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Décryptage

L’économie «résiliente», vraiment ?

1 juin 2024, 08:45

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Comme attendu, ce n’est pas à la veille des élections générales que le ministre des Finances annoncera des réformes économiques structurelles, telles que souhaitées par le Fonds monétaire international (FMI) dans son récent rapport sur Maurice. Le Budget 2024-25 joue aux abonnés absents à ce sujet et, pire, relègue au second plan, non pas l’économie (puisqu’il en parle), mais les grands problèmes économiques comme l’inflation, la dépréciation de la roupie, le manque de main-d’oeuvre et le vieillissement démographique. C’est un Budget en deux parties, la première étant du copier-coller avec quelques variantes, et la seconde avec des sucreries pour épater les électeurs.

En effet, pour ce qui est des mesures destinées à la communauté des affaires, le ministre Renganaden Padayachy reprend les mêmes et recommence, sauf qu’il actualise les chiffres des subventions, des dons et des soutiens financiers. Tous les «schemes» sont «renewed» ou «extended». S’il y en a bien quelques nouveaux, on ne voit rien d’innovant en termes de diversification économique.

Mais pourquoi maintenir ou accroître les aides publiques aux entreprises si, comme le prétend le Grand argentier, le pays a aujourd’hui «a more resilient economy» ? Une entreprise ou une personne qui est résiliente, donc en bonne santé, n’a pas besoin d’assistance.

Les petites et moyennes entreprises plus résilientes ? Mais alors, pourquoi le gouvernement leur paiera la compensation salariale jusqu’en décembre prochain et continuera à leur accorder toutes sortes de facilités financières ?

La manufacture, «one of the most resilient sectors of our economy» ? Mais alors, pourquoi le gouvernement «will provide a comprehensive set of measures to support our industrial base» ? Dans le discours budgétaire, il est écrit que «the sector has recorded for the second consecutive year, a double-digit growth», soit «last year 12.9 percent, after a growth of 10.4 percent in 2022». Or, dans la comptabilité nationale publiée le 29 mars dernier, Statistics Mauritius indique que la croissance de la manufacture était plutôt de 2,1 % en 2023 et de 9,1 % en 2022.

Le secteur des technologies de l’information et de la communication, «a dynamic and resilient industry» ? Or, il a perdu 24 entreprises en huit ans, le nombre de firmes passant de 139 en 2014 à 115 en 2022, une baisse de 17 %.

Bref, la croissance de l’économie mauricienne serait «resilient». Mais un rebond du Produit intérieur brut après une décroissance réelle de 14,5 % en 2020, cela n’est pas une preuve de résilience. Il faut plutôt voir l’économie en perspective : le FMI prévoit que la croissance retournera à ses taux pré-Covid, sous la barre des 4,0 %, de 3,7 % en 2025 à 3,3 % en 2027.

C’est en s’appuyant sur une supposée «résilience» retrouvée de l’économie que le gouvernement multiplie ses largesses budgétaires. Qu’il augmente, une fois de plus, la pension de base à Rs 14 000 pour les six derniers mois de l’année, c’est son droit. Mais qu’il la fixe à Rs 15 000 à partir de janvier 2025, c’est là une entorse démocratique. Car, sachant que les législatives auront lieu avant la fin de l’année, le régime actuel a-t-il la légitimité d’attacher les mains de celui qui sortira des urnes ? En quoi ce dernier est-il tenu d’appliquer des mesures qui ne sont pas les siennes ? N’aurait-il pas été mieux, du point de vue démocratique, d’avoir un Budget intérimaire pour le second semestre de 2024 ?

Comme quoi la démocratie mauricienne devient de moins en moins résiliente.

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