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Véhicules électriques
Pas si «propres» qu’on le prétend
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Véhicules électriques
Pas si «propres» qu’on le prétend
Dans le contexte du réchauffement climatique, la question de la transition vers des modes de mobilité plus durables est de plus en plus au centre des débats. Souvent, il est affirmé que les véhicules électriques sont des solutions «propres» ou de «zéro émission». Cependant, ces affirmations cachent des pratiques de marketing trompeuses, qualifiées de «greenwashing» de l’industrie automobile.
Les transports, gros émetteurs de gaz à effet de serre
Le secteur des transports figure parmi les principaux émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre, sans compter la déforestation. Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) provenant des transports dépendent, en effet, de plusieurs paramètres, entre autres, la distance totale parcourue, le nombre de passagers par véhicule, le choix du carburant. Les statistiques révèlent une augmentation du nombre de véhicules en circulation à l’échelle mondiale. Selon le rapport de la Global Sustainable Transport Conference de 2021, les projets relatifs au transport durable sont jugés insuffisants au niveau mondial
À Maurice, la tendance est aussi à la hausse en matière de flotte de véhicules sur les routes. Les données de Statistics Mauritius concernant l’environnement révèlent que le secteur des transports est responsable de 33,6 % des émissions totales de gaz à effet de serre, soit 1 482 gigagrammes d’équivalent de dioxyde de carbone (Gg CO2-eq) en 2022, une augmentation de 9,5 % en comparaison à 2021. À la fin juin, 661 553 véhicules étaient enregistrés auprès de la National Land Transport Authority (NLTA), soitune hausse de 2,1 % par rapport à 2022. En parallèle, les statistiques de la NLTA indiquent que le nombre de véhicules hybrides enregistrés a également augmenté, avec 5 038 véhicules enregistrés en août, montrant une tendance à la hausse. Il faut aussi noter que le nombre de véhicules électriques s’accroît aussi et que 628 d’entre eux ont été enregistrés en août.
Pendant ce temps, d’autres possèdent et utilisent des voitures de plus de 20 ans. Pourquoi ? Une thèse de sociologie française, menée de 2017 à 2022, indique que c’est lié à la durabilité. Les propriétaires de véhicules anciens qui ont été interviewées mettent en avant la réutilisation plutôt que de participer à la production et à la consommation de masse. Et ceci dans l’optique d’encourager une pratique écologique qui privilégie l’utilisation d’outils en bon état ou réparables plutôt que d’acheter du neuf. Cette approche écologique basée sur la réutilisation est estimée plus réaliste. D’autant plus qu’elle est plus abordable financièrement et qu’elle correspond à un mode de vie plus sobre, qui est déjà pratiqué au quotidien par les catégories populaires.
Face à l’urgence climatique, le gouvernement et l’industrie automobile mettent l’accent sur la transition vers des véhicules électriques. Dans cette perspective, à partir de 2035, la vente des véhicules à moteur thermique sera interdite dans les pays membres de l’Union européenne. Parallèlement, à Maurice, plusieurs initiatives sont mises en place pour encourager l’adoption de véhicules électriques alors que la production d’électricité à partir des énergies renouvelables est minime, soit à 19,2 % en 2022.
Mythe des véhicules écolos
Il est vrai que, comme l’indique Devianand Narrain, membre de Rezistans ek Alternativ, même si l’énergie non-renouvelable est utilisée pour recharger la batterie, en termes d’émission, l’électrique est plus «propre» lors de son utilisation que le véhicule thermique qui compte une perte d’énergie (energy loss) de 35 % à 40 %. Mais la réalité est que l’électrique n’est pas entièrement écologique comme on veut le faire croire. Il y a, pour commencer, les émissions pour l’exportation de ces véhicules sur un autre territoire. Les batteries ont une durée de vie limitée. Les équipements électroniques et numériques deviennent rapidement obsolètes, poussant au rachat de neuf. Donc à nouveau, coût écologique de la production et de l’importation…
Dans les campagnes publicitaires, des informations essentielles concernant les véhicules électriques, considérés à faible émission de carbone, sont souvent passées sous silence, créant ainsi l’illusion que l’adoption de ces véhicules électriques pour se déplacer est une réponse suffisante aux défis climatiques. La promotion des véhicules électriques n’est pas que du greenwashing de la part de l’industrie, relève Adi Teelock, porte-parole de Platform Moris Lanvironnman (PML) mais aussi des gouvernements qui font «du eyewashing» . N’oublions pas aussi l’aspect lié au statut social. «Les véhicules électriques ont une empreinte carbone moindre que les thermiques, c’est vrai. Mais ils ne sont pas nécessairement plus écologiques. Si on prend tous les critères en considération, ils ont peut-être une empreinte écologique supérieure car il faut prendre en compte, par exemple, l’extraction de minerais comme le lithium, qui en plus d’une empreinte écologique forte, a un coût social et humain considérable.» En outre, ajoute-t-elle, «que faire des batteries, car il s’agit d’une matière toxique ? Le danger vient aussi du cobalt et du nickel dont les réserves se trouvent dans des régions africaines, par exemple. Ce sont des régions qui sont toujours sous couverture forestière et qui jouent un grand rôle dans la lutte contre le changement climatique à la fois du point de vue de l’atténuation que de l’adaptation».
Le transport privé : un problème
D’autre part, Adi Teelock avance qu’adopter davantage l’énergie renouvelable ne diminuerait pas notre empreinte carbone à Maurice car la flotte de véhicules qui pourraient passer à l’électrique est tellement importante qu’il est pratiquement impossible d’en remplacer une proportion assez grande dans dix à 20 ans (même avec des incitations fiscales) pour qu’il y ait une incidence non infime sur l’empreinte carbone, que ce soit dans le monde ou à Maurice.
Le problème vient en fait de l’utilisation de la voiture individuelle, relève-t-elle. Le nombre de véhicules enregistrés est en constante augmentation. Elle souligne que Maurice a une politique et un modèle économiques qui favorisent le transport privé au détriment du transport public, malgré le discours sur la décarbonisation en raison du Metro Express. Car parallèlement, dit-elle, au réseau du métro, qui sera étendu à d’autres régions de l’île, il y a un Road Decongestion Programme dont l’objectif est de fluidifier la circulation et donc d’encourager l’utilisation de la voiture ! «Des études ailleurs ont montré que la construction de highways et de flyovers etc. augmente au contraire la congestion routière car elle incite à l’utilisation de la voiture individuelle. Et c’est ce que nous constatons ici. Le Metro Express est lui-même générateur de congestion routière pour deux raisons principalement : d’abord, ce ne sont pas majoritairement les propriétaires de voitures qui l’utilisent quotidiennement mais ceux qui prenaient le bus.»
La deuxième raison est «qu’il y a également une question sociale, de statut social lié à la propriété de la voiture et que même le Premier ministre encourage en ces termes : ‘C’est une indication que notre pays devient riche.’ La voiture individuelle est considérée comme un indice de progrès économique dans notre modèle de développement. Les grosses cylindrées de luxe et les SUV ont un impact écologique énorme et ce n’est pas le fait d’être électrique qui y change quelque chose. Pour certaines personnes dont l’empreinte écologique est conséquente, c’est parfois de la frime ou une question de se donner bonne conscience» . Il n’y a qu’à voir le nombre de Porsche et autres BMW sur nos routes limitées en vitesse pour s’en persuader.
Chacun regarde son intérêt
Khalil Elahee, expert en énergies renouvelables, souligne la question commerciale et politique. «Chacun est en train de faire de la propagande, notamment ceux dans le contrôle de l’énergie fossile et le pétrole, qui ont des intérêts par rapport à l’industrie automobile traditionnelle. D’autres exagèrent sur les bénéfices écologiques mais il y a aussi l’intérêt des écologistes qui souvent, oublient la dimension sociale, qui est aussi importante. L’exploitation de métaux lourds, par exemple, a un coup social très élevé sur les populations, surtout les pays pauvres. Chacun est peut-être en train de dire ce qui lui est favorable mais il faut revenir surtout à ce que dit la science de façon générale. Ce qui est clair comme message c’est que l’avenir passe par le véhicule électrique, surtout pour le transport de masse.»
Il souligne «qu’il faut que l’approvisionnement en électricité soit plus vert et aussi ne pas négliger d’autres pays pour l’extraction des métaux rares. Il y a des procédés plus propres. Il y a des possibilités maintenant et la volonté d’aller davantage vers le recyclable ou de réduire conséquemment les impacts d’extraction de ces métaux rares pour l’environnement, que ce soit en Afrique ou ailleurs. Il faut penser en amont le recyclage en ce qui concerne les batteries et les panneaux photovoltaïques. Je pense qu’il faut voir les choses de façon optimiste et réaliste et ne pas entrer dans le jeu de ceux qui regardent et plaident pour leurs intérêts.»
Solutions possibles
Vu la situation, il faudrait, selon Adi Teelock, une politique intégrée de transport public et d’aménagement cohérent du territoire et vraiment durable. «Un des principaux arguments contre le Metro Express a été qu’avant de prendre une décision, il n’y a eu aucune étude comparative (environnementale, sociale, économique et financière) entre le système proposé et l’alternative qui est un système de desserte par autobus.» Il faudrait, selon notre interlocutrice, investir massivement dans un système de réseau d’autobus qui desservent toute l’île et qui respectent de bons critères de confort et d’horaires. «Les autobus ont l’avantage de pouvoir aller dans tous les coins de l’île. Le Metro Express, dont les coûts économiques, financiers, sociaux, et environnementaux sont énormes, favorise les urbains au grand détriment des ruraux. Il faudrait réellement intégrer le concept de couloirs pour cyclistes et pour piétons partout. À Beau-Bassin Rose-Hill, une allée pour piétons existait jusqu’à Belle-Rose avant qu’elle ne soit détruite pour faire de la place au tram.»
Ou comme l'avait indiqué Jean-Luc Wilain, consultant en stratégie durable et expert en empreinte carbone, dans l’une des éditions de l’express: «Déplacez-vous moins. Faites-le en déployant une activité physique quand c’est possible. Profitez-en pour penser à votre santé. Ayez un véhicule plus petit. Optez pour la propulsion électrique.»
À force de se focaliser sur les émissions de CO2, on en oublie qu’importer de nouveaux véhicules hybrides ou électriques, avec une obsolescence programmée, une batterie qui dure huit ans, a peut-être une empreinte carbone plus forte que de garder sa voiture thermique durant 30 ans…
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