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Démographie en déclin

Nouveau paradigme pour la politique locale

5 septembre 2024, 17:20

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Nouveau paradigme pour la politique locale

À l’approche des élections générales, la République de Maurice est confrontée à une situation démographique complexe. Tandis que sa population continue à décroître, avec une baisse de 1 532 personnes au 1er juillet 2024, le registre électoral franchit, pour la première fois, le cap symbolique du million d’électeurs inscrits. Cette hausse apparente du nombre d’électeurs, malgré la baisse globale de la population, pourrait soulever des questions chez les acteurs politiques et les observateurs. Dans un contexte marqué par des départs à l’étranger et un faible taux de natalité, la démographie mauricienne pourrait bien redessiner le paysage politique du pays.

Les derniers chiffres publiés par Statistics Mauritius montrent une tendance inquiétante. Au 1er juillet dernier, la population mauricienne s’élevait à 1 259 509 personnes contre 1 261 041 durant la même période en 2023, soit une diminution de 1 532 habitants. Cette tendance à la baisse de la population se poursuit de façon continue depuis plusieurs années. En 2022, la République de Maurice comptait 1 262 523 habitants. En 2023, ce nombre est descendu de façon continue à 1 261 041.

Population vieillissante et électorat en hausse

Malgré cette diminution globale de la population, le registre électoral pour 2024 enregistre un nombre record d’électeurs inscrits, atteignant 1 002 857 personnes, une augmentation constante depuis 2017 où le nombre de votants s’élevait à 941 719. Ce paradoxe s’explique par le vieillissement de la population. En effet, selon Statistics Mauritius, le pays compte un nombre croissant de personnes âgées, notamment dans la tranche des 60 à 79 ans, dénombré à 226 678 individus, ainsi que 26 255 personnes âgées de 80 ans et plus. Cette évolution démographique entraîne une augmentation mécanique du nombre de citoyens éligibles au vote, même si le nombre total d’habitants diminue.

Par ailleurs, le découpage électoral, basé sur les recommandations de l’Electoral Boundaries Commission de 2020, approuvées par l’Assemblée nationale en décembre 2023, a également eu un impact sur le nombre d’électeurs dans différentes circonscriptions. Pour la première fois, 1 002 857 personnes sont inscrites pour voter aux prochaines élections générales. Ce nombre marque une étape importante dans l’histoire électorale du pays, après plusieurs variations au cours des dernières années. Depuis 2016, où 917 311 électeurs étaient enregistrés, le nombre de votants a fluctué : 913 295 en 2017, 923 316 en 2018, 941 719 en 2019, 961 062 en 2020, 954 836 en 2021, 976 032 en 2022, et 991 327 en 2023. En 2014, ils étaient 936 975 électeurs inscrits sur la liste électorale.

Le redécoupage électoral a entraîné des modifications du nombre d’électeurs dans plusieurs circonscriptions. Par exemple, dans la circonscription no 1 (Grande-River-Nord-d’Ouest et Port-Louis-Ouest), le nombre d’électeurs a diminué, passant de 41 536 en 2019 à 33 839 en 2024. En revanche, dans la circonscription no 2 (Port-Louis-Sud et Port-Louis-Central), le nombre a augmenté, sortant de 24 238 électeurs pour passer à 30 950 électeurs au cours de la même période.

Des augmentations notables ont également été enregistrées dans la circonscription no 4 (Port-Louis-Nord et Montagne-Longue) où le nombre d’inscrits est passé de 48 918 en 2019 à 59 584 en 2024, et la circonscription no 18 (Belle-Rose-Quatre-Bornes), qui compte désormais 60 795 votants contre 43 423 en 2019.

L’émigration croissante accentue la baisse démographique

L’émigration reste un facteur majeur dans cette baisse démographique. Cette hausse de l’émigration accentue le déclin naturel de la population, déjà affectée par un faible taux de natalité et un taux de mortalité en augmentation. Au premier trimestre de 2024, 76 416 Mauriciens ont quitté le pays contre 72 887 pour la même période au cours de l’année précédente, soit une augmentation de 3 529 départs. Cette tendance s’observe particulièrement en direction de l’Asie, avec 34 707 départs au premier trimestre de 2024 contre 30 839 en 2023, et vers l’Europe, où des pays comme l’Allemagne attirent de plus en plus de Mauriciens. En 2023, la population totale des Mauriciens ayant émigré a atteint 319 646 personnes contre 229 236 en 2022, ce qui marque une augmentation substantielle. Dans les tranches d’âge des plus jeunes, le nombre de personnes de moins d’un an est passé de 663 en 2022 à 910 en 2023. La tranche des un à quatre ans a également connu une hausse importante, passant de 3 900 en 2022 à 5 652 en 2023. De même, le groupe des cinq à neuf ans a augmenté de 6 228 en 2022 à 8 618 en 2023, et celui des dix à 14 ans est passé de 7 199 à 10 036 durant la même période.

Pour les jeunes adultes partis à l’étranger, la tranche des 15 à 19 ans a connu une hausse, soit de 9 001 en 2022 à 11 971 en 2023. Dans la tranche des 20 à 24 ans, la hausse est passée de 14 138 en 2022 à 18 047 en 2023. La population des 25 à 29 ans a presque doublé, passant de 19 098 en 2022 à 25 590 en 2023. De même, chez les 30 à 34 ans, leur nombre est passé de 22 263 à 30 737, et chez les 35 à 39 ans, cela a été de 21 389 à 29 115 entre 2022 et 2023.

Les tranches d’âge plus avancées qui ont quitté le pays montrent également des augmentations notables. Les 40 à 44 ans sont passés de 23 394 en 2022 à 32 251 en 2023. Le groupe des 45 à 49 ans a augmenté, passant de 20 011 en 2022 à 28 843 en 2023. Et dans la tranche des 50 à 54 ans, le nombre est passé de 18 234 à 25 077 tandis que les 55 à 59 ans ont vu leur nombre croître, de 19 361 à 26 672.

Enfin, pour les tranches d’âge plus âgées qui ont émigré, soit les 60 à 65 ans, la population a augmenté de 17 649 en 2022 à 25 338 en 2023. Les personnes de 65 à 69 ans dans le cas sont passées de 13 089 à 19 666, et les 70 ans et plus qui ont quitté le pays ont connu une hausse significative, passant de 13 619 en 2022 à 21 123 en 2023.

Selon l’historien et politologue Jocelyn Chan Low, l’histoire démographique de Maurice révèle une série de transformations, qui ont profondément influencé la politique du pays. «Dans le passé, Maurice a connu un fort taux de mortalité en raison des épidémies, et un déséquilibre des sexes était notable, que ce soit à l’époque de l’esclavage ou des travailleurs engagés», dit-il. À partir de 1945, fait-il ressortir, un tournant majeur s’est produit avec la mise en œuvre des produits DDT, qui ont permis d’assainir l’environnement et d’éliminer la malaria. «Cette amélioration sanitaire a conduit à une baisse du taux de mortalité et à une expansion de la population, caractérisée par une haute natalité et une faible mortalité», dit-il.

Ce changement, ajoute l’historien, a joué un rôle crucial dans l’émergence des partis politiques contestataires, notamment le Mouvement Militant Mauricien (MMM), qui a bénéficié de cette dynamique dans les années 1960 et 1970.

Cependant, cette tendance s’est inversée au fil du temps, avec une baisse de la natalité et une augmentation de la mortalité. «Les gens ne se marient plus comme avant et les familles sont devenues plus nucléaires, ce qui a conduit à une population vieillissante», dit Jocelyn Chan Low. Il prévient que si cette tendance se poursuit, dans 20 ans, plus de 40 % de la population mauricienne seront âgés de plus de 60 ans. Pour lui, cette évolution démographique est désormais un facteur crucial de l’électorat, les personnes âgées devenant le groupe le plus significatif parmi les électeurs alors que les jeunes quittent le pays. La question de la socialisation politique se pose également. «Auparavant, la socialisation politique se faisait à travers les générations plus âgées, mais cette dynamique a changé. Les familles ne jouent plus ce rôle et les partis traditionnels peinent à renouveler leur base militante», explique l’historien.

Selon l’historien, l’ancien Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, avait anticipé cette situation et, dès 2014, il a cherché à attirer les électeurs âgés. «Le MSM a compris cette dynamique avant les autres partis, et sir Anerood Jugnauth a su capitaliser sur cette tendance», affirme-t-il citant l’exemple de l’augmentation de la pension durant la campagne électorale de 2014.

L’historien avance également que dans une démocratie, le renouvellement générationnel est essentiel. Cependant, selon lui, les partis politiques mauriciens ne sont pas toujours en phase avec ce changement. «Les partis ne sont pas véritablement démocratiques mais plutôt personnels. Lorsqu’ils perdent, ils s’accrochent au pouvoir, ce qui crée un fossé entre les générations. Les jeunes ne se reconnaissent pas dans les anciens partis», observe-t-il. Pour lui, le Reform Party, avec son leader Roshi Bhadain, a réussi à captiver les jeunes en utilisant efficacement les réseaux sociaux, contrairement aux partis plus traditionnels, qui peinent à se renouveler et à engager les jeunes.

Il souligne que la réforme électorale pour s’adapter à la nouvelle démographie est complexe, surtout en raison des échecs des initiatives passées. «Les tentatives de réforme électorale ont souvent échoué et il est nécessaire de réfléchir sur la manière dont les partis utilisent les réseaux sociaux et s’adaptent aux nouvelles réalités démographiques pour rester pertinents», dit-il.