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Questions à…
Miselaine Duval: «Au Canada, la reine du rire que je suis, fait la queue avec 15 autres humoristes»
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Miselaine Duval: «Au Canada, la reine du rire que je suis, fait la queue avec 15 autres humoristes»
Fêter 40 ans de carrière, c’est revenir sur les tumultes vécus depuis l’âge de 12 ans, l’année où Miselaine Duval a commencé le théâtre. Derrière «J’adore zazé», le spectacle qui retrace ce long parcours, aujourd’hui samedi 2 septembre au J&J Auditorium, il y a surtout une artiste qui à 52 ans, a choisi de recommencer à zéro au Canada. Tout en faisant rire le public au pays natal.
Après 40 ans de carrière, une artiste comme vous a-t-elle un avenir à Maurice ?
J’ai fait ma route. Tout ce que j’ai accompli, fode mo mem monn al trase. Il y a un avenir tant qu’il y a l’amour du public. Dans mon métier, il n’y a pas de secret, pas de miracle à part travailler. A Maurice, on est rapide à qualifier les gens «d’anciens». Mais il n’y a pas d’âge au talent. Ailleurs, on voit des humoristes démarrer à 50 ans. Allez voir à quel âge Louis de Funès s’est fait connaître.
Au-delà de l’âge, les conditions pour exercer votre art sont-elles réunies à Maurice ?
Tout est à faire. C’est à qui de droit de mettre en place des plateformes. Les opportunités manquent à Maurice.
En 40 ans, n’avons-nous pas évolué de ce côté-là ?
Si. Beaucoup d’artistes sont devenus des producteurs.
Ils se sont pris en main parce que personne d’autre ne le faisait ? C’est quelque chose de merveilleux. Combien d’artistes ont démarré chez moi ? Je fais tourner une salle de spectacle depuis 2010, mo kone kouma mo pe kase ranze. J’ai loué un ancien cinéma (NdlR : l’ex-ABC à Rose-Hill). On en est sorti pour s’installer dans une salle neuve (NdlR : le Komiko Kafet@ à Bagatelle). Kraz enn teat nef retourn dan vie-la, après un an et demi. Je sais quel est le chemin parcouru.
Miselaine Duval fera à nouveau venir The Prophecy au Canada, ainsi que Madii Madii programmépour le 16 septembre.
Le retour à l’ex-ABC en mai 2022 vous a-t-il permis de sortir du rouge financièrement ?
On respire. Je ne souhaite pas en reparler. Je dirais seulement que c’est le phœnix qui renaît de ses cendres.
Depuis que Komiko est retourné à l’ex-ABC, le public est-il revenu ?
Encore plus qu’avant. Les gens aiment l’ex-ABC, ce lieu a du goodwill : 50 % de la salle est remplie le vendredi, le samedi et le dimanche. Un comedy club qui accueille 100 à 125 personnes sur trois soirs, chaque week-end, c’est énorme. Une pièce qui se joue à guichets fermés, cela peut arriver deux, trois fois l’an. Sur TikTok, je n’aurais jamais cru qu’une de mes vidéos aurait 433 000 vues.
Cela se concrétise en salle, par la suite ?
C’est une autre plateforme. Si votre travail est bon, vous restez vivant dans l’esprit des gens. C’est un outil de marketing indispensable.
Un artiste a besoin de deux choses : quelqu’un qui le guide à ses débuts et une plateforme. C’est dommage que cette passion finisse par s’évanouir quand des artistes sont fatigués de ramer. J’ai encore l’amour de ce que je fais, mais c’est éreintant. Certains de mes comédiens n’obtiennent pas d’emprunt parce que leur salaire n’est pas tombé pile le 31 du mois. Cela me fait mal. Mais nous ne pouvons pas faire autrement quand nous sommes passés par une pandémie. Nous sommes passés d’une équipe d’une douzaine de personnes à trois personnes. Le reste vient quand on a besoin d’eux. Je ne conseille à personne de prendre les risques que j’ai pris. Peutêtre que je n’aurais pas dû être aussi passionnée.
Vous avez des regrets après 40 ans de carrière ?
Je n’ai pas de regrets. J’ai assumé mes responsabilités, mais c’est dur.
Comment menez-vous votre carrière entre Maurice et le Canada ?
Je continue la production. Le 16 septembre prochain, je fais venir Madii Madii à Montréal. The Prophecy va revenir au Canada. Je vais jouer mon spectacle J’adore zazé à Labeauce au Québec, Calgary, Edmonton. Il y a des Mauriciens établis au Canada qui veulent retrouver le pays. Sauf qu’il n’y a pas de sponsors là-bas, en dehors peut-être d’un magasin qui peut donner un petit quelque chose.
Pour que ça marche, faut vendre des billets. Dans ces villes canadiennes, il y a peut-être 100 Mauriciens. Nous jouons pour ce public qui paie l’entrée à 50 dollars. C’est de ça qu’on débourse pour les billets d’avion, les chambres d’hôtel, le cachet. Certains producteurs ont payé de leur poche.
Avez-vous essuyé des pertes ?
Pour le moment, la plus grande soirée que j’ai organisée, c’était avec The Prophecy l’an dernier. Je n’ai pas mordu la poussière, mais je n’ai pas eu de profits à cause d’un problème technique avec les musiciens. Dimounn nek get video lor Facebook, mais il y a tout un travail derrière.
Votre carrière pourrait-elle se poursuivre uniquement au Canada ?
Je fais ce que j’ai à faire. Je vis ici et maintenant. Pour avoir une carrière au Canada, il faut d’abord se faire connaître. C’est vrai que je fais maintenant des choses en français, mais ça prend du temps. Je fais la queue parmi 10-15 humoristes dans les micro-libres. J’ai trois minutes pour convaincre un jury. Cinq minutes quand je suis plus rodée. J’y vais tous les mois pour me faire connaître. Je ne suis pas payée. Je dois accepter cela. Je dois aussi accepter les critiques du jury.
A Maurice, dès que je demande à quelqu’un de passer une audition, il dit : «Komiko inn pran mwa.» On me demande combien je paie, avant même de commencer à jouer. On dit de moi que je suis la reine du rire. Selma, la reine du rire pe met lake parmi 15 humoristes canadiens, parce que personne ne me connaît là-bas. J’ai accepté de redémarrer à plus de 50 ans. J’ai un rêve : je suis déjà connue dans mon pays natal. Je veux me faire connaître dans un pays qui n’est pas le mien, dans une langue qui n’est pas la mienne, dans une culture que je commence à apprendre.
«C’est dommage que cette passion finisse par s’évanouir quand des artistes sont fatigués de ramer.»
Vous avez fait des sitcoms, des films, «what next» ?
Je prends davantage mon temps. Je travaille sur un projet depuis deux ans, qui va m’entraîner dans un secteur nouveau. Je ne vais pas en dire plus maintenant. J’ai jeté un pont entre Maurice et le Canada. Je vais faire venir les humoristes qui travaillent avec moi, les pièces de théâtre. Les gens au Canada en veulent.
Après 40 ans de carrière, que vous reste-t-il à accomplir ?
C’est pas négatif, je le dis pour toutes les formes artistiques : nou bizin swinte pou existe. C’est dommage, quand je sais qu’il y a des portes qui auraient pu s’ouvrir.
Les portes de qui ?
Je ne parle même pas des institutions, mais des opportunités. Bien sûr, les artistes ont leur part de responsabilité, mais il y a un manque d’opportunités, un manque de souplesse concernant des choses qui auraient pu être allégées pour nous permettre d’exister. Cela dans le respect de la loi. Pour réussir, il faut mari trime. En trimant, l’artiste risque de se décourager, de tourner le dos à son talent. On m’a demandé pourquoi il n’y a pas autant d’humoristes femmes à Maurice qu’ailleurs ?
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