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«Financial Crimes Commission»
Libertés en danger
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«Financial Crimes Commission»
Libertés en danger
Au fil des semaines, la polémique autour du projet de loi sur la «Financial Crimes Commission», enfle de plus en plus. Alors que les débats reprennent à l’Assemblée nationale aujourd’hui, les questions s’enchaînent et les réponses restent maigres, voire inexistantes. Après les interrogations sur les pouvoirs du Directeur des poursuites publiques, qui se retrouvent grandement amoindris, l’attention est désormais braquée sur l’article 66 de cette loi, qui «légalise le piratage», selon des experts dans le domaine.
Article orwellien
L’article 66 du projet de loi prévoit que le directeur de cette future Financial Crimes Commission (FFC), nommé par le Premier ministre, peut mettre une personne sur écoute. Ici, la loi ne prévoit pas de suspicions raisonnables pour justifier cette décision. Cette surveillance est définie comme le contrôle permanent, l’observation ou l’écoute d’une personne, ses mouvements, conversations ou autres activités de communication, à partir d’un espace public, avec pour résultat probable, l’obtention d’informations privées sur cette personne ou une autre personne. Ici, contrairement à la pratique en cours, il n’y aura plus besoin de l’ordre d’un juge pour placer cette personne sur écoute.
Le paragraphe 2 de cet article prévoit qu’en cas de suspicions, avec l’ordre d’un juge en chambre, une personne peut être placée sous une surveillance intrusive, qui se réfère à une forme de suivi très personnel. Elle implique l’observation, l’écoute et le suivi des déplacements, conversations et activités d’une personne dans des espaces privés, tels que logement, véhicule personnel ou propriété privée. Contrairement à la surveillance générale dans des lieux publics, elle s’étend à l’utilisation de dispositifs technologiques avancés, comme des appareils de surveillance spécialisés, drones ou autres équipements électroniques, pour pénétrer des lieux privés.
Cette pratique est caractérisée par son intensité et sa capacité à recueillir des informations privées dans des environnements normalement considérés comme sécurisés ou personnels. La loi légalise également l’interception d’équipements. Dans la définition donnée dans le projet de loi, ceci désigne l’action d’interférer à distance ou physiquement avec des ordinateurs ou appareils semblables tels que tablettes, smartphones, câbles, fils et dispositifs de stockage statiques dans le but d’obtenir des communications, données d’équipements ou autres informations.
Par ailleurs, les relations humaines sont aussi sujettes à la surveillance. Le «conduct of covert human intelligence source» implique l’usage discret de personnes pour le renseignement. Ces individus, opérant sous couverture, sont chargés de recueillir des informations par le biais de contacts interpersonnels pour aider des investigations. Ils établissent ou maintiennent des relations, personnelles ou autres, avec des individus, et cela, dans un objectif caché : celui de faciliter des opérations de surveillance, y compris la surveillance intrusive. Ces relations sont utilisées de manière secrète pour acquérir des informations ou pour permettre à d’autres d’y accéder. De plus, toute information obtenue via ces relations, ou en conséquence de leur existence, peut être divulguée de manière tout aussi secrète.
Aucune supervision judiciaire
Me Germain Wong estime que les deux clauses de l’article 66 présentent deux scénarios distincts régissant la mise en place de mesures de surveillance. Pour l’avocat, la garantie d’un ordre de la cour n’est pas automatiquement déclenchée, laissant ainsi une possible lacune dans la protection des droits individuels. «Dans de telles circonstances, il devient concevable que des individus soient soumis à une surveillance prolongée, sans que la procédure plus stricte de l’article 66(2) ne soit activée. Quiconque peut être écouté pendant des années sans la nécessité d’un ordre de la cour. Le FCC Bill est silencieux là-dessus ! Il n’y a pas de temps imparti pour sauvegarder ces enregistrements. Serait-ce pour un temps indéfini ?» Le juriste fait ressortir que toute loi est présumée constitutionnelle. «Pour qu’un article de la loi soit déclaré anticonstitutionnelle, il faut une affaire intentée en Cour suprême par une personne qui se sent lésée. Si la cour est d’avis que cet article de la loi est contraire à notre Constitution, c’est alors que celle-ci peut être déclarée anticonstitutionnelle.» Revenant à l’article 66 du FCC Bill , Me Wong est d’avis que le monde criminel financier a grandement évolué et qu’il est donc impératif que le régulateur soit doté de pouvoirs pour combattre le crime financier. «L’article 66 du FCC Bill paraît séduisant sur la forme, mais sur le fond, il est loin d’être parfait», observe-t-il.
Pour l’avocat, il y a déjà plusieurs problèmes constitutionnels avec cet article 66. «L’article 66(1) autorise le directeur des investigations à mettre sur écoute une personne si c’est ‘proportionné’ et dans l’intérêt public. Ce pouvoir est trop subjectif, et le droit constitutionnel de tout citoyen à sa vie privée pourrait être lésé car l’article 66(1) ne prévoit pas les cas limités dans lesquels l’écoute et l’enregistrement pourraient être faits. Ainsi, il pourrait y avoir un abus de ce pouvoir car l’article 66(1) ne restreint pas ce pouvoir aux reasonable suspicion cases. De plus, il n’y a pas de judicial supervision car un ordre de la cour n’est même pas exigé. Tout cela ne satisfait pas le test de : ‘Is all this reasonably justifiable in a democratic state’», maintient Me Germain Wong.
Le cas de la carte biométrique
Par ailleurs, poursuit Me Wong, l’article 66(5) du FCC Bill prévoit que les éléments obtenus sous l’article 66(1) seraient admissibles en cour. «Ainsi, pour que cela soit produit en cour, il faudrait que cette écoute soit enregistrée et sauvegardée. Mais le FCC Bill est silencieux là-dessus ! Il n’y a pas de temps imparti pour sauvegarder ces enregistrements. Serait-ce pour un temps indéfini ? De plus, qui va protéger la ‘sécurité’ de ces enregistrements ? Je pense donc qu’il n’y a pas eu assez de réflexion au moment du drafting de cette loi.» Le juriste cite le cas de la carte biométrique dans lequel non seulement la Cour suprême, mais aussi le Conseil privé, a statué que la sauvegarde des empreintes pour un temps indéfini et sans mesure de protection était anticonstitutionnelle.
L’avocat insiste qu’on ne peut créer deux cas de figure sous les articles 66(1) et 66(2) du FCC Bill.«Dans le premier cas, un ordre de la cour n’est pas nécessaire alors que dans le deuxième cas, un ordre du juge en chambre est nécessaire. Si le régulateur est de mauvaise foi, sous la bénédiction de l’article 66(1), toute personne pourrait simplement être mise sur écoute pendant des années sans avoir à passer à l’étape de l’article 66(2).» Ainsi, pour lui, même si l’idée de venir avec ces pouvoirs novateurs est bonne, le drafting laisse à désirer. Sa conclusion : «À l’heure actuelle, l’article 66 du FCC Bill expose à des actions constitutionnelles à moins qu’il ne soit retravaillé et peaufiné avant sa promulgation.»
Preuves erronées
Rajen Valayden, journaliste d’investigation et rédacteur en chef de Capital Media, a consacré une enquête à Verint, un appareil super puissant qui ouvre les possibilités d’espionnage par les technologies de pointe. Entre autres, la reconnaissance vocale qui permet de savoir si une personne utilise un autre numéro, et l’interception les appels, mails, historiques de recherches et messages. À travers l’affidavit juré par Dhanesh Ellayah pour contester le gel de ses avoirs en septembre, il a été établi que le bureau du Premier ministre a déjà fait l’acquisition de ce logiciel. À une question de Reza Uteem sur cette acquisition le 24 octobre, Pravind Jugnauth n’a pas répondu, se contentant de remonter le temps et de parler de ce qui avait été dit sur la police secrète à l’Assemblée nationale en 1971 et les années suivantes. Mais les faits sont là, Verint est présent à Maurice. Cette loi légalisera donc son utilisation.
Dès lors, plusieurs questions se posent. Alors que les membres de l’opposition ont longuement décrié cette pratique, les experts en sécurité en ligne estiment que d’autres problèmes vont se poser. «Disons que des preuves ont été obtenues à travers les écoutes et présentées en cour. Qui confirmera que ces preuves n’ont pas été trafiquées ? Qui répondra ? En cas de falsification de preuves, il devra bien y avoir un responsable. Ce sera qui ?» se demande l’un d’eux. Cependant, il ne partage pas les craintes exprimées sur Verint. «Je continue à penser que ce logiciel a été vendu à des gouvernements qui ne maîtrisent pas le sujet et ne comprennent pas les limitations de l’appareil.»
Selon lui, le piratage le plus commun de cet appareil reste l’envoi d’un SMS silencieux qui permet d’activer certaines fonctionnalités d’un téléphone ou encore, l’interception. «Est-ce que Verint peut outrepasser les encryptions de Whatsapp ou Messenger ? La question reste ouverte», dit l’expert. Si c’est le cas, précise-t-il, cela aura des implications graves pour plusieurs secteurs – notamment financier et bancaire – et les données sensibles en général. Mais son inquiétude est sur la formulation de la nouvelle loi et les technologies récentes. Par exemple, le fait de permettre l’intrusion dans les espaces privés permet d’enregistrer le son des touches sur un clavier, par exemple, et à travers un logiciel d’espionnage existant, recomposer mails, mots de passe et textes, entre autres.
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