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Travailleurs étrangers

Le visa étudiant comme passeport pour un emploi

2 avril 2024, 20:00

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Le visa étudiant comme passeport pour un emploi

Les opérations «crackdown» se multiplient pour interpeller les étrangers en situation illégale.

La présence des travailleurs étrangers devient de plus en plus marquante à Maurice. Ils sont omniprésents, que ce soit dans les centres commerciaux, les restaurants, les supermarchés, les stations- service, les magasins ou même les hôtels. En effet, l’île Maurice est devenue un Eldorado pour ces étrangers, dont certains sont venus avec un visa étudiant dans l’intention de trouver du travail.

Lundi dernier, lors d’une opération menée par les officiers du Passport and Immigration Office (PIO), plusieurs travailleurs malgaches, rwandais, bangladais, nigérians, camerounais, ghanéens et mauritaniens ont été appréhendés. Selon le directeur général du PIO, Narendra Kumar Boodhram, ces étrangers entrent sur le territoire mauricien avec un visa étudiant ou touristique, parfois même en tant qu’ouvriers, mais ils réussissent à s’échapper avant l’expiration de leur permis. Lors de l’interpellation de ces 52 personnes, un faux document portant l’en-tête du PIO a été saisi et l’affaire a été transmise au Central Criminal Investigation Department (CCID) pour enquête (voir en encadré).

Outre les travailleurs africains interpellés, on observe également une croissance importante de travailleurs indiens et népalais à Maurice, qui supplantent progressivement les Bangladais. Depuis quelques années, six instituts répartis dans l’île proposent à des Indiens et Népalais de venir travailler à Maurice, leur promettant un salaire mensuel compris entre 60 000 et 65 000 roupies indiennes (INR), soit près de la moitié en roupies mauriciennes. Ces instituts sont en contact avec des agents en Inde chargés de recruter des candidats. Les agents présentent une image idyllique de l’île, avec des emplois intéressants offrant des salaires attractifs, un logement et une assurance-vie, entre autres avantages.

Les candidats, qui doivent être âgés de moins de 30 ans, sont issus de petites villes de la Grande péninsule et manifestent rapidement leur intérêt. Les agents expliquent alors le processus : les candidats s’inscrivent dans des instituts à Maurice, mais en réalité, ils n’y suivront pas de cours. Cette étape n’a pour but que d’obtenir un visa étudiant. Une fois à Maurice, ils sont libres de faire ce qu’ils veulent, selon une source. Tout cela, moyennant environ INR 450 000, billet d’avion inclus. Les travailleurs réservent des billets aller-retour en ligne, annulent leur vol de retour une fois à Maurice, et l’argent est directement versé sur le compte de l’agent. L’institut perçoit sa commission ainsi que l’agent. Ce processus est bien connu de nombreux officiers du PIO, confirme une autre source.

En effet, lorsqu’un étranger arrive à Maurice avec un visa étudiant, il est censé avoir des informations sur le cours qu’il compte suivre, ce qui n’est souvent pas le cas. De plus, la communication est souvent difficile. Des enquêtes ont déjà été menées sur ces cas, et lorsqu’on interroge l’institut concerné, la direction explique que les étudiants doivent suivre des cours d’anglais pendant un an avant de commencer leurs études, confirme un officier. En plus d’être trompés sur leur salaire, les travailleurs doivent souvent travailler plus de 12 heures par jour, contrairement à ce que prévoit la loi.

Un étranger titulaire d’un visa étudiant ne devrait pas travailler plus de 20 heures par semaine. De plus, leurs employeurs ne les déclarent pas aux impôts et ne contribuent pas à leur pension, les présentant comme des employés à temps partiel alors que ce n’est pas le cas. Chaque jour, une vingtaine d’étrangers arrivent à Maurice avec un visa étudiant. Pour employer légalement un étranger, une entreprise doit compter au moins six employés mauriciens. Cependant, ceux qui recourent à des étrangers titulaires de visas étudiants ne respectent généralement pas cette procédure. On explique également que bon nombre de ces étrangers travaillent pendant deux ans à Maurice avant de déménager au Canada, car il est plus facile pour eux d’obtenir un visa à partir de Maurice.


Le calvaire d’un restaurateur

Un petit restaurateur a vécu un véritable calvaire. Confronté à une pénurie de main-d’oeuvre, il a fait appel à un agent recruteur qui lui a proposé un groupe de travailleurs malgaches moyennant une somme considérable. À leur arrivée, ces personnes étaient titulaires d’un visa étudiant et ont commencé à travailler. Cependant, des démarches administratives étaient nécessaires pour obtenir un permis de séjour en bonne et due forme. L’agent tardait à fournir les documents nécessaires, et la date limite approchait. Alors qu’il était sur le point de laisser partir les travailleurs, l’agent lui a demandé de payer une somme supplémentaire importante par personne pour régulariser leur situation. Une fois le paiement effectué, chaque travailleur malgache a reçu une lettre d’acceptation d’une université privée, leur permettant de finaliser leurs démarches, et d’obtenir un permis étudiant pour rester en règle à Maurice et continuer à travailler.


Un ancien policier affecté au PIO bientôt interrogé

Le dossier a été transmis aux enquêteurs du CCID depuis lundi dernier. Ils sont en possession d’une copie d’un faux document portant le tampon du PIO et qui paraît authentique. Le document présente une seule signature, celle d’un policier qui était autrefois affecté au PIO. Ce dernier sera bientôt convoqué pour être interrogé. Les enquêteurs devront vérifier si sa signature figurant sur sa pièce d’identité est la même que celle retrouvée sur le document. Une source proche de l’enquête nous explique que jusqu’ici, tout laisse à penser que quelqu’un a utilisé la signature de ce policier dans l’un des documents fournis à un travailleur, que ce document a été altéré et qu’un réseau a utilisé la signature du policier pour falsifier d’autres documents.


Un des instituts concernés fait l’objet d’une enquête

Un des instituts concernés par l’arrivée des étrangers, basé à Ébène, qui a eu son accréditation en 2017, a déjà fait l’objet d’une plainte et le dossier a été référé au bureau du Premier ministre. L’institut est géré par un couple indien. Plusieurs Népalais avaient porté plainte contre les gérants en 2018 et avaient expliqué qu’ils avaient payé la somme de 5 000 dollars pour des cours qui n’ont jamais eu lieu. L’argent avait, en fait, été utilisé pour des formalités d’enregistrement.


36 323 permis de travail délivrés

Au 30 juin dernier, le nombre de permis de travail délivrés aux travailleurs étrangers se chiffrait à 36 323. Ces derniers viennent du Yémen, d’Ouganda, d’Indonésie, d’Éthiopie, de Cuba, de Somalie, de Tanzanie, du Botswana, du Népal, de Chine, du Bangladesh, du Canada, de France, d’Inde, d’Égypte, du Zimbabwe, du Brésil, de Lituanie, d’Arménie, du Congo, du Salvador, de Grèce, du Honduras, de Croatie, du Cameroun, de Jordanie, de Serbie, du Chili, d’Islande, d’Allemagne, de Belgique, du Sri Lanka et de Madagascar. Les étrangers travaillant dans des secteurs non traditionnels sont également employés, entre autres, comme baby-sitter, barman, caissier, agent d’entretien, réceptionniste, gardien, thérapeute de spa, valet de chambre, chauffeur, électricien, plongeur, vendeur, aide-ménager, commis comptable, laboureur, réparateur de vélos, employé d’assurance, pâtissier, soigneur animalier, secrétaire, garde d’enfants, emballeur, découpeur de poissons, poseur de carrelage, décorateur de tentes, surveillant, agriculteur, plombier, peintre, infirmier, femme de chambre et gardien d’école.