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Le prophète

21 février 2024, 09:00

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«Bizin koze laverite zenes

Fami ki ti la pa ti le tande

Komie finn mor ti pe bizin lasazes

Touletan nou rezet seki bon

Tou nou lavi ti fini dan laenn

Mo pe sant lamour pou nou gagn liberte.»

Kaya, Sant Lamour, 1998

De par le monde, les condamnations se multiplient après la mort en prison de l’opposant de Vladimir Poutine, Alexeï Navalny – devenu un martyr du Kremlin, et dont le corps n’a toujours pas été restitué à ses proches. Les dirigeants des principales démocraties ont déjà fait le procès des autorités russes : la mort d’une personne sous surveillance policière ou incarcérée dans une institution pénitentiaire relève de la responsabilité des autorités, ni plus ni moins. À Maurice, 25 ans plus tard, la mort, en cellule policière, de notre Bob Marley national, Kaya, demeure floue, précisément parce que ceux qui étaient responsables de sa détention, et, partant, de sa sécurité, n’ont pas été inquiétés par rapport à son décès subit qui a provoqué des émeutes à travers Maurice en février 1999.

25 ans après, l’on ne doit pas oublier les affrontements entre émeutiers et policiers, qui avaient réveillé le spectre des violences interethniques ; des violences qui ont failli embraser le pays à cause, entre autres, de l’incompréhension des uns et des autres par rapport à la consommation du gandia.

Si Kaya n’avait pas avoué, en 1999, avoir fumé un joint sur scène, à Rose-Hill, il n’aurait sans doute pas été arrêté, comme ces dizaines d’autres qui fumaient ce jour-là, et il aurait sûrement écrit et composé d’autres morceaux légendaires, qui auraient enrichi notre patrimoine musical et culturel.

Si un avocat – nous en avons plus de 1 100 de nos jours – était parti plaider sa cause, Kaya aurait pu être libéré sous caution (contre moins de Rs 10 000), et il n’y aurait pas eu d’émeutes. Si, si, si…

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Les déclarations du Premier ministre, selon lesquelles il compte repousser toute tentative de dépénaliser le gandia à des fins récréatives, suivent peut-être une logique électorale, mais elles s’éloignent de la voie progressiste – Kaya aurait dit «simé lalimier». On reste précisément figé sur des politiques d’hier en occultant les évolutions sociétales (faillite de la police face aux drogues dures comme l’héroïne et aux drogues synthétiques qui menacent nos jeunes, etc.) alors que la recherche médicinale, il faut le dire, sur le cannabis local progresse lentement dans une bonne direction.

Sur le plan de l’ordre et de la paix, on pourrait redéployer à des fins plus utiles des centaines de policiers qui ne peuvent pas vraiment contrôler un commerce illicite d’héroïne qui se fait au nez et à la barbe de tous (et dans les prisons), libérer des centaines de fumeurs du dimanche qui croupissent en prison aux côtés de dangereux criminels (qui les forment à la délinquance). De plus, cela réduirait matériellement l’invasion croissante de toutes ces substances chimiques et nocives (dont les dangereuses drogues de synthèse) sur le marché local justement parce que le gandia «bio» est introuvable, trop cher, réservé à une élite qui y dépense une fortune.

Si nous n’avons pas les expertises locales pour cerner le gandia, nous devrions nous inspirer de ce qui se passe ailleurs, à condition de faire face à la triste réalité locale : la répression contre les drogues a empiré la situation à Maurice. La commission d’enquête présidée par le juge Lam Shang Leen, qui était une bonne chose en soi, a compris qu’il importe d’analyser cet aspect répressif. Ce qu’il faut c’est, justement, un regard neuf, basé sur des recherches et des enquêtes sérieuses.

Au final, il nous faut savoir ce que nous voulons : allons-nous rester en retrait d’un monde qui évolue ? Les enfants Kaya sont aujourd’hui opprimés et leur voix complètement étouffée par une pure hypocrisie de notre société. On préfère regarder ailleurs alors qu’on martyrise ceux qui portent des dreadlocks… Pourtant, exercer un nouveau regard sur le gandia que nous chantait Kaya est devenu une cause qui nous concerne tous, de près ou de loin. Faisons-le au moins pour Kaya, un prophète, devenu un martyr, du pays.