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Décryptage

L’économie de la gratuité

1 septembre 2024, 09:00

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Un économiste venu de la planète Mars se demanderait si Maurice serait un pays communiste. Notant les nombreuses gratuités gouvernementales, il se mettrait à écrire une thèse sur l’économie de la gratuité en prenant appui sur l’exemple mauricien. Promesse de prêts logement sans intérêt aux 18 à 35 ans, accès gratuit à l’internet mobile pour les 18 à 25 ans, allocations scolaires aux enfants de 3 à 10 ans, subvention totale des frais d’examens du SC et du HSC, distribution de matériels scolaires, prestations de maternité et transport gratuit pour étudiants et retraités : toutes ces prébendes sont rendues possibles grâce à l’argent… gratuit provenant de la pure création monétaire («money printing»).

De tels « cadeaux » sous-tendent l’idée que l’argent serait le seul déterminant du choix des électeurs. Les véritables intentions de ces cadeaux sont dissimulées sous le voile de la gratuité. Ils sont assortis de conditions implicites, la principale étant de voter pour le gouvernement sortant qui n’est pas sans reproche. Ils ne sont donc pas tout à fait gratuits.

Du reste, en économie, il n’y a pas de repas gratuit. Les gratuités ne peuvent être financées que par un alourdissement fiscal. Même si c’est par émission monétaire ou par le crédit facile, il faudra bien les payer par l’inflation qui en résulte. L’inflation monétaire, à son tour, accroît les risques d’instabilité du secteur bancaire et entraîne la dépréciation de la roupie qui renchérit les produits importés. Ainsi, la consommation réelle (en volume) se voit pénalisée par la hausse des prix, tout comme la production par l’augmentation des coûts des entreprises et des taxes : la croissance économique en pâtit.

Ces phénomènes économiques, qui peuvent être chiffrés, sont réversibles. Ce qui l’est moins, c’est l’esprit d’assistanat qu’on encourage à la place de l’esprit d’entreprise et de réforme. La culture de la facilité et du moindre effort s’est substituée à l’éthique du travail et de l’épargne, étant un phénomène psychologique qui a des effets pernicieux sur l’économie du pays, sur sa productivité et sur sa compétitivité. Maurice la cigale se trouvera fort dépourvue quand viendra la bise après les élections générales.

On attend tout de l’État, rien de soimême, et les politiciens nous incitent à penser que le gouvernement nous doit tout. C’est là que le bât blesse. Dans un monde où les revendications sont illimitées, rien ne peut être gratuit, tout nous appartient. Or notre Constitution garantit la propriété privée, système anticommuniste, qui limite les droits et les devoirs que les uns ont envers les autres.

Ce qui est gratuit, c’est sur quoi nous n’avons aucun droit : nous pouvons disposer de l’oxygène dans l’air parce que personne n’a de droit opposable à une autre personne sur celui-ci. Si nous avons droit à une chose, c’est qu’elle est déjà à nous, ou que nous l’avons payée.

La gratuité et le marché étroitement imbriqués

Dans cette optique, les économistes néo-classiques postulent que les biens qui ne sont pas exprimés en monnaie sont gratuits. Pour eux, l’homo economicus maximise une seule variable, l’utilité, soit le profit monétaire. S’il donne un cadeau, c’est toujours par intérêt : il n’y a pas de véritable don. S’appuyant sur le postulat d’équivalence d’Aristote, selon lequel un échange juste est un échange de valeurs égales, le théorème d’Arrow- Debreu, axé sur les marchés complets, suppose que chaque bien fourni aux autres soit adéquatement rémunéré, faute de quoi il est considéré comme un don volontaire. Dans lequel cas, on crie à la «défaillance du marché», et on fait appel à l’intervention de l’État pour taxer certains et subventionner les autres.

Ainsi, cette approche (l’économie du bien-être) fait croire que seul l’État est capable d’altruisme, de donner des bénéfices gratuits à la population, et que, pour cela, il doit favoriser plus de dépenses publiques et de baisses du taux d’intérêt afin de créer la croissance nécessaire au financement de ces gratuités. C’est l’exact contraire de ce qui se passe dans le monde réel de l’économie : les politiques fiscales et monétaires expansionnistes relancent l’inflation davantage qu’elles ne soutiennent la production nationale, ce qui provoque encore plus de revendications sociales…

La générosité s’épanouit plutôt dans une économie libre, vu que la croissance économique est le fruit de moins d’État : c’est par la prospérité qu’une société a les moyens d’être généreuse. Il est aussi un fait que le marché va de pair avec l’altruisme, moyennant qu’on comprenne l’économie comme relevant de la logique de l’action humaine, et non de la maximisation de revenus.

L’homme n’agit pas que pour avoir de l’argent. Ce n’est pas son seul souci : il poursuit divers objectifs qui ne sauraient se résumer à un unique but, l’utilité maximale. Les gens ne désirent pas obtenir un maximum d’argent, mais un montant approprié d’argent avec un nombre adéquat de biens non matériels, afin de satisfaire leurs besoins et ceux des autres. L’argent n’est pas le dénominateur commun des différents biens, car des externalités positives (bénéfices secondaires) émergent des rouages du marché sans la nécessité d’une intervention étatique : le temps, l’attention et l’affection, qui sont des biens gratuits, sont également décisifs. Qui n’aimerait pas voir grandir ses petits-enfants plutôt que de bénéficier d’une pension de vieillesse généreuse de l’État ?

Le meilleur moyen d’assurer sa retraite est d’épargner pour l’avenir. L’épargnant qui constitue un patrimoine le transférera gratuitement à ses héritiers. Au niveau national, si une hausse de l’épargne tend à faire baisser le taux d’intérêt et, par conséquent, le rendement moyen des projets d’investissement, néanmoins elle incite à investir, notamment dans le progrès technique. Les revenus générés par ceux-ci diminuent certes, mais cela réduit le coût d’opportunité des dons. Plus d’investissement engendre plus de biens gratuits dans le processus de marché. C’est dire que la gratuité est indissociable de l’économie de marché.

Hélas, les dirigeants qui ne jurent que par la consommation, même s’ils viennent de Vénus, se croient sortis de la cuisse de Jupiter.

Publié 18 septembre 2024.