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Make or break budget
Dans quelques heures, le ministre des Finances va se livrer à un périlleux exercice d’équilibriste, dont la portée dépassera la chose économique. S’il est vrai que le Budget demeure avant tout un exercice éminemment comptable, il sera, cette année, politisé plus que jamais, autant par le gouvernement que par l’opposition et les observateurs. Points qu’on surveillera en particulier : le coût de la vie, l’inflation, la valeur de la roupie, le déficit budgétaire et la dette publique.
Renganaden Padayachy devra adapter son rôle de catalyseur du développement économique avec son costume de politicien – qui doit veiller à la réélection du MSM pour un troisième mandat.
Au ministère des Finances, on souffle le chaud et le froid. Non, nous dit-on, le discours du Budget 2024-2025 ne sera pas un manifeste électoral, même s’il pourrait contenir des mesures visant à redresser certaines situations actuelles qui font tache sur le bilan gouvernemental. Il faudrait, dans la foulée, respecter la toile de fond du triptyque économie-social-environnement (qui comprend l’écologie et le changement climatique). «Quand on dit économie, il faut continuer la relance post-pandémique tout en respectant certains policy guidelines du FMI et des agences de notation; quand on parle de social, on ne peut pas occulter l’éducation par exemple et pour l’environnement, on ne parlera pas que des drains, mais des mesures pour contrer les effets et impacts du changement climatique…», confie-t-on.
Quand le Premier ministre était lui-même ministre des Finances, il avait bâti son discours autour de trois axes : rééquilibrage de la croissance, amélioration de la productivité et développement de la justice sociale. En 2010, le déficit budgétaire était à 4,5 %, la dette publique de l’ordre de 60,7 % et le taux de croissance de 4,2 % – et le taux de chômage était à 7,5 %. Dans la foulée, Pravind Jugnauth avait formulé un rêve : «...as we rebalance growth, we must also make a great leap forward on productivity in order to propel the economy on a modern development path – a path to emerging opportunities – to a GDP of one trillion rupees by the 2020s and to an income per capita of USD 20,000 and higher. (...) We will also need to integrate the development of the tourism industry in the duty-free shopping paradise vision. It is a new industry that will have a major impact on most key sectors of our economy. (...) It will generate an unprecedented synergy and put Mauritius on the same development track where countries like Singapore and Dubai have treaded before us…»
Quatorze ans et une longue et pénible pandémie plus tard, le discours de Pravind Jugnauth reste d’actualité puisqu’on vient de retrouver notre niveau pré-pandémique.
Avec le Covid-19, l’économie mauricienne, qui était en décroissance depuis une quinzaine d’années (de 4,4 % à 3,7 %), s’est retrouvée à genoux. Ses principaux piliers (sucre, textile, tourisme et services financiers) étaient à bout de souffle bien avant l’apparition du petit virus invisible.
Pour beaucoup, malgré ou en raison de l’imminence des élections, c’est aujourd’hui le moment idéal pour opérer la transformation et ajouter de nouveaux pôles de développement économique (économie bleue, énergie verte, production agroalimentaire, services financiers plus pointus, tourisme culturel, etc.).
Le premier Budget de Padayachy, en juin 2020, s’activait à redonner du peps à l’économie, et confiance aux investisseurs et partenaires sociaux. Avec la manne financière provenant de la Banque de Maurice, un «Helicopter Money» selon Rama Sithanen, Renganaden Padayachy pouvait se permettre des mesures fortes et innovantes afin de relancer les secteurs du tourisme, de l’offshore, des services financiers et de la construction, tout en favorisant l’émergence du développement durable, des énergies renouvelables, et de l’agriculture raisonnée (qui n’est pas sortie des terres). Le tout dans une double stratégie nationale de relance et d’adaptation au changement climatique.
Avec les amendements contenus dans la Covid-19 (Miscellaneous Provisions) Act, le gouvernement s’est débarrassé d’une contrainte majeure : il n’y a aujourd’hui plus de plafond de la dette publique. Le ministre des Finances sera jugé, à la veille des élections de cette année, tant sur la forme que sur le fond. Comment fera-t-il pour jongler avec le Consolidated Fund et le Capital Fund afin de réconcilier les revendications et attentes citoyennes, tout en respectant les consignes des institutions internationales ?
Alors que Maurice reste confrontée à une inflation forte, l’approche du ministre Renganaden Padayachy devrait trouver ce «point d’équilibre» entre les employés et les entrepreneurs.
Le salaire minimum de Rs 18 500 représente une avancée sociale mais devient un coût difficile pour nombre d’entreprises qui cherchent un allègement fiscal. En six ans, se plaît à répéter le gouvernement de Pravind Jugnauth, les salaires au bas de l’échelle ont augmenté de plus de 160 %. Il en est de même pour les pensions qui deviendront plus lourdes avec le vieillissement de la population. Le challenge pour le Grand argentier, grand adepte de Piketty, est de sous-peser l’acte politique sans sous-estimer l’acte économique, puisque les deux sont issus de la même pièce de monnaie. Entre-temps, ceux qui touchaient davantage que le salaire minimum s’attendent désormais à ce que l’équilibre salarial – ce fameux différentiel entre revenus – soit rétabli…
Cette politique de majorer les salaires en partant du bas, si elle n’est pas maîtrisée, pourrait devenir, sur le moyen terme, une spirale infernale et également étouffer la compétitivité, affecter la productivité des cadres moyens, et décourager l’investissement, entraînant alors à des pertes d’emploi et une stagnation économique, et une augmentation de la dette. Mais les politiciens tendent à privilégier les gains immédiats au détriment de la stabilité à long terme, en se focalisant sur des mesures garantissant leur popularité et leur réélection. Sans victoire électorale, la vision stratégique restera sur les récifs.
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