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Analyse

Le régime Jugnauth prend le pari d’adopter une mesure budgétivore

18 septembre 2024, 09:00

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Alors que l’Assemblée nationale n’a pas encore été dissolue, le régime au pouvoir sort l’artillerie lourde, en donnant un aperçu de son projet sociétal pour le prochain quinquennat si jamais il était reconduit au pouvoir. Ainsi, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a récemment fait une annonce tonitruante, à savoir qu’il introduirait un prêt immobilier à taux zéro pour les jeunes âgés de 18 à 35 ans dans un éventuel prochain mandat. Cerise sur le gâteau : c’est l’État qui prendrait à sa charge le paiement des intérêts bancaires.

Cette mesure, qui s’inscrit dans le droit fil de la politique socio-économique du régime Jugnauth allant dans le sens d’un renforcement de l’État providence, ne manque pas d’alimenter des débats passionnés. Certains observateurs font remarquer que cette mesure progressiste qui facilitera l’accès à la propriété aux jeunes est inédite et qu’avec la panoplie de mesures sociales entérinées depuis 2014, Maurice est aujourd’hui résolument un pays socialiste.

Mais, tout comme l’augmentation de la pension de vieillesse, qui est pratiquement au même niveau que le salaire minimum, là aussi aucun pays au monde n’est allé aussi loin, le prêt immobilier à taux zéro devrait grever significativement les finances publiques. La question se pose : est-ce que l’État pourra soutenir dans le temps le cumul des mesures sociales ?

Une récente étude réalisée par AXYS permet de jauger de l’impact économique d’une introduction éventuelle du prêt immobilier à taux zéro. Selon les chiffres compilés par le cabinet, quelque 188 000 citoyens dans la tranche des 25 - 35 ans (les jeunes en dessous des 25 ans sont peu nombreux à contracter un crédit immobilier) sont concernés par cette mesure. Pour développer son analyse, AXYS formule une série d’hypothèses : l’engouement suscité par une telle mesure devrait entraîner une hausse de la demande pour les prêts immobiliers, d’une moyenne de 6 473 à 10 000 ; les ménages vont, en moyenne emprunter autour de Rs 4 millions chacun pour la construction de leur maison ; et les emprunteurs devraient privilégier un échéancier de remboursement s’étalant sur 25 ans assorti d’un taux d’intérêt de 6,5 %.

Étant donné que les intérêts bancaires payables sont beaucoup plus élevés durant les 10 à 15 premières années du remboursement avant de régresser progressivement, l’État va s’imposer une charge financière extrêmement lourde dès la première année de l’application de la mesure. Ainsi, sur la base que 4 000 nouvelles maisons seront construites par an suivant l’entrée en vigueur du taux zéro, l’État déboursera Rs 2,58 milliards lors de la première année de son mandat. Pour la deuxième année, le coût doublera à Rs 5,12 milliards en raison de l’ajout de Rs 2,54 milliards pour les paiements d’intérêts résultant de cette hausse de la demande de 4 000 maisons additionnelles. Avec le cumul des nouveaux crédits immobiliers, le coût passera successivement à Rs 7,61 milliards (3ᵉ année), Rs 10,04 milliards (4ᵉ année) et Rs 10,04 milliards (5ᵉ année). Ainsi, au bout de cinq ans, c’est hypothétiquement quelque Rs 37,78 milliards que l’État devra prévoir pour le financement du taux zéro. Par ailleurs, AXYS prévoit que dès l’exercice fiscal 2026-2027, cette mesure viendra ajouter 2,8 % aux finances publiques.

D’un point de vue sociétal, le taux zéro sur les prêts immobiliers permettra d’accompagner les jeunes dans leur cheminement, cela sachant que la construction d’une maison est considérée comme étant l’investissement d’une vie. Sur le plan économique, cette mesure permettra de dynamiser le secteur de la construction. Or, en s’engageant dans une telle voie, s’il obtient le plébiscite de l’électoral, le régime au pouvoir va se retrouver dans la quasi-obligation de réaliser des taux de croissance élevés. Donc, il s’agira de booster la productivité et créer plus de richesse. C’est la solution pour amortir les charges financières qu’il a endossées pour exécuter son ambition plan de société.

Sans une croissance forte, l’État devra se résoudre à augmenter les impôts ou à taxer la population à travers l’inflation. De plus, la croissance du portefeuille de crédit des banques incitera à la création monétaire, ce qui aura pour conséquence une poussée de l’inflation. L’autre risque se rapporte à une hausse des prêts non productifs résultant d’une demande accrue pour les crédits immobiliers. Est-ce que l’État continuera à payer les intérêts bancaires des mauvais payeurs ?