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Portrait

Martine Lajoie: Une «chasseuse de têtes» particulière

23 mars 2024, 16:30

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Martine Lajoie: Une «chasseuse de têtes» particulière

Martine Lajoie, fondatrice de Koud’min.

Nous ne sommes pas tous égaux devant la maladie, qui frappe à n’importe quel moment. Parfois, les proches du malade n’ont pas le temps ou les dispositions voulues pour l’accompagner. Pour d’autres cas, le manque de moyens ne permet pas de recruter une auxiliaire de vie à plein temps. Consciente de ces réalités pour les avoir vécues, Martine Lajoie, journaliste à «La Vie Catholique», a fondé Koud’min, agence de placement sur mesure d’auxiliaires de vie. Un projet soutenu par La Turbine d’ENL.

Martine Lajoie, 43 ans, mariée et mère de deux enfants, n’avait jamais imaginée qu’elle se lancerait dans une telle aventure. D’autant plus qu’elle est toujours journaliste à La Vie Catholique et ce, depuis une vingtaine d’années, même si durant les huit dernières, elle assiste surtout la rédactrice en chef Danièle Babooram.

«Ma mère et ma belle-mère ont joué un grand rôle dans ce projet que je porte aujourd’hui», raconte-t-elle. Cette détentrice d’un diplôme en communication avec spécialisation en journalisme de l’université de Maurice, boursière de l’École Supérieure de Journalisme française, venait de commencer dans la presse locale lorsque le malheur frappe. Sa mère, une femme de 42 ans, employée dans l’hôtellerie, fait, du jour au lendemain, un accident vasculaire cérébral (AVC), qui la rend hémiplégique. Martine Lajoie, qui n’a à l’époque que 23 ans et une sœur plus jeune, doit alors immédiatement prendre le relais et assumer les charges de la maison, que ce soit le nettoyage, le repassage, la cuisine, les courses, tout en s’occupant de sa mère et en continuant à travailler car il leur aurait été impossible de vivre sur l’unique salaire de son père, tourneur sur la sucrerie de FUEL. «Nous n’étions pas fortunés au point de pouvoir engager une employée de maison ni une garde-malade. J’ai été projetée dans une vie à laquelle je n’étais pas préparée et je suis devenue adulte d’un coup», avoue-t-elle.

Malgré cette épreuve, elle peut alors non seulement compter sur la famille et les amis mais aussi sur ses voisins. «J’ai eu énormément de coups de main. Par exemple, quand ma mère a fait son AVC, c’est le voisin qui l’a transportée à l’hôpital. La voisine venait, par exemple, régulièrement frotter son pied inerte avec de l’huile de moutarde. À d’autres moments, une tante nous apportait un repas pour que nous n’ayons pas à cuisiner. J’ai aussi pu compter sur la direction du journal qui a été très compréhensive à mon égard.»

Le plus dur pour elle c’était de devoir aider pour les soins d’hygiène. «C’était entrer dans l’intimité de ma mère et cela me gênait énormément. Il n’est pas dit qu’un membre de la famille ait toutes les qualités qu’il faut pour accompagner un malade», constate-t-elle. C’est aussi là qu’elle se rend compte que les personnes qui gravitent autour du malade ont besoin d’un moment à elles pour respirer et souffler. «On peut aimer une personne de tout son cœur mais quand la fatigue prend le dessus, on devient irascible et on s’emporte facilement alors que si on avait l’occasion de respirer, cela n’aurait pas été le cas.»

Elle et ses proches doivent aussi motiver la malade. «Il fallait l’encourager à faire des efforts pour qu’elle puisse recouvrer une certaine autonomie.» C’est le cas au bout de trois ans, si bien que Martine Lajoie va de l’avant avec son projet de mariage. Elle vient alors s’installer dans la cour familiale de son mari. La maison où elle vit est jumelée à celle de ses beaux-parents à qui elle doit beaucoup. En effet, Rosemay et Hervé Lajoie ont été pour elle un soutien précieux dans toutes les sphères de sa vie. «Elles étaient des personnes aimantes, disponibles et de bons conseils».

Deux ans après le décès de son beau-père, sa belle-mère tombe gravement malade. Martine Lajoie aide dans la mesure du possible mais sa belle-mère peut aussi compter sur le coup de main de la famille et des amis. Si la malade a les moyens de retenir les services d’une garde-malade, pour l’avoir vécu, Martine Lajoie sait que ce n’est pas le cas pour tout le monde. «Je me suis dit que si nous, nous étions passés par là, combien de personnes malades n’ont pas les mêmes opportunités que nous d’être accompagnées et de bénéficier de ce coup de main.»

Si sa belle-mère décède en l’espace de trois mois, cette idée d’accompagnement des familles, frappées par la maladie, ne la quitte alors plus. L’idée serait sans doute restée en l’état si elle n’en avait parlé à son amie Joanne Cunat. Peu après, celle-ci lui envoie un formulaire de participation au Test Drive de La Turbine (NdlR : Le Test Drive est un programme unique en son genre, conçu par ENL, qui vise à promouvoir les aspirants entrepreneurs qui ont des idées innovantes et durables mais qui ont besoin d’être orientés et accompagnés pour faire aboutir leur start-up et qu’elle soit viable).

Martine Lajoie se tâte, hésite et finit par remplir le formulaire, surtout pour ne pas déplaire à son amie. Au fond d’elle, elle pense que son projet n’intéressera personne. Elle a tort. Diane Maigrot, la directrice de La Turbine, l’appelle pour lui dire que son projet a été sélectionné. Elle passe alors par la période de pré-incubation du Test Drive où elle doit développer son idée de projet et elle se fait accompagner sur plusieurs semaines pour l’aider à le faire se matérialiser. «Le Test Drive dure quelques mois et est très dur. J’ignorais comment structurer mon projet en business, comment faire un business plan, quel était le pouls du marché etc. En 2021, j’ai commencé le Test Drive et j’ai suivi les ateliers avec plusieurs coachs. Alexandrine Maigrot, avec qui je travaillais toutes les semaines, m’a encadrée et m’a aidée à préparer un pitch, qui est la partie finale du projet et qui permet d’obtenir des prix sous forme d’accompagnements par divers acteurs.»

Prendre la décision de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale n’a pas été facile pour Martine Lajoie. D’où son besoin, à ce moment-là, de se confier et d’avoir de l’aide pour discerner. C’est auprès de Sœur Marilyn Radegonde, religieuse de la congrégation des Sœurs de Bon Secours qu’elle trouve une oreille attentive. Et leur partage l’aide à trouver la cohérence entre son projet d’entreprise et sa foi. «Je savais que ma foi n’était jamais loin de cette démarche mais j’avais besoin d’en discuter. Et aujourd’hui, plus le temps passe, plus je me dis que la religieuse avait raison.»

Ayant bénéficié de bon nombre de facilités de la Turbine, en mars 2023, Martine Lajoie a enregistré Koud’min – une évidence vue toute l’expérience vécue à travers la maladie de sa mère et sa belle-mère – agence de placement de garde-malades, d’auxiliaires de vie, de dames de compagnie mais à forte dimension sociale. Comme elle est au journal en matinée, elle a pris pour partenaire Nadia Hilaire, ancienne journaliste à La Vie Catholique, qui gère l’agence en son absence. Martine Lajoie prend le relais en soirée après avoir accordé priorité à sa famille et se lève à 4 heures chaque jour pour assurer la présence de Koud’min sur les réseaux sociaux, préparer les factures et s’occuper du back-office. «Nous ne laissons rien au hasard. Quand un client nous appelle, nous nous faisons un devoir de le rencontrer et de l’écouter longuement pour identifier ses besoins et sélectionner pour lui l’auxiliaire de vie la mieux adaptée. Nous faisons de même avec les auxiliaires de vie et autres garde-malades et dames de compagnie et nous vérifions bien leurs références car nous ne voulons pas envoyer des inconnus chez des clients. Il nous est déjà arrivé de refuser de travailler avec une famille car son environnement n’était pas approprié à une auxiliaire de vie, tout comme on a refusé une auxiliaire de vie car elle ne partageait pas nos valeurs.»

Si Koud’min prend des frais de mise en relation et pratique les prix du marché, elle ne prélève pas de commission sur les honoraires des auxiliaires de vie et autres garde-malades. «Nous fonctionnons comme des chasseurs de tête mais comme notre démarche est celle d’accompagner les familles et de donner un coup de main à une personne en recherche d’emploi, notre devise est de ne jamais placer chez un client une personne que nous n’aurions jamais acceptée chez nous. Koud’min a une dimension sociale forte», assure-t-elle en citant l’exemple du placement d’une auxiliaire de vie analphabète auprès d’un client. «Dès le départ, nous avons dit au client que la personne qui correspondait à ses besoins ne savait pas lire. Il l’a tout de même acceptée et depuis, il est heureux de l’avoir fait car elle est d’un dévouement extraordinaire.»

Bien que ses journées soient longues et remplies désormais, Martine Lajoie ne le regrette pas. «C’est une aventure humaine exceptionnelle. Même si c’est dur car je porte plusieurs casquettes, c’est extrêmement gratifiant. Quand on arrive à trouver l’auxiliaire de vie qu’il faut à une personne désemparée, cela vaut tout l’or du monde…»