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Stephan Rezannah, producteur, fondateur de Mauritius Music Expo (Momix)
«Plus de 50% du secteur événementiel est financé par des barons de la drogue»
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Stephan Rezannah, producteur, fondateur de Mauritius Music Expo (Momix)
«Plus de 50% du secteur événementiel est financé par des barons de la drogue»
Stephan Rezannah, producteur, fondateur de Mauritius Music Expo (Momix)
Entre l’État qui ne fait pas assez pour la culture et le secteur privé qui en fait trop peu, le producteur Stephan Rezannah tire la sonnette d’alarme sur les propositions tentantes de sponsoring venant des barons de la drogue. Ce qui transforme concerts et festivals en opération de blanchiment d’argent sale. Samedi dernier, il a piqué une grosse colère en annonçant l’arrêt définitif de Mauritius Music Expo (Momix).
Qui a tué le Mauritius Music Expo (Momix) que vous organisez depuis 2017?
Je n’attaque personne.
Pourtant, le samedi 16 septembre, en annonçant l’arrêt définitif de Momix, vous critiquiez les «entreprises hypocrites de la culture». Vous parlez de qui ?
Je dois d’abord dire que pendant longtemps, le secteur culturel ne critiquait que l’État, qui ne donnait pas ceci et ne faisait pas cela. C’était vrai. Avec l’équipe de Momix, on savait qu’au bout de sept ans, il faut faire le bilan. Dans l’industrie musicale, on dit si on parvient à passer le cap des sept ans, on va continuer. Cette année, cela fait sept ans que Momix existe. Du questionnement sur ce que l’on veut faire du marché des musiques a émergé le slogan Love music. Mean business. Sauf que pendant six ans, nous n’avons fait que love music, sans vraiment comprendre l’aspect business.
C’est difficile à croire qu’un marché des musiques où l’on discute de professionnalisation du secteur n’a pas «mean business» pendant six ans.
À chaque fois qu’il n’y avait pas assez d’argent pour organiser Momix, on l’a fait quand même. Par passion. Sur un budget total de Rs 6 millions, j’ai mis Rs 2 millions de ma poche à chaque édition. Cette année, pour être pragmatique : si ena kass nou fer zafer-la, si pena kass, pa fer. Un mois avant l’événement, quand nous avons vu que cela allait nous coûter plus de Rs 2 millions cette année, nous avons décidé de ne pas tenir Momix 2023. Ce n’était plus possible pour moi d’y injecter Rs 2 millions par an, de faire des échanges de marchandises et d’autres obligations. C’était un gros stress. Quand j’y pense, j’ai plus investi dans Momix que dépensé pour mes enfants.
Le 3 août, quand vous annonciez qu’il n’y aurait pas de Momix cette année, c’était entendu que le marché des musiques reviendrait par la suite. Qu’est-qui a changé entre le 3 août et le 16 septembre ?
Pendant un mois et demi, nous avons frappé aux portes du secteur privé. Les grosses entreprises qui investissent habituellement dans la culture. Le week-end dernier, nous avons fait le off-Momix. Pour un budget d’environ Rs 500 000, nous n’avons eu qu’environ Rs 100 000 de sponsoring. Mo dwa Rs 400 000 zordi. On s’est engagé. On va payer.
Vous avez produit l’album de Blakkayo, «Soz serye», vous produisez Eric Triton. Vous faites tourner Kafe Kiltir Moris. Vous n’est pas un inconnu quand vous présentez un dossier aux entreprises. Où est-ce que cela coince ?
C’est ma grande question. La grosse colère, je l’ai déjà faite contre le ministère des Arts et du patrimoine culturel. Zot zis rakont zistwar. Et cela, je l’ai assumé face à face avec le ministre.
Le ministère des Arts et du patrimoine culturel a soutenu votre projet de «seggae day».
On avait demandé que le seggae day soit le 10 août, la date de naissance de Kaya, mais c’est le 21 février, date de sa mort qui a été choisie. Quand le ministère a soutenu Jorez Box (NdlR : la boîte de production de Stephan Rezannah) pour un seggae day davantage orienté vers les écoles, plutôt que juste organiser un gros concert, parce qu’il y en a déjà tout au long de l’année, je leur ai dit : «Je ne veux pas d’autres contrats.» Nous sommes aussi en conversation avec le ministère de l’Éducation pour amener le seggae et les artistes dans les écoles publiques.
Le «seggae day» n’est pas une porte ouverte pour que Jorez Box propose d’autres projets au ministère des Arts ?
Ziska zordi li pa ouver mem laport-la. Nous n’avons jamais bénéficié du National Arts Fund, pour des raisons de calendrier. Après, nous avons cessé de postuler, nou pe perdi nou letan. Pour le off-Momix, le ministère des Arts et du patrimoine culturel m’a accordé Rs 50 000. C’est déjà ça. Je referme la parenthèse sur l’État. Pour revenir au secteur privé, c’est peut-être une question de personnalité ou d’épiderme. Il faut arrêter de se voiler la face. Dans le secteur privé aussi il y a du clientélisme, du favoritisme pour le sponsoring. Parey kouma seki gouvernman fer. Notre dossier de demande de soutien démontre que nous répondons à six Sustainable Development Goals (SDG). Dans le secteur privé, on nous a déjà dit qu’il n’y a pas d’autre projet culturel qui réponde à autant de SDG. En 2022, la programmation de Momix était de 50 % hommes/femmes. Parité aussi dans l’équipe de production. On nous félicite pour tout ça, mais au final, nous n’obtenons pas de sponsoring.
On vous a expliqué pourquoi ?
Il y a des formules toutes faites. Je ne sais pas si elles sont écrites par une intelligence artificielle. Zot tou mem repons : «nous avons des restrictions budgétaires». Avec l’expérience, on sait à quel moment envoyer les dossiers de demande pour Momix qui, je le rappelle, est un événement entièrement gratuit. Je tiens à préciser : les entreprises font ce qu’elles veulent de leur argent. Nou pa pe lager kass ki pa pou nou. L’amertume vient de cette hypocrisie qui a éclaté au grand jour le 21 juin.
Que s’est-il passé le jour de la Fête de la musique ?
J’ai été choqué de voir toutes ces entreprises qui ce jour-là ont dit qu’elles aiment la musique. Selma, zame zot pa donn enn roupi pou lakiltir. On leur a envoyé des demandes de sponsoring.
Combien d’entreprises avez-vous démarchées ?
Sur une cinquantaine de dossiers, nous avons eu environ 15 réponses. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. À chaque fête nationale ou célébration, les entreprises postent des messages. Mais si l’entreprise n’est pas engagée dans la musique, pourquoi juste pour la fête de la musique, elle prétend soutenir la création locale ? Enn biye konser mem ena zame inn aste. Voilà pourquoi je parle d’hypocrisie. Le secteur privé ne verse même pas un pourcent de ses revenus, que ce soit avant ou après taxe à la culture.
Vous avez épluché les comptes ?
Nous avons pris une moyenne des profits d’une vingtaine d’entreprises à l’année. Si ces entreprises qui pèsent tous ces milliards investissaient ne serait-ce qu’un pourcent de cette somme dans la culture, il y aurait eu Rs 500 millions à Rs 1 milliard par an pour la culture. Si une entreprise qui fait Rs 13 milliards de profits à l’année donne Rs 1 million à laculture, c’est du eye wash. Elle insiste en plus pour que son logo soit plus gros que le mien, que l’artiste s’engage à assurer une soirée privée, que l’artiste parle de l’entreprise etc. Au final, c’est plus des relations publiques (PR) que du Corporate Social Responsibility (CSR). L’événementiel va devenir otage du secteur privé. Des gens qui ne font pas la différence entre un marché des musiques et un festival vont dicter l’événementiel. Les manifestations culturelles vont finir par ressembler au profil de X ou Y compagnie. L’autre chose qui me dérange, ce sont des kamwad dans l’événementiel qui disent que tout va bien. Que c’est vrai que c’est dur, mais qu’il faut chercher des trasman. Ces trasman impliquent que si les sponsors ne suivent pas, les barons de la drogue eux, vont soutenir les événements. Le blanchiment d’argent est rentré dans l’événementiel, dans la culture à tous les niveaux. Tout comme le blanchiment est rentré dans la politique, il est rentré dans la culture pour en faire une vraie machine à laver. J’ai l’impression que plus de 50 % du secteur…
Plus de 50 % du secteur événementiel est financé par des barons de la drogue ?
Oui.
Avez-vous déjà eu des propositions de sponsoring de barons de drogue ?
Oui. Quand j’ai produit Soz serye de Blakkayo (NdlR : sorti en 2021). Et pour certains concerts.
Qu’avez-vous répondu?
Achète 10 000 exemplaires quand l’album sort, frère. Mo prefer dwa qu’être financé par cet argent-là. Quand je reçois une proposition, je me renseigne d’abord sur cette personne. Un car wash ou un ti-snack qui sponsorisent de gros concerts, ça me fait tiquer. Si son chiffre d’affaires est plus gros que le mien au point où il peut sponsoriser l’événement que j’organise… be mo krwar mo bizin al lav loto.
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