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Colloque régional
Les descendants de Ratsitatane brisent le silence observé par peur de représailles
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Colloque régional
Les descendants de Ratsitatane brisent le silence observé par peur de représailles
Sept descendants sont venus en pèlerinage à Maurice en 2023. Ils sont ici devant la Cour suprême, où Ratsitatane a été condamné à mort.
15 avril 1822-15 avril 2024. Cela fait 202 ans que Ratsitatane, malgache déporté à Maurice et condamné à mort, a été décapité au jardin de Plaine-Verte. Aujourd’hui s’ouvre un colloque régional en mémoire du bicentenaire de cet événement, à Havoria, l’auditorium et musée de l’audiovisuel, à Madagascar. Joint au téléphone dans la Grande Île, Six Andrianilaina, président de l’association des descendants de Ratsitatane et l’un des organisateurs du colloque, nous parle de son illustre ancêtre et du projet de musée qui lui sera consacré.
Une tête tombe à Plaine-Verte. Un silence pesant s’installe à Tananarive. Mesure de protection des descendants de Ratsitatane, Malgache déporté à Maurice, condamné à mort et décapité il y a 202 ans. Un colloque régional et une exposition s’ouvrent aujourd’hui à Madagascar pour commémorer cet épisode de l’histoire commune aux deux pays. Cette commémoration est organisée par les autorités malgaches, l’ambassade de Maurice à Madagascar et l’association des descendants de Ratsitatane, baptisée Rainimanga, Ramboaniaina et de Ratsihitsahina (RR & R).
La note d’intention du Colloque Ratsitatanina dit que jusque «dans les années 60, la famille demeure très marquée par le sort de Ratsitatane. Un voile de tristesse planait encore, et c’est pour cela qu’elle est restée fortement pieuse. On n’osait pas parler de cette histoire car la famille gardait encore dans son esprit ce sort tragique du grand-père patriote, avide de liberté et de justice».
Six Andrianilaina, président de l’association des descendants de Ratsitatane, lors de sa visite au Musée de l’esclavage intercontinental, en octobre 2023. À cette occasion, l’association avait fait don d’un tableau montrant le Palais de la Reine
Qu’est-ce qui a libéré la parole au sein de la famille ? Six Andrianilaina est le président de l’association des descendants de Ratsitatane. Dans le nom de cette association, le premier R, Rainimanga, «c’est le fils de Ratsitatane», explique-t-il. Quand Ratsitatane a été déporté à Maurice, il était marié. «Son épouse, était enceinte. Il n’a jamais vu son fils.» L’exposition visible à Madagascar montre l’arbre généalogique avec les sept enfants qu’a eu le fils de Ratsitatane, ainsi que leurs conjoints respectifs. Six Andrianilaina précise qu’il est de la cinquième génération.
Le président poursuit : «Le doyen de la famille, décédé l’année dernière à 97 ans, était de la lignée de ceux qui ont gardé le secret. Lors d’une réunion de famille, on lui a demandé : ‘mais au-dessus de Rainimanga, il y avait qui ? Qui sont ces R et R?’ Cela fait seulement une dizaine d’années que ce doyen a révélé le nom de Ratsitatane.»
Le secret a été gardé parce qu’après l’expulsion puis la décapitation, l’épouse de Ratsitatane «s’est enfuie. Elle a changé de nom et s’est cachée pour que le roi ne puisse pas faire tuer le fils de Ratsitatane». Autre facteur déclencheur : «On avait donné le nom de Ratsitatane à l’une de ses arrière-petites-filles. Aujourd’hui, elle a 92 ans. Elle a demandé: ‘pourquoi m’avoir donné un nom de garçon ?’» ajoute le président. C’est ainsi que la famille a su que c’était pour perpétuer le nom de leur ancêtre. «Ce nom lui a été donné pour qu’elle soit un témoin de l’histoire.» En langue malgache, indique le président, le nom Ratsitatane signifie «celui que l’on ne peut pas tenir par la main. Un libre penseur».
Un père conseiller de rois et reine
Les sources historiques présentent tour à tour Ratsitatane comme un : «prince malgache», le «neveu du roi Radama 1er» ou encore un général d’armée. Le président de l’association de ses descen- dants explique : «Il n’est pas le neveu du roi Radama 1er, mais l’un de ses cousins. Le père de Ratsitatane, Andriamambavola, a été l’un des conseillers de trois rois et reine successifs.»
Plongée dans l’histoire malgache. Six Andrianilaina rappelle que le père de Radama 1er, Andrianampoinimerina (1745-1810) réunifie le royaume Imerina, au centre de Madagascar. «Le père de Ratsitatane a participé à l’installation d’Andrianampoinimerina sur le trône. Le roi l’a pris parmi ses conseillers.» Quand Radama 1er succède à son père, il garde le père de Ratsitatane comme l’un de ses conseillers. «Au décès de Radama 1er, quand Ranavalona son épouse lui succède, elle garde à son tour le père de Ratsitatane parmi ses conseillers.»
Le rôle décisif des anglais
Les premiers religieux de la London Missionary Society débarquent à Madagascar en 1818. Des Anglais deviennent des conseillers du roi Radama 1er, dont James Hastie, un collaborateur du gouverneur Farquhar. «Le roi avait un faible pour la civilisation occidentale. Il a un peu écarté les autres membres de la cour, dont Ratsitatane», explique le président de l’association des descendants.
Lors d’une bataille dans le sud de Madagascar, les troupes de Radama 1er subissent une lourde défaite parce que les rois du Sud ont pratiqué la politique des terres brûlées. Ratsitatane a accusé James Hastie d’être responsable de la défaite. Face à ces accusations, Hastie a envoyé un message au roi. Radama 1er a tranché. Pour avoir menacé Hastie, Ratsitatane mérite la mort. Le roi et ses conseillers décident : «Comme c’est un prince, il ne faut pas faire couler le sang royal. Ils ont trouvé l’astuce de l’envoyer à Maurice.»
À Maurice, Ratsitatane est incarcéré au bagne à Port-Louis, alors situé non loin du Musée de l’esclavage intercontinental. «Il n’avait pas le statut d’esclave», précise Six Andrianilaina. Ratsitatane avait une certaine liberté de mouvement à l’intérieur de la prison. Des Malgaches à Maurice lui rendent visite au bagne. «Un cercle de Malgaches s’est formé autour de lui.»
Le gouverneur Farquhar décide d’éloigner Ratsitatane en le déportant à Rodrigues, ce qui complique un éventuel retour à Madagascar. «Il est supposé que Ratsitatane ne parle pas l’anglais. Mais il a côtoyé Hastie pendant deux ans, peut-être qu’il a saisi le sens de ce qui avait été décidé, alors que son plus vif désir était de retourner à Madagascar.»
Entre en scène Laizafy, «un apprenti qui est au bagne. Peut-être qu’avec la complicité des Anglais, Laizafy propose à Ratsitatane de s’évader». Le jour de l’évasion, Ratsitatane court à travers Port-Louis «aidé par des Libres malgaches». Direction la Montagne des Signaux. Après trois jours de cavale, Ratsitatane et ses complices sont capturés dans des champs de canne à Trianon.
Pèlerinage sur l’île de sa mort
Une journée de pèlerinage sur les lieux où est passé Ratsitatane à Maurice. C’est ce qu’ont vécu des membres de l’association des descendants RR & R en octobre 2023. «C’était très émouvant», se souvient Six Andrianilaina. «Nous avons senti que Ratsitatane était avec nous. Il est revenu avec nous à Madagascar».
Projet de musée
Aujourd’hui est aussi lancé le Projet Interculturel Ratsitatane, «pour l’immortaliser à travers l’Histoire, l’art et la conservation du patrimoine». Il s’agit de construire un musée à Ambohitsararay dans le domaine familial, à 12 km au nord de Tananarive. Musée qui comprendra deux édifices: d’une part une maison traditionnelle malgache. «Nous n’avons ni outils, ni vêtements, rien de Ratsitatane», reconnaît le président. «Mais nous avons une grande chose: sa culture, sa religion, son éducation, son école de guerre. Tout ce qui concerne la civilisation malgache à l’époque de Ratsitatane.» D’autre part la seconde structure sera une «case créole où sera racontée la vie de Ratsitatane à Maurice».
POV,un descendant à Maurice
Notre collègue le dessi- nateur William Rasoanaivo, qui signe POV, est aussi l’un des descendants de Ratsitatane. «C’est l’ironie de l’Histoire, de se dire qu’après ce qui s’est passé, je sois venu à Maurice», s’émerveille-t-il
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