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L’oreille cassée et Donald Trump

21 juillet 2024, 13:59

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L’oreille cassée et Donald Trump

Dans les parages diplomatiques de Dupont Circle, je demande au chauffeur de taxi somalien comment se passe la course vers la Maison-Blanche. C’est fini, me lance-t-il, un sourire désabusé aux lèvres.

Il n’y a plus de match, ce n’est pas l’arbitre, mais la balle, qui a sifflé la fin ! Plus nuancée et versatile, la presse, ici, à Washington, D.C., se demande jusqu’à quand Donald Trump, qui reçoit un capital de sympathie sans précédent après la tentative d’assassinat contre sa terrible personne, portera un bandage sur l’oreille droite. Probablement jusqu’à l’élection présidentielle du 4 novembre prochain. Où il est donné favori, désormais logique, contre un Joe Biden qui titube, vacille et oublie de plus en plus, alors que Trump, lui, est devenu le symbole immortel d’un survivant ensanglanté, le poing levé, imperturbable face à un tireur embusqué, ayant eu nettement plus de chance qu’Abraham Lincoln ou les frères Kennedy, voire Ronald Reagan ou Martin Luther King, voire Malcolm X.

Le 5 avril 1968, le jour suivant l’attentat mortel contre Martin Luther King, Jr. à Memphis, Robert F. Kennedy, qui voulait arracher l’investiture des démocrates pour marcher sur les traces de son illustre frère JFK (assassiné, lui, en 1963), a fait un discours qui restera dans les annales de l’histoire politique des États-Unis. Il évoquait la violence politique précisément : «(...) a sniper is a coward, not a hero; uncontrolled, uncontrollable mob is only the voice of madness, not the voice of the people. Violence, whether it is carried out by one man or a gang degrades an entire nation, yet we seemingly tolerate a rising level of violence that ignores our common humanity and our claims to civilization alike. We calmly accept newspaper reports of civilian slaughter in far off lands. We glorify killing on movie and television screens and call it entertainment. We make it easy for men of all shades of sanity to acquire weapons and ammunition they desire…»

Deux mois plus tard, Robert Kennedy, qui allait sans doute remporter l’élection face à Richard Nixon, trouvera lui aussi la mort, brutale, sanglante. Sirhan Sirhan, un Palestinien de 24 ans, qui n’approuvait pas la vision politique des frères Kennedy, n’avait pas visé son oreille. Il a tiré à bout portant, une fois, deux fois, plusieurs fois, tuant Robert Kennedy, 42 ans, et changeant le cours de l’histoire.

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«L’Oreille cassée» (1937) est un des albums les plus connus de Tintin/Hergé. Le reporter s’embarque pour l’Amérique du Sud afin de récupérer un fétiche volé. Là-bas s’opposent toutes sortes d’intérêts : militaires, économiques, la guerre du Gran Chaco venant d’opposer, trois ans durant, la Bolivie et le Paraguay. Sont abordées dans la BD les composantes de la réalité latino-américaine : la révolution, les putschs, le jeu des militaires, les ventes d’armes, les trafics en tout genre, le jeu des multinationales... Hergé distille la thèse suivante : les dictateurs et les régimes fantoches des républiques bananières sont manipulés par la haute finance internationale et les complexes militaro-industriels des grandes puissances du moment, c’est-à-dire les États-Unis et la Grande-Bretagne (qui campent aujourd’hui encore sur Diego Garcia). Le livre demeure d’actualité et Trump nous ramène dans la fiction en puisant dans la réalité. Le bandage sur son oreille en restera la preuve... vivante. Sonore.

Des artistes dessinent un nouveau Trump, pas celui qui avait appelé à l’insurrection du Capitole. Mais celui qui se relève, le poing en premier, en martelant : «Fight, fight, fight !» Sa façon de s’incliner face à la balle du sniper (dans la vingtaine aussi), comme dans le film «Matrix», son calme, son visage en sang et toujours le poing en l’air ont transformé Donald Trump en légende vivante parmi bon nombre d’Américains, y compris parmi ceux qui ne le tenaient pas en odeur de sainteté, comme l’auteur de ces lignes. La tentative d’assassinat du 13 juillet dernier a changé pas mal de choses. Et notre regard sur lui.

Les conversations que nous avons avec les confrères à Washington, D.C, attestent, s’il le fallait, que le candidat républicain part largement favori pour l’élection présidentielle du 4 novembre, à moins d’un revirement spectaculaire de la situation, qui soit tout aussi, sinon plus spectaculaire, que la balle qui a effleuré l’oreille droite de Donald Trump. On se serait cru dans un film du genre «House of Cards» : en pleine crise politique, un président qui chute dans la vraie vie et dans les sondages, qui s’accroche au pouvoir alors que son propre camp, avec les services secrets, organisent un coup d’État contre son rival... Les coups de feu ont résonné en direct sur les chaînes de télévision de la Pennsylvanie. On a tous vu les images. La politique est un spectacle violent.

Entre l’assassinat du président Kennedy et la tentative d’homicide contre Ronald Reagan, les destins brisés de Robert Kennedy, de MLK et Malcolm X, les États-Unis demeurent le théâtre de plusieurs assassinats politiques ainsi que de tentatives d’assassinat. «L’histoire des violences entachant la campagne présidentielle remonte à plus de cent ans», rappelle le «Los Angeles Times». Beaucoup font un parallèle entre 2024 et 1968, année d’émeutes raciales et de manifestations anti-guerre, note pour sa part le «New York Times». Et beaucoup redoutent que la tentative contre Donald Trump ne marque l’avènement d’une «nouvelle ère de violences politiques». Ce qui n’est pas sans rappeler qu’en 1912, le président Theodore Roosevelt faisait un discours de campagne alors qu’une balle se logeait dans sa poitrine. Le «New York Times» ajoute : «Aucune tentative d’assassinat contre un président ou un candidat de premier plan n’avait autant exacerbé les divisions partisanes depuis qu’Abraham Lincoln a été abattu par un sympathisant confédéré, en 1865, au sortir de la guerre de Sécession. Les présidents James A. Garfield [en 1881], William McKinley [1901) et John F. Kennedy [1963] ont été abattus par des hommes armés isolés [...] mais ces meurtres n’ont pas suscité de clivage entre républicains et démocrates. Il en fut de même pour les assassinats manqués du président élu Franklin D. Roosevelt [1933] et du président Gerald R. Ford, visé à deux reprises en 1975.»

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L’histoire change de cours en 2024, devant nos yeux. Après qu’un jury de New York a trouvé Trump coupable d’avoir falsifié ses comptes de la campagne de 2016, ne voilà-t-il pas qu’un tireur embusqué, qui a apporté ses motivations dans sa tombe, transforme le rival de Biden en héros immortel. Ce qui conforte le discours de Trump qui a toujours dit qu’il est une victime de l’«État profond», prévenant souvent, avant l’heure, qu’on essaierait de lui ôter la vie.

Les mots peuvent tuer aussi. Dans le camp de Biden, l’on réalise le mal fait. Les discours sont aujourd’hui revus. Il y a une quinzaine de jours, lors d’un meeting pour galvaniser les grands donateurs (qui n’agissent pas dans l’ombre), Joe Biden avait lâché, en toute innocence, mais avec conviction : «Nous avons assez parlé du débat télévisé contre Trump, il est temps de le mettre dans le viseur.» Ses voeux, certes métaphoriques, ont été exaucés d’une certaine façon... D’autant que le tireur ne peut plus parler, ayant été réduit au silence par un autre sniper, payé par les contribuables celui-là...

À la semaine prochaine, pour d’autres aventures au pays de Biden. Et de Trump ! La baraka va-t-elle changer de camp ?

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Nad Sivaramen (de Washington, D.C.)

Directeur des publications