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L’ère du soupçon
À J-17 des élections générales, la situation devient de plus en plus crispante. La diffusion de bandes sonores de supposées conversations téléphoniques impliquant des politiques, des journalistes et une diplomate en cette campagne électorale a plongé le pays dans une atmosphère de suspicion.
Ce scandale intervient à un moment où c’est un gouvernement intérimaire (caretaker government) qui administre les affaires courantes de l’État. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a été prompt à réagir en soutenant, avec force, que ces bandes sonores diffusées par le délateur, un certain «Missie Moustass» – un sobriquet dont Sherry Singh avait affublé le technicien indien qui se serait livré à une opération de Data capture à la station d’atterrissement du câble SAFE à Baie Jacotet –, ne sont qu’une fabrication rendue possible par l’intelligence artificielle. Mais voilà, cette déclaration semble prématurée d’autant plus que le Central Criminal Investigation Department (CCID) n’est encore qu’au début d’une enquête compliquée et qu’elle devra faire la démonstration, si cela est avéré, sur la méthode utilisée au moyen de l’intelligence artificielle pour fabriquer de toutes pièces ces bandes sonores. De plus, quatre journalistes d’investigation, à savoir, Nawaz Noorbux, Al Khizr Ramdin, Murvind Beetun et Axcel Chenney, ont confirmé l’authenticité des bandes sonores sur lesquelles on peut entendre leurs voix. Idem pour Patrick Assirvaden, Shakeel Mohamed et Bruneau Laurette, des politiciens qui, pourrait-on postuler, seraient susceptibles de tirer un certain capital politique de cette ténébreuse affaire.
Cette nouvelle saga, qui fait écho à l’affaire de sniffing, touche non seulement à la sécurité intérieure, à la vie politique, privée et religieuse, mais encore, elle a des ramifications diplomatiques et, potentiellement, économiques.
D’ailleurs, le Foreign, Commonwealth and Development Office du Royaume-Uni n’a pas tardé à se mettre en contact avec les autorités policières mauriciennes après la fuite d’une conversation téléphonique alléguée entre Charlotte Pierre, la haut-commissaire britannique, et Ken Arian, le CEO d’Airport Holdings Limited. Cette conversation se serait tenue entre octobre et novembre 2022, soit à un moment où le Royaume-Uni et Maurice étaient en pleine négociation sur les Chagos. On peut supposer que le Foreign, Commonwealth and Development Office est déjà en communication avec Charlotte Pierre et que la diplomate a déjà donné sa version des faits.
L’autre répercussion de l’affaire de «phone tapping» concerne l’économie nationale. Dans une économie libérale comme la nôtre, l’État de droit, la propriété privée et la vie privée sont des notions fondamentales. D’ailleurs, comme le fait ressortir Business Mauritius dans un communiqué émis dimanche, «la confidentialité des échanges, la sécurité et l’intégrité des données sont des éléments indispensables» si l’on veut préserver notre bonne réputation comme une destination propice aux affaires. L’on se souviendra que dans le sillage du scandale de «data capture» en juin 2022, l’agence de notation Moody’s Investor Service avait rétrogradé la note souveraine de Maurice de Baa2 à Baa3, en avançant comme principal motif la qualité et l’efficacité de ses institutions.
Qu’on se le dise, les bureaux internationaux d’investissement surveillent comme le lait sur le feu la situation au niveau du risque politique et du risque sécuritaire surtout en cette période de campagne électorale. À l’échelle de l’Afrique subsaharienne, Maurice a toujours été considéré comme le bon élève. Le pays est perçu comme étant paisible, avec des structures de gouvernance très fortes. Depuis octobre 1996 et l’affaire Gorah Issac, les campagnes électorales se sont déroulées dans une relative paix et tranquillité quand on se compare avec nos pairs africains. Or, l’affaire de «phone tapping» est venue jeter un voile de doute sur les ressorts mêmes de ce qui constitue la bonne gouvernance.
Faut-il craindre un impact sur les investissements directs étrangers (IDE) ? Espérons que non. D’autant plus que nous sommes dans une bonne dynamique, avec des IDE totalisant Rs 37 milliards en 2023. Y a-t-il un risque que dans un proche avenir, le pays soit déclassé par Moody’s et S&P Global Ratings et perde son Investment grade ? On ne le pense pas. Il n’empêche qu’il est primordial qu’on rétablisse les faits dans les plus brefs délais.
Concernant l’enquête policière, elle doit se faire dans la transparence la plus totale. Car on est sous la surveillance des instances internationales. Au nom de l’équité et de la transparence, il nous semble juste que le Commissaire de police, Anil Kumar Dip, devrait se tenir à l’écart de l’enquête et laisser sa supervision à l’un des Deputy Commissioners of Police, car c’est sa supposée voix qu’on entend sur un nombre important de bandes sonores.
La barque tangue dangereusement. S’il s’agit d’une machination contre l’État, comme le suppose le CCID, alors qu’on fasse la lumière sur cette affaire au plus vite. Nous sommes censés disposer des outils techniques nécessaires et pouvons, au besoin, solliciter le Federal Bureau of Investigation qui possède un bureau à l’ambassade des États-Unis. Par contre, si les citoyens de ce pays sont sur table d’écoute et que quelque part, Big brother nous épie, il faudra alors, sans avoir peur des conséquences, situer les responsabilités et en finir avec de telles pratiques.
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