risks and prospects», et que «the importance of statistical information to society is such that we must ensure that it is impartial, transparent and credible and that the population has faith in it».

C’est là le hic. Les statistiques officielles ne sont d’aucune utilité si elles ne sont pas fiables et dignes de foi. Dans son dernier rapport sur Maurice, publié en juillet 2022, le Fonds monétaire international écrit que «it is important to safeguard statistical independence of Statistics Mauritius in its estimations of economic developments and outlook». Or, ce n’est pas avec un directeur à titre intérimaire que l’institut des statistiques peut exercer son indépendance vis-à-vis de son ministère de tutelle.

Reste que l’enjeu n’est pas les statistiques, mais c’est de savoir si la production économique rend les consommateurs mieux lotis. On prétend que l’économie mauricienne est «résiliente» parce qu’une statistique, en l’occurrence le produit intérieur brut (PIB), pointe dans cette direction. Ce qui compte cependant, ce n’est pas que «plus» a été produit, mais que la production nationale (l’offre) s’aligne sur ce que veulent les consommateurs. Sinon, elle n’est pas réellement valable. Ce qui semble être le cas, les Mauriciens étant davantage préoccupés par l’alimentation que par les infrastructures.

C’est pourquoi l’inflation est le grand problème de la population. Officiellement, et l’inflation en moyenne annuelle et l’inflation sur un an sont en recul, à 8,4 % et 4,6 % respectivement en octobre. Le pays n’est pas en déflation (baisse générale des prix), néanmoins, peut-on affirmer qu’il est dans une situation de désinflation (hausse de plus en plus faible des prix) ?

Il est encore trop tôt de le penser, car on ne saurait évaluer l’évolution des prix sur une période de quelques mois seulement. D’après les calculs d’Aon Investment Consulting, le taux d’inflation annualisé des trois dernières années s’élève à 7,4 %, un taux bien nuisible à l’économie. Au demeurant, si le gouvernement donnait une compensation salariale supérieure au taux d’inflation officiel, comme il a pris la mauvaise habitude de le faire depuis quelques années, ce serait admettre que l’inflation est en réalité plus forte que ce que nous disent les statistiques officielles. Qui croira à la désinflation ? À quoi sert de calculer un taux d’inflation ?

Une telle compensation pénalisera évidemment les entreprises, mais c’est un autre débat. Ce qu’il faut faire ressortir, c’est que les statistiques ne traduisent pas la réalité inflationniste. L’indice des prix à la consommation (CPI) n’est qu’une construction statistique, qui est forcément arbitraire.

La pire ennemie du gouvernement

S’il faut donner un sens au CPI, il convient de distinguer niveau et variation. Une baisse de l’inflation ne signifie pas que les prix ont diminué, mais qu’ils ont augmenté moins fortement. Les hausses antérieures des prix n’ont pas disparu : à 131,5 en octobre 2023, le CPI a certes régressé de 0,1 % sur un mois, mais il était à 106,1 en octobre 2020 (+24 % en trois ans). Au lieu de se focaliser sur la variation des prix, il faut regarder le niveau des prix. L’inflation ne sera vaincue que lorsque toutes les augmentations du CPI auront été renversées. Autrement, maintenir intact le taux d’intérêt en attendant une réduction du taux d’inflation, due à un effet de base statistique, ce n’est pas une victoire sur l’inflation, mais c’est une défaite pour le pouvoir d’achat.

Par ailleurs, la perception précède la réalité. L’inflation est fermement influencée par les anticipations des gens. Si vous pensez que les prix vont vite grimper, vous achèterez maintenant, ce qui fera encore accélérer les prix. Si vous anticipez une baisse des prix, vous différerez vos dépenses de consommation. Donc, les perceptions de l’inflation comptent, et elles sont entraînées par celles de l’offre et de la demande.

Faire apprécier artificiellement la monnaie locale, ce que s’efforce de faire la Banque de Maurice, n’aidera en rien l’économie réelle. Forcer ainsi une réduction des prix ne pourra jamais réparer le dommage causé précédemment par l’inflation. C’est comme si un chauffard, ayant renversé mortellement un piéton, cherchait à lui redonner vie en faisant marche arrière sur lui ! La manipulation déflationniste de la monnaie par la banque centrale est aussi destructrice que son instrumentalisation inflationniste.

Ici, l’inflation est causée par une croissance monétaire excessive. Le bilan de la Banque Maurice représente près de 80 % du PIB, alors que celui de la Fed n’est que de 30 %. Malgré tout, contrairement aux apparences, notre politique monétaire demeure très accommodante, le taux de rendement pondéré des obligations d’État ayant retombé sous les 4 % depuis juillet dernier, et le taux de rémunération pondéré des dépôts étant de 2,5 %. Ainsi, le taux d’intérêt réel, qui définit le pouvoir d’achat de la monnaie, reste largement négatif.

Cela est inacceptable. Mais il faudra bien renflouer le «Consolidated Fund» avec l’impôt d’inflation pour financer la pension de vieillesse, et les prix des terres doivent monter afin de rentabiliser la Mauritius Investment Corporation. C’est dire que la désinflation est la pire ennemie du gouvernement.