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Interview de ...Sébastien Sauvage
«Les citoyens sont parvenus à faire bouger les choses»
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Interview de ...Sébastien Sauvage
«Les citoyens sont parvenus à faire bouger les choses»
Le jugement du Privy Council concernant la contestation des permis d’Environmental Impact Assessment (EIA) est historique. Désormais, la société civile peut les contester car l’environnement est vital pour chaque Mauricien. Pour rappel, Eco-Sud contestait le permis EIA de Pointe-d’Esny Lakeside Company Ltd pour la construction d’un hôtel dans une zone sensible. Le Tribunal de l’environnement avait rejeté la demande, mais la Cour suprême avait estimé que l’environnement est l’affaire de tous. Le jugement du Privy Council a confirmé celui de la Cour suprême. Sébastien Sauvage revient sur l’importance de ce jugement. Retrouvez l’intégralité de l’entretien sur le podcast de «l’express» sur Spotify
Pourquoi ce jugement est-il historique ?
Le combat a commencé en 2018. Le jugement est historique pour plusieurs raisons. Une raison factuelle est qu’on comprend que la Cour suprême de Maurice n’a rien à envier à la plus haute instance de la cour anglaise. Le Privy Council est venu confirmer le jugement de la Cour suprême en légitimant l’action d’EcoSud. L’organisation avait interpellé le Tribunal de l’environnement par rapport à un Environmental Impact Assessment (EIA) Licence qui avait été accordé par le ministre de l’Environnement au projet Pointe-d’Esny Lakeside Company Ltd. Le Tribunal de l’environnement avait effectué le test du locus standi pour savoir si on avait le droit d’agir. L’organisme qui porte l’affaire devant la justice doit démontrer qu’il est personnellement lésé et qu’il va subir un préjudice personnel indu.
La Cour suprême avait dit non. Il faut élargir l’interprétation de la thèse du locus standi. Le Privy Council a confirmé cela. On ne peut pas aujourd’hui être obligé de prétendre à un impact personnel lorsqu’on vient s’attaquer à un problème qui est en lien avec l’environnement et la nature, avec tous les bénéfices que la nature offre aux êtres vivants. Et surtout par rapport à la crise environnementale dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Il y a des extinctions d’espèces et la perte de biodiversité dans le monde entier. Nous avons dépassé six des neuf limites planétaires sur les processus dans lesquels la vie peut exister. Les activités humaines sont en train de transformer la planète en un endroit qui sera moins habitable. Donc, c’est fantastique de pouvoir dire que maintenant, tous les Mauriciens et toutes les associations qui ont à cœur de défendre l’environnement peuvent dire qu’il y a un problème et demander au tribunal de statuer dessus.
La région de Pointe-d’Esny où le projet hôtelier – ici la photo d’une chambre témoin – a commencé à voir le jour, malgré les contestations juridiques.
Est-ce qu’il y a d’autres cas que le Tribunal de l’environnement n’a pas écoutés sur ce point de légitimité de contestation ?
Depuis des années, les procédures d’EIA et celles d’accès au Tribunal ont évolué pour rendre les contestations de la société civile plus compliquées. Nous avons de moins en moins de temps pour préparer nos dossiers et émettre nos commentaires sur un EIA. Même ce test de locus standi n’était pas comme ça au début. Nous sentons qu’il y a eu un désir de la part des autorités à pousser les citoyens en dehors de la question de : «On construit où et en respectant quoi ?» Nous avions moins notre mot à dire.
Il y a eu des cas où le Tribunal de l’environnement a écarté des acteurs. Par exemple, dans le cas de l’hôtel qui a obtenu son permis EIA pour être construit aux Salines de Rivière-Noire sur un wetland. La contestation des membres de Rezistans ek Alternativ avait été rejetée en raison du locus standi. Il y a eu plusieurs cas où les citoyens ont été recalés d’entrée de jeu, sans possibilité de parler du fond du problème. Les développements à proximité des zones sensibles nous mettent mal à l’aise. Lorsqu’il y a un développement à 30 mètres des wetlands ou que la zone est complètement entourée, son fonctionnement est mis à l’épreuve. Elle est moins connectée aux réseaux souterrains d’eau. Un wetland est censé accueillir l’eau.
Mais la nouvelle Environment Act était censée faciliter les contestations. Est-ce de la poudre aux yeux ?
Déjà, la société civile n’a pas été consultée par rapport au projet de loi. Il n’y a rien qui facilite la participation des citoyens à cette démarche. Ce qui est aussi historique est qu’en se mobilisant, les citoyens sont parvenus à faire bouger les choses. Mais c’est triste car on se dit que c’est le rôle du gouvernement de protéger l’endroit où habite son peuple. Lorsque les écosystèmes sont attaqués, que les lagons sont pillés et que les eaux sont dilapidées, ce sont les communautés en situation de vulnérabilité qui vont être impactées en premier. Là, les citoyens se sont mobilisés et cela fait jurisprudence. L’accès des citoyens au Tribunal de l’environnement a force de loi.
Le jugement déplore le fait que pendant que l’affaire était en cours, la construction s’est poursuivie. Où en est le projet aujourd’hui ?
Ils ont fini de mettre leur goudron partout et les infrastructures ont été complétées depuis quelques mois. La construction des appartements a commencé. L’étonnement des Lords anglais a tout son sens. Ils disent clairement qu’il y a une décision prise par le groupe qui semble ne pas respecter le côté ‘fair’. Comme le projet est en questionnement, les Lords se seraient attendus à ce qu’ils aient arrêté en attendant le verdict. Il est intéressant de noter que le dernier commentaire des Lords souligne que dans le cas de figure où les juges décident de révoquer la licence EIA, personne ne pourra se cacher derrière le fait que le projet est fini et que nous sommes devant un fait accompli. Les juges disent que le Tribunal est en pouvoir d’ordonner que tout soit remis en état comme c’était avant la construction. C’est une remarque qui responsabilise le promoteur.
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