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Décryptage
Le piège inflationniste
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Décryptage
Le piège inflationniste
Elle enchante de plus en plus les Mauriciens, la fable de l’État qui pourvoit à tout. Qu’importe si les chèques sans provision du gouvernement d’aujourd’hui sont des impôts de demain. Les gouvernants ne vont pas en prison pour cela – le privilège de l’impunité – à moins qu’on introduise une loi sur la responsabilité fiscale pour les punir.
Largesses de l’État distribuées à tous du berceau au tombeau, pension de vieillesse sur une base universelle, aides publiques aux entreprises, réajustement des revenus des salariés tous les six mois, hausse conséquente du salaire minimum national… Le gouvernement est là pour dépenser sans compter, et sans effort de la population. Et des hypocrites s’étonnent ensuite que Maurice s’enfonce dans l’endettement et l’inflation.
Ayant excessivement créé de la monnaie pendant le Covid, le gouvernement se retrouve maintenant piégé par l’inflation, n’ayant plus l’excuse du prix pétrolier, du fret ou des perturbations d’approvisionnement. L’inflation étant sa meilleure amie, il peut maintenir ses politiques inflationnistes en surfant sur la mollesse des institutions publiques, sur l’obséquiosité des organisations patronales et sur la surenchère des partis de l’opposition. Plus ces derniers promettent monts et merveilles, plus il les prend de vitesse pour s’octroyer la paternité de leurs propositions et les faire taire.
À ce petit jeu pervers, l’économie mauricienne fonce tout droit dans le mur et risque de se retrouver, comme à la fin des années 70, sous la tutelle du Fonds monétaire international (FMI). C’est d’ailleurs un mauvais signe que les consultations du FMI au titre de l’article IV n’ont pas eu lieu à Maurice cette année. De plus, les investisseurs sont préoccupés par le fait que la dernière mise à jour mensuelle du bilan de la Banque de Maurice remonte à août 2023.
C’est en janvier que le salaire minimum de Rs 15 000 entrera en vigueur, mais c’est sur ce montant qu’est calculée la compensation salariale de Rs 1 500, alors même que le calcul est fait d’habitude sur le salaire de décembre. Comprenne qui pourra ! Le ministre des Finances voit dans cette hausse de 43 % du salaire minimum (de Rs 11 575 à Rs 16 500) «un investissement». On aimerait bien connaître le nom de cette nouvelle théorie économique que donner de l’argent pour consommer, c’est investir.
C’est une folie qui témoigne, au mieux d’un gouvernement désespéré, au pire d’une politique de la terre brûlée, dans la perspective des prochaines élections générales. Que voulez-vous, nous sommes à Maurice. Même les faiseurs d’opinion soutiennent peu ou prou toute proposition d’augmentation salariale, ne serait-ce que pour montrer une compassion superficielle. On sent bien ce consensus délétère dans la sphère politico-médiatique, suivant ce que Julien Benda appelle «la trahison des clercs» qui, selon lui, tombent toujours du côté de la facilité.
Le dindon de la farce est évidemment Statistics Mauritius. Face à un taux d’inflation de 10,8 % en 2022, la compensation salariale était de Rs 1 000. Elle est double cette fois avec une inflation moindre, de 7,1 % pour 2023. De quoi jeter du discrédit sur les statistiques officielles.
Pas de salaire sans production
Le pire est toujours à venir : la course effrénée des salaires ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Le relèvement des salaires entraînera l’emballement de l’inflation dans les mois à venir. Plus il y a de l’inflation, plus on augmentera les salaires, et plus les prix repartiront à la hausse, et ainsi de suite dans un enchaînement sans fin. C’est un cercle vicieux qui mène le pays au bord de la banqueroute, et qui ne peut être brisé que par un gouvernement acceptant d’être impopulaire.
Il ne fait pas de sens de concevoir le salaire par rapport à l’inflation, encore moins au regard de la dépréciation de la roupie (qui est déjà prise en compte dans le calcul de l’inflation). Le salaire, tous les économistes du travail vous le diront, est plutôt une fonction de la production, d’où la notion de la capacité de payer dans toute augmentation salariale. Sans la production, il n’y a pas de salaire. Que l’inflation soit élevée ou non, que la roupie se déprécie ou pas, c’est la production qui dicte le niveau salarial.
C’est pourquoi les nombreuses entreprises qui sont peu profitables passeront la hausse du coût salarial aux consommateurs, ou procéderont à des licenciements. Même Paul Krugman, le prix Nobel d’économie qui inspire Maurice Stratégie, en convient : «So what are the effects of increasing minimum wages? Any student can tell you the answer: the higher wage reduces the quantity of labor demanded, and hence leads to unemployment.»
Les jeunes sans qualification ou sans expérience auront du mal à trouver de l’emploi. Les employeurs vont geler les recrutements, les promotions et les augmentations internes, n’ayant plus confiance dans la politique économique. Ils vont accélérer l’automatisation de leur production, substituant le capital au travail, devenu trop coûteux. Même augmentés, les salariés couperont dans les dépenses sur les produits qui deviennent plus chers. Au final donc, la hausse généralisée des salaires ne stimulera pas vraiment le volume global de la consommation, moteur de la croissance économique.
Toute firme doit avoir sa propre politique salariale qui correspond à sa situation financière, à l’abri des interventions de l’État. C’est ce que ne comprennent pas nos dirigeants politiques qui ne savent pas comment une entreprise survit, n’ayant jamais créé un seul emploi dans leur vie. Notre Assemblée nationale est d’ailleurs composée de nombreux avocats, médecins et experts-comptables, mais très peu d’entrepreneurs. Des syndicalistes pyromanes proposent même de «surtaxer les riches», comme si cela suffisait à assurer la sécurité alimentaire de toute la population.
Comme le concluait si bien Aon Investment Consulting dans ses commentaires sur le budget 2023-24, «more promises will be made on the eve of the general elections, only to be broken after the victors have been announced». Tôt ou tard, nos gouvernants seront confrontés à la dure réalité économique et finiront par se déjuger devant le peuple en reniant leurs promesses. Ce sera leur seule condamnation.
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