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Les mirages de la croissance immobilière
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Les mirages de la croissance immobilière
Avinash Gopee, le directeur de N-G Group, a renoncé à son projet de développement touristique à Anse-la-Raie, mais que fera le gouvernement ?
Nous vivons à l’ère d’une féroce contradiction : celle de l’opposition entre le désir du gouvernement de miser sur développement immobilier, bétonnant sans relâche notre territoire microscopique, et la réalité des événements climatiques qui nous rappellent de plus en plus souvent que les conséquences écologiques, sociales et économiques seront appelées à être de plus en plus dramatiques.
Depuis au moins deux décennies, notre île est tombée sous le charme enivrant de la croissance économique basée sur le développement immobilier. Il pèse certes de manière conséquente dans le panier des investissements bruts directs à en juger par le taux des investissements étrangers dans le Real Estate en 2022 : Rs 15 422 milliards sur un total de Rs 27 658 milliards. C’est une tendance vérifiable depuis plusieurs années. C’est aussi la preuve que nos décideurs ont fait le choix du facile et du court terme ! Incapables de mettre en place les conditions pour faire émerger des industries innovantes et viables qui donneraient un nouvel élan à notre économie, ils se ruent sur la transformation des terres agricoles en zones bétonnées.
L’interview donnée il y a quelques jours par la Chief Executive Officer de Landscope, Naila Hanoomanjee, dans laquelle elle vante la Côte-d’Or Technopole comme un triomphe économique en est une preuve de plus. Malheureusement, le journaliste ne lui a pas demandé son avis sur les risques de dépendance sectorielle et les conséquences écologiques. Elle a donc superbement ignoré ces aspects. Elle est dans son rôle : celui d’exécuter une promesse du gouvernement annoncée dans le discours budgétaire de 2020-2021.
Cependant, derrière le récit triomphant, une analyse politique et économique critique mérite d’être posée. Sur le plan économique, faire reposer trop fortement la croissance économique du pays sur l’immobilier peut s’avérer dangereux : montée de l’endettement – public ou privé –, création d’une bulle sur les prix, détournement de ressources financières ou humaines qui auraient pu être affectées à des secteurs plus productifs à long terme, etc. La Banque mondiale elle-même a mis en avant dans certains rapports ces difficultés auxquelles ont été confrontées certaines économies trop dépendantes du secteur immobilier.
Les ambitieux chiffres annoncés sur la création d’emplois sont trompeurs. Les questions sont nombreuses sur la réalité de ces emplois à long terme, sur le recours massif à la main-d’oeuvre étrangère, sur la formation nécessaire et la répartition équitable des opportunités. Est-il vraiment judicieux d’orienter nos jeunes vers ces emplois de la construction, où ils sont de plus en plus concurrencés par la main-d’oeuvre étrangère à bas coût ? Ne serait-il pas plus intéressant pour eux comme pour le pays de les préparer aux défis de demain dans les secteurs des services, ou de l’informatique ou de l’intelligence artificielle qui inonde le monde ? Mais il est vrai que cela suppose une vraie politique d’amélioration de l’éducation, sur le long terme…
Par ailleurs, nous ne pouvons pas passer outre que les développements immobiliers d’une telle envergure exercent en général des pressions sur le marché local. L’augmentation des coûts de construction, comme si bien mentionné dans l’interview, contribue à une hausse des prix immobiliers, excluant potentiellement une partie de la population locale de l’accès au logement. Les initiatives telles que les Smart Cities, bien que visant à stimuler le marché, peuvent également contribuer à intensifier les inégalités.
Enfin, l’impact écologique de ce développement immobilier est totalement négligé alors que ces dernières semaines les aléas climatiques nous ont encore rappelé notre vulnérabilité. Les inondations à Souillac et celles de la route St-Jean à Quatre-Bornes exposent au grand jour le désastre d’une absence totale de réflexion sur l’aménagement du territoire.
Pourtant, dans l’Est, les citoyens doivent encore se mobiliser pour dire non au développement d’un énième projet de parc hôtelier intégré à Anse-la-Raie. Les ambitions limitées de nos décideurs du jour se fracasseront demain sur le béton qu’ils nous donnent comme horizon ! Alors que nos villes se meurent et demandent à être réorganisées, leurs économies reboostées, leurs centres redynamisés, le gouvernement va construire ailleurs, faute de pouvoir repenser ces espaces urbains que nous avons gaiement enlaidis et rendus inopérants ! Dans de nombreuses villes dans le monde, les élus se battent pour enclencher la désimperméabilisation des sols, devenue un impératif vital ; ici on asphalte et on bétonne. Quand ailleurs, on pense à doter les zones habitées de jardins-éponges, de mares pour absorber les eaux montantes, ici on couvre les «wetlands» de constructions. Sur un sol imperméabilisé, 55 % des eaux pluviales ruissellent et seules 15 % s’infiltrent. Un chiffre qui passe à 50 % sur une surface naturelle, où le ruissellement ne concerne plus que 10 % de l’eau. Ce n’est pas moi qui le dis, mais une étude publiée récemment dans la revue Nature Climate Change.
L’illusion de la croissance immobilière, construite sur des chiffres fragiles parce que viables à court terme et des bases écologiques compromises, nécessite une réévaluation sérieuse de notre modèle de développement. Comment ne pas comprendre que la prospérité durable de notre pays repose sur les liens intrinsèques entre l’économie et la préservation éclairée de notre patrimoine naturel ?
«Qui sème le béton aura bientôt la dalle.» Il n’y a plus qu’à espérer que l’humour grinçant du titre de cet ouvrage éclairant de Jean-Christophe Robert, technicien français agricole spécialisé dans le développement rural et l’éducation populaire, puisse frapper l’esprit de nos dirigeants !
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