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Mᵉ Robin Ramburn: «La confiance de la population est ébranlée dans un système qui a fonctionné depuis l’Indépendance»

23 mars 2024, 19:00

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Mᵉ Robin Ramburn: «La confiance de la population est ébranlée dans un système qui a fonctionné depuis l’Indépendance»

Mᵉ Robin Ramburn, Senior Counsel et président du Bar Council.

Le Senior Counsel et président du Bar Council met en lumière les enjeux critiques des affaires opposant le Directeur des poursuites publiques (DPP) au commissaire de police (CP) et à l’État. Ces confrontations, loin d’être des cas isolés ou révoltants, dit l’avocat, reflètent des différends constitutionnels complexes entre des institutions cruciales pour l’administration de la justice pénale. Alors qu’il questionne le rôle passif du président de la République, il souligne le besoin d’une résolution rapide et équilibrée ainsi que l’importance du respect du «rule of law» et du bon fonctionnement des institutions démocratiques. Il aborde également les implications de ces litiges sur la confiance publique et le rôle des différentes institutions dans la protection de la Constitution.

Cas d’école ou révoltante la plainte constitutionnelle opposant le DPP au CP et celle à l’État (contre la FCC) ?Cas d’école ou révoltante la plainte constitutionnelle opposant le DPP au CP et celle à l’État (contre la FCC) ?

Ce n’est ni l’un ni l’autre, car chaque personne qui se sent lésée a droit à une demande de réparation. Je ne pense pas que cela soit un cas d’école dans la première affaire du CP contre le DPP, les raisons avancées sont que le DPP empiète sur ses pouvoirs constitutionnels. De l’autre côté, le DPP estime que ce sont ses pouvoirs constitutionnels qui sont en jeu. Je ne considère pas ces actions comme étant révoltantes car ce sont deux institutions importantes dans l’administration de la justice pénale. Il est important, comme dans n’importe quel pays, d’avoir une façon civilisée de régler une affaire où il y a une différence d’opinion.

Quel est le sentiment général des membres du barreau face à l’escalade de la situation entre le DPP, la police et l’État ?

L’enjeu de cette affaire est une bataille entre deux postes constitutionnels. Personnellement, je trouve dommage la façon dont toute cette affaire a été portée à la connaissance de la population car cela entrave le bon fonctionnement de la justice. En tant que président du Bar Council, je trouve que le rule of law doit prévaloir. Il est inacceptable dans une démocratie que deux institutions aussi importantes se bagarrent au lieu de travailler comme cela a toujours été le cas depuis l’Indépendance pour promouvoir une justice adéquate.

Que pensez-vous du rôle du président de la République en tant que garant de la Constitution ?

Je me pose la question sur ce que fait le Président en tant que garant de la Constitution. Il ne peut pas se dissocier de tout ce qui se passe. L’article 28(1)(b)(i) définit bien son rôle : «Le Président doit défendre la Constitution. Il doit veiller à ce que les institutions de la démocratie et de l’État de droit soient protégées.» C’est bien que le Président reste en dehors des débats politiques, mais c’est aussi inacceptable de voir que le Président ne remplit pas ses fonctions. Il a le pouvoir de réagir pour trouver une solution à cette affaire qui relève de sa province.

Quel est l’effet de toutes ces contestations constitutionnelles sur la population ?

Tout cela crée certes un déclic. La confiance de la population est ébranlée dans un système qui a toujours fonctionné sans aucun problème depuis l’Indépendance. Tout le monde se pose des questions sur le motif du CP et se demande pourquoi il y a cet acharnement à empêcher le DPP d’exercer pleinement ses pouvoirs constitutionnels. On se demande ce qui a changé depuis l’Indépendance.

Qu’est-ce qui a changé, selon vous, et quel serait le motif du CP ?

C’est le CP lui-même qui doit répondre. Les charges provisoires sont une prérogative que le DPP a toujours eue sous la Constitution. Pourquoi s’attaquer à cela maintenant ? L’article 72 de la Constitution énumère clairement tous les pouvoirs du DPP.

Estimez-vous qu’une procédure d’urgence devrait être appliquée pour des procès comme celui entre deux détenteurs de poste constitutionnel appelés à collaborer au quotidien sur les affaires pénales de tout un pays, d’autant que toute issue devrait déboucher sur une demande pour recourir au Conseil privé du roi ?

Je pense que toute affaire doit être traitée dans un délai raisonnable. Chaque citoyen a droit à un procès dans un délai raisonnable. S’il faut légiférer pour que les affaires soient traitées plus vite, il faut le faire. Il faut imposer un délai sur le temps qu’une affaire soit écoutée et le temps d’un jugement. Les juges aussi doivent venir en avant pour expliquer pourquoi ils prennent un an pour rendre un jugement. Ceux qui ont la responsabilité de la justice doivent donner des explications. J’avais plaidé aux côtés de Mᵉ Mooloo Gujudhur dans l’affaire Tex Services contre Shibani au Privy Council. Les Law Lords, dans leur jugement, avaient mis beaucoup d’accent sur le fait que les affaires doivent être traitées et les jugements rendus plus vite.

Dans l’affaire opposant le DPP au CP, leur sort sera donc tranché par un autre détenteur de poste constitutionnel. Quelle est donc la pertinence d’une cour constitutionnelle tant réclamée ?

La Cour suprême a déjà la vocation d’une cour constitutionnelle. La Cour suprême est le garant de la Constitution. Je ne comprends pas pourquoi il devrait y avoir une autre. Les juges aussi ont tout le pouvoir d’examiner les affaires constitutionnelles. Le seul problème est le temps dans le traitement des affaires. C’est là qu’il faut légiférer.

Quelles sont les implications lorsqu’un DPP dont les responsabilités pèsent lourd dans le bon fonctionnement de la justice se retrouve au cœur de deux plaintes constitutionnelles et son bureau, d’une enquête policière sur fond d’allégations (affaire fixed penalty) ?

Je ne pourrai pas commenter l’affaire de fixed penalty car il y a une enquête en cours. On constate que ces plaintes remettent en question les pouvoirs du DPP. Je souligne que le CP est nommé par le Premier ministre et on peut être tenté d’évoquer une situation de nominé politique. Mais le DPP est nommé par un corps indépendant, dont les composants ne sont pas des politiciens. Le DPP ainsi représente l’étoffe de l’indépendance et il agit d’après le rule of law. J’espère que cela ne va pas changer.

En tant que Senior Counsel, qui du CP, du DPP ou de l’AG auriez-vous souhaité défendre et pourquoi ?

En tant qu’avocat, j’ai un code d’éthique. Une «cab rank rule», ce qui veut dire que n’importe quelle personne venant me voir pour retenir mes services, je dois la considérer. Si la personne ne suit pas mes instructions, je peux me retirer. Donc la question ne se pose même pas car ce n’est pas moi qui choisis mes clients, c’est le contraire.

Ce que dit le DPP dans sa plainte contre la FCC résume-t-il finalement toutes les affaires opposant le DPP ou même certaines affaires politiques ?

Si le DPP le dit dans sa plainte, c’est qu’il sent qu’il y a une pression politique. Il s’exprime dans sa plainte. C’est clair que n’importe quel gouvernement ne devrait pas s’ingérer dans les affaires de la justice.

Le Bar Council aura-t-il un rôle à jouer dans cette affaire ?

On a eu une réunion la semaine dernière avec nos membres pour passer en revue ces affaires. Cette affaire concerne deux institutions avec qui les membres du barreau sont appelés à travailler ensemble. On ne peut rester insensibles à ces conflits. Nous n’avons pas été interpellés directement car cela concerne deux institutions régies sous la Constitution. Mais si la Cour suprême trouve que les observations ou la contribution de l’ordre des avocats peuvent apporter un autre éclairage à cette affaire, nous sommes bien disposés à faire part de notre opinion.