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Maurice-Afrique : les enjeux d’un nouveau partenariat
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Éclairage
Maurice-Afrique : les enjeux d’un nouveau partenariat
Think tank du gouvernement en matière de stratégie économique et de développement du pays, l’Economic Development Board (EDB) a réuni, les 2 et 3 octobre, à Balaclava, plus de 150 délégués africains de 16 États ainsi qu’une vingtaine d’institutions financières, des envoyés spéciaux du Premier ministre britannique, Rishi Sunak, et de celui d’Inde, Narendra Modi. Cela, à la faveur de l’édition 2023 de l’Africa Partnership Conference. L’ambition affichée : repositionner à tout prix Maurice comme une plate-forme incontournable auprès des pays du continent africain, tant pour le secteur du financement que pour le développement économique.
Un objectif que Maurice s’efforce d’atteindre, en jouant le rôle de trait d’union entre l’Asie et l’Afrique pour favoriser l’investissement. Et si on se fie à l’étude de Capital Economics, commanditée par l’EDB, Maurice serait sur cette voie, assurant jusqu’ici 9 % des investissements totaux étrangers destinés au continent africain, soit une valeur de USD 82 milliards transitant via Maurice. Le pays contribue chaque année à environ USD 6 milliards en termes de recettes fiscales pour l’Afrique et a contribué à la création de 4 millions d’emplois en Afrique. Des données qui ont, certes, évolué entre 2021, date de publication du rapport, et 2023, encore qu’avec l’avènement de l’African Continental Free Trade Area (AfCFTA), la tendance à l’expansion du commerce intra-africain est déjà une réalité, couplée en plus à une meilleure intégration des pays africains dans la chaîne de valeur.
Le continent africain dispose d’innombrables ressources naturelles. Selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), il abrite aujourd’hui 54 % des réserves mondiales de platine, 78 % de diamants, 40 % de chrome et 28 % de manganèse. Mais, à côté, il y a un potentiel économique avec des atouts que le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a relevés à l’ouverture de la conférence. Soit un PIB combiné qui passera à USD 2,8 trillions en 2023 et 2024, une population en forte croissance atteignant 1,7 milliard en 2030, soit 20 % de la population mondiale. «Déjà, avec 1,2 milliard d’habitants, l’Afrique est déjà considérée comme le deuxième continent le plus peuplé, mais c’est une population jeune qui représente un marché potentiel pour les entreprises et les investisseurs. De plus, la croissance des revenus ainsi que l’augmentation de la classe moyenne vont certainement déclencher de nouveaux modes de consommation.» Et d’ajouter que selon le McKinsey Global Institute, les dépenses des consommateurs africains devraient croître de 3,8 % par an et atteindront USD 2 100 milliards d’ici 2025. Alors que le secrétaire général de l’AfCFTA, Wamkele Mene, voit l’Afrique émerger comme la huitième puissance économique mondiale en 2050, avec un PIB combiné totalisant USD 16,2 trillions.
Terre d’opportunités
Sur papier, l’Afrique reste une terre d’opportunités et «the place to invest», comme le rappellent souvent les slogans publicitaires. Pour autant, l’Afrique a ses propres spécificités économiques, outre le fait qu’elle soit aujourd’hui un terrain fertile pour attirer des puissances économiques mondiales, qui se livrent à des manoeuvres pour satisfaire leurs intérêts géopolitiques.
C’est bien de nourrir de grandes ambitions pour l’Afrique mais le continent a ses propres contradictions, voire des faiblesses structurelles. Il est loin d’être un bloc de pays homogènes, chacun de ses 54 États ne disposant pas du même niveau de développement ou encore de la même stabilité économique et politique. Or, prendre avantage du nouveau potentiel économique du continent et exploiter son vaste marché peuvent être une démarche rationnelle et une aventure exaltante. Mais l’expérience des vaillants entrepreneurs mauriciens, les précurseurs de ce nouveau partenariat Afrique-Maurice, a une autre histoire à raconter. Même si au fil des années, les données ont changé.
Il faut se rendre à l’évidence que l’Afrique compte à la fois des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire, et d’autres à revenu élevé. On trouve sur le continent 22 pays fragiles ou en situation de conflit, et 13 petits États faiblement peuplés. Et la performance de la région est toujours tirée vers le bas par une croissance à long terme plus faible dans les plus grands pays du continent.
D’ailleurs, selon les projections d’institutions internationales, l’activité économique en Afrique du Sud devrait encore diminuer en 2023 (0,5 %) en raison de la crise énergétique, tandis que la reprise de la croissance au Nigeria pour 2023 (2,8 %) reste fragile en raison de la faiblesse de sa production pétrolière.
Mais il y a aussi la dette publique en Afrique subsaharienne, qui a plus que triplé depuis 2010. Le déficit budgétaire de la région s’est creusé pour atteindre 5,2 % l’année dernière, alors que son ratio au PIB s’élevait à 57 % en 2022. Sans compter que la guerre en Ukraine a interrompu le processus d’assainissement budgétaire engagé par de nombreux pays de la région dans le sillage de la pandémie.
L’exploitation du potentiel des ressources naturelles peut aider à améliorer dans une certaine mesure les finances publiques et la dette des pays africains. Les ressources naturelles (pétrole, gaz et minerais) représentent une opportunité économique considérable pour les économies africaines. Toutefois, l’Afrique fait face à un défi de taille pour atteindre ses objectifs, à savoir l’accès universel à une énergie de qualité. En 2022, 600 millions de personnes en Afrique, soit 43 % du continent, n’avaient pas accès à l’électricité, souligne la presse internationale.
En jouant la carte africaine et en dynamisant un nouveau partenariat, l’EDB et le Trésor public, à qui revient l’organisation de cette conférence, ne doivent pas occulter cette autre réalité africaine qui est latente. Sanjeev Sanyal, le conseiller économique de Narendra Modi – qui rappelle avec fierté le positionnement de l’Inde comme la troisième puissance économique mondiale en 2026/26 et le statut de pays développé dans 20 ans –, souhaite accompagner l’Afrique dans la voie de la prospérité économique. Aujourd’hui, ditil, grâce au leadership indien, le continent africain, à travers l’Union africaine, est devenu un membre à part entière du G20. Certes, on peut se réjouir de cette présence africaine au sein de cette instance internationale. Mais des spécialistes de l’Afrique, comme Vijay Makhan, qui se confiait à récemment l’express, ont une tout autre lecture. Il se demande si l’Afrique sera capable de parler d’une seule voix l’année prochaine au prochain sommet, au Brésil, en novembre 2024. Or, l’image que l’Afrique projette est celle d’une région encore politiquement instable où les coups d’État sont légion. Il y en a eu deux récemment, au Gabon et au Niger, et précédemment, au Mali et au Burkina Faso. Il y en aura probablement d’autres à l’avenir, dit-il. À méditer.
Le rideau de la conférence tombé, la responsabilité incombe à l’EDB, le ministère des Finances et d’autres partenaires locaux «to keep the ball rolling» quant aux retombées de cette conférence, qui a certainement dû coûter des dizaines de millions de roupies aux contribuables, malgré la présence des sponsors. Sinon, ce ne sera qu’un événement parmi tant d’autres que l’EDB organise.
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