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Malthus, Schumpeter et le rôle de l’État

3 octobre 2024, 09:10

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...ou la redistribution sociale et la justice sociale

À l’approche des élections, Maurice assiste à une pluie de promesses de mesures sociales ambitieuses. L’augmentation substantielle de la pension de retraite de base (BRP), le remboursement des frais de médicaments et un programme de prêts immobiliers sans impôt pour les jeunes de 18 à 35 ans sont au coeur de ces annonces. Cependant, ces propositions soulèvent des questions : ces initiatives sont-elles de réelles solutions économiques ou risquent-elles d’aggraver la situation financière du pays ?

Maurice, comme tant d’autres pays, tente de jongler entre la réponse immédiate aux besoins de la population et la durabilité financière à long terme. Alors que des économistes comme Paul Krugman mettent en garde contre des dépenses sociales non adossées à une croissance soutenue, l’île doit se poser la question : peut-elle réellement se permettre de telles largesses sans réformes structurelles profondes ?

Pensions et dettes : Une équation complexe

L’augmentation de la pension de retraite peut sembler salvatrice pour les retraités, dont les revenus sont grignotés par l’inflation. Avec la hausse des prix des denrées importées et la dévaluation de la roupie, une telle aide semble nécessaire. Paul Krugman lui-même souligne que les dépenses sociales peuvent relancer la demande, en particulier dans des secteurs comme le commerce de détail et les services, particulièrement fréquentés par les personnes âgées.

Mais Krugman avertit également : sans ajustements structurels, notamment au niveau fiscal, l’augmentation des pensions pourrait rapidement aggraver les déficits budgétaires. Pravind Jugnauth assure que la dette restera sous contrôle, mais combien de temps pourra-t-on tenir cette promesse sans réformes durables ? Sans une approche plus équilibrée, Maurice pourrait se retrouver dans une spirale de dette croissante et de stagnation économique, préviennent certains esprits.

La jeunesse et le rêve immobilier

Offrir des prêts immobiliers sans impôt aux jeunes de 18 à 35 ans se révèle une mesure alléchante pour encourager l’accès au logement et relancer un secteur de la construction en manque de dynamisme hormis, bien entendu, les projets Smart City ou IRS. En aidant les jeunes à devenir propriétaires, le gouvernement cherche à stimuler l’économie tout en répondant à un besoin social. Il faudra en parallèle donner aux jeunes l’envie de rester au pays et les moyens de financer leur prêt à taux zéro.

Amartya Sen, économiste reconnu, insiste sur l’importance de ces politiques pour renforcer la cohésion sociale et la mobilité économique. Cependant, la viabilité de ces mesures à long terme reste incertaine. Si elles sont financées par l’emprunt, les jeunes d’aujourd’hui pourraient se retrouver à payer demain par des impôts plus lourds ou une détérioration des services publics. Quant à Thomas Piketty, spécialiste des inégalités économiques, il plaide pour une révision en profondeur du système fiscal pour le rendre plus juste. Selon lui, il ne s’agit pas seulement de distribuer des aides ponctuelles, mais de concevoir un cadre fiscal où les plus riches contribuent davantage au financement de l’État. En suivant l’exemple de pays comme la Suède ou le Danemark, Maurice pourrait stabiliser ses finances publiques tout en maintenant un haut niveau de dépenses sociales.

Cependant, la situation mauricienne ne permet pas une simple transposition des modèles nordiques. Avec une base fiscale plus réduite et une réticence à augmenter les impôts, le défi est de trouver un équilibre entre redistribution et croissance. Des réformes fiscales, comme l’augmentation des impôts sur les revenus élevés et les entreprises, sont-elles nécessaires pour que les promesses sociales ne deviennent pas un fardeau insoutenable ?

Malthus, Schumpeter : À chacun sa vision

Entre la vision pessimiste de Malthus, qui prédisait une raréfaction des ressources, et l’optimisme de Schumpeter, pour qui l’innovation est la clé de la prospérité, le rôle de l’État dans l’économie reste crucial. Si Malthus mettait en garde contre les dangers de la surconsommation et de la dette incontrôlée, Schumpeter rappelait que l’innovation et l’entrepreneuriat sont des moteurs essentiels pour régénérer l’économie.

L’État mauricien doit donc jouer un rôle équilibré : il doit réguler le marché, redistribuer les richesses, mais aussi encourager l’innovation et la création de nouveaux secteurs porteurs. En effet, le développement de secteurs comme l’énergie verte ou les technologies numériques pourrait offrir à Maurice des moteurs de croissance durable.

Les promesses sociales, bien que populaires, doivent s’accompagner de réformes fiscales et structurelles si nous voulons éviter de sombrer dans un surendettement incontrôlé. En repensant son système fiscal et en encourageant l’innovation, Maurice pourrait trouver un équilibre entre protection sociale et croissance économique.

Comme le soulignait Schumpeter, chaque crise est aussi une opportunité de réinvention. Maurice doit donc saisir cette occasion pour repenser son modèle économique et s’assurer que les promesses électorales ne trahissent pas l’avenir du pays, mais, au contraire, qu’elles puissent le réinventer.