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Adi Teelock, de Platform Moris Lanvironman et militante écologiste

«Mare-Chicose est-elle encore un engineered landfill ou une décharge incontrôlée ?»

25 novembre 2024, 15:00

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«Mare-Chicose est-elle encore un engineered landfill ou une décharge incontrôlée ?»

Adi Teelock, de Platform Moris Lanvironman et militante écologiste.

Les incendies dans les décharges reflètent-ils une défaillance structurelle dans notre système de gestion des déchets ? Quelles stratégies les responsables des décharges peuvent-ils adopter pour mieux maîtriser les risques d’incendie ?

Non, les incendies ne sont pas une défaillance structurelle du système de gestion des déchets. C’est un cas de mauvaise gestion du centre d’enfouissement technique (CET), ou engineered landfill en anglais. Dans un engineered landfill, comme le CET de Mare-Chicose est censé l’être, si les bonnes pratiques sont suivies, il ne devrait pas y avoir d’incendie.

Ces bonnes pratiques concernent la préparation des cellules avec une membrane au sol et sur quatre côtés avant la réception des déchets, le compactage des déchets, le recouvrement des couches de déchets avec de la terre (ces deux dernières mesures visant à empêcher l’infiltration d’oxygène dans les couches de déchets) et la récupération de méthane (gaz hautement inflammable) afin d’éviter le risque d’incendie en cas de contact avec de l’oxygène. Le suivi est également crucial pour s’assurer que les bonnes pratiques pour les engineered landfills soient respectées.

Au vu des incendies à répétition, on peut légitimement se demander si Mare-Chicose est toujours un engineered landfill ou si elle est devenue une décharge incontrôlée. Des incendies ont été rapportés dans la presse en 2018, 2022 et 2024, et cette année, en plus de celui qui a commencé le 6 novembre, il y en a eu deux autres.

Le centre d’enfouissement technique de Mare-Chicose est-il un mal nécessaire ?

Malheureusement, l’enfouissement a été l’option choisie au milieu des années 1990 comme méthode de gestion des déchets solides, pour remplacer les décharges. Quelques voix isolées, comme celle de la Society for the Protection and Conservation of the Environment, avaient proposé une autre solution, comprenant le compostage des déchets verts, l’arrêt de l’utilisation de bouteilles en plastique pour les boissons gazeuses et la mise en bouteille plastique de l’eau potable. Mais l’argument de la contribution à la croissance économique a pris le dessus et le CET a été mis en place.

En 2010-2011, les consultations Maurice Île Durable (MID) ont conduit, en 2012, à une stratégie fondée sur le principe des 3R, selon la hiérarchie d’une gestion soutenable : d’abord la réduction des déchets, puis, le réemploi et le recyclage (incluant le compostage). Toutefois, après les élections de fin 2014, le gouvernement MSM-Lepep a abandonné MID pour des raisons purement politiques en déclarant que l’environnement n’était pas une priorité. Jusqu’en 2018, ce gouvernement insistait pour que l’incinération des déchets solides soit la solution.

Suite aux Assises de l’environnement en 2019-2020, le gouvernement Lepep a proposé l’économie circulaire comme solution. Or, l’économie circulaire privilégie l’économie et les affaires, plutôt que la réduction des déchets solides au minimum, à travers l’arrêt de la production de déchets plastiques jetables par exemple. Les mesures prises ont donc été trop timides et trop lentes à se déployer, en particulier en ce qui concerne l’élimination des déchets solides comme les plastiques jetables et le compostage. Par exemple, ce n’est qu’en 2024 que le contrat pour deux Material Recovery Centres régionaux a été attribué sur la base d’un partenariat publicprivé, à la même entreprise qui opère MareChicose. Entre-temps, le ministère de l’Environnement a opté pour l’expansion verticale de Mare-Chicose, faute d’avoir pu obtenir d’autres sites d’enfouissement.

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Et nous voilà aujourd’hui dans la situation que l’on connaît : des montagnes de déchets entassées pendant 30 ans. Une partie de ces montagnes est en feu depuis plus de 15 jours, rendant l’air irrespirable pour des milliers de citoyens et entraînant des problèmes de santé graves pour certains d’entre eux. De plus, l’environnement souffre de cette pollution de l’air et des débordements de lixiviat (effluent liquide) dans les cours d’eau ou de l’infiltration dans le sol.

Comment s’assurer que les incendies ne se reproduisent plus ?

Platform Moris Lanvironman a soumis ses attentes immédiates au nouveau gouvernement. Parmi celles-ci figure un audit technique de la gestion du CET de MareChicose. Cet audit est essentiel pour identifier les causes des incendies récurrents et déterminer les responsabilités du ministère de l’Environnement, de l’opérateur choisi par le ministère et du consultant qui est le représentant du ministère pour le suivi de l’opération du CET. Cet audit doit couvrir les aspects opérationnels et contractuels. Sinon, la situation de mauvaise gestion perdurera avec tout ce que cela implique. En outre, en cas d’incendie, il doit y avoir un plan d’urgence rigoureux. Or, il semble qu’il n’y ait pas de plan d’urgence à Mare-Chicose, ce qui est criminel, car cela met en danger la vie des habitants et des travailleurs sur le site.

Comment encourager le public et les acteurs économiques à adopter de bonnes pratiques de gestion des déchets solides ?

Ce n’est pas sorcier ! D’abord et avant tout, il faut éliminer les déchets solides comme les plastiques jetables et tout emballage superflu. Les acteurs économiques doivent être les premiers à agir. La transformation des déchets verts en compost ou en biogaz par méthanisation sera bénéfique pour la production de légumes et pour la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. Tout le reste – c’est-à-dire les plastiques autres que les bouteilles PET, le carton, le textile, le bois et le métal – doit être recyclé ou réemployé. Ce ne sont que les déchets résiduels (qui ne peuvent être ni compostés ni recyclés ni réemployés) qui devraient être envoyés au centre d’enfouissement. Et là, le gouvernement doit prendre le taureau par les cornes en mettant en œuvre une politique, une stratégie et un plan à la hauteur des enjeux.

Quant au public, il peut adopter les bons gestes en refusant d’acheter des produits jetables, et en pratiquant le recyclage et le compostage.