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Kronik KC Ranzé
Politisation chronique
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Kronik KC Ranzé
Politisation chronique
Je vais vous faire un aveu. Je suis particulièrement heureux de m’être mis à l’abri du monde politique local. De ne pas m’émouvoir, ni de m’intéresser aux coups de pioche ou aux oignons pourris du ministre révoqué Hurdoyal. De ne pas me sentir transporté par la nomination de la ministre Ramyad, bardée tant de diplômes que de tampons de passage divers à au moins trois partis politiques. De ne pas me sentir obligé d’interpréter le silence des ministres, anciens collègues du ministre de l’Agriculture. De ne pas du tout m’exciter ou d’être outré de voir les ex-ministres rouges Tang, Dulull et Juggoo au premier rang d’un comité régional du MSM. De ne pas être passionné par ce que pourrait penser le Premier ministre à propos d’élections partielles ou générales. De ne pas être surpris qu’un agent politique puisse se dire avoir été giflé par un ministre, au point de le déclarer à la police, un jour, et d’en rendre l’opposition responsable trois jours plus tard ! Car le monde politique pue de plus en plus et ne semble pas du tout s’intéresser à nous donner, par exemple, un port plus efficient, une éthique du travail plus solide ou une scolarité plus pertinente, qui auraient, par contre, plus de chance de nous rapprocher du bonheur que nous pourchassons tous, même si jamais assez collectivement.
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Ah ! La Silver Bank !
Cela fait partie, en fait, d’une longue tradition ! L’Indian Ocean International Bank (IOIB), la BCCI, l’Union Bank, la MPCB, la South East Asian Bank, la Delphis Bank, la Bramer Bank, la Banyan Tree Bank et maintenant la Silver Bank ont tous dû cesser leurs opérations pour une raison ou une autre. Ça en fait beaucoup ! Beaucoup trop même ! Dans la plupart de ces cas, il y a un ou plusieurs moments, généralement au départ, mais pas seulement, ou il y a une intervention ou un soutien gouvernemental et politique, qui se révèle éventuellement avoir été au coeur d’un pacte avec un diablotin ! Parfois même un diable !
Ketan Somaia, ça vous dit quelque chose ? (*) C’est l’homme providentiel auquel on accepte (qui exactement ?) de confier les actifs de la BCCI qui ferme ses portes chez nous en 1990. En effet, en amont, la maison mère de la BCCI s’écroule après avoir longtemps été au coeur d’opérations de blanchiment d’argent, notamment pour des narcotrafiquants comme Pablo Escobar. Le type d’opérations bancaires favorisé par la BCCI a d’ailleurs été immortalisé depuis, notamment en 2016, par un film hollywoodien : The Infiltrator.
Sur les cendres de la BCCI défunte, Somaia s’installe à la tête d’une nouvelle banque, la Delphis, en 1991. En 1996, la Delphis va même racheter l’Union Bank, que la Banque centrale ferme cette année-là. Pendant la même période, Somaia est accusé de fraudes massives au Kenya (entre autres, l’affaire Goldenberg), ce qui, avec une situation locale qui se détériore, compromet l’avenir de sa banque et mène éventuellement, le 8 mars 2002 pour être exact, à la perte de sa licence bancaire (**). La Delphis Bank de Tanzanie s’écroulait à son tour l’année suivante, en 2003. Somaia qui avait déjà passé quelques temps en prison au Kenya pour des affaires de corruption et de fraude, s’est vu condamner à huit ans de prison ferme à Londres en 2014 pour escroquerie d’un ‘ami’ financier, entre 1999 et 2000 ; certaines des transactions relevant, prétendait-il, d’investissement dans la Delphis... La First City Bank (qui se souvient encore d’Harry Sookun, d’Aboo Maghoo, de Sunkai et de Bangaleea ?) reprenait les activités de la Delphis en 2002 et Bank One en faisait finalement l’acquisition en 2008.
En 2008 justement, la British American Investment Group reprenait les actifs de la South East Asian Bank, fondée en 1988 et elle-même acquisitrice de la Habib Bank AG Zurich. La Bramer Bank était née ! Sa licence fut révoquée en avril 2015 après une crise de liquidités qui pré-datait 2015 et qui découlait d’un bilan fragilisé, au moins en partie, par des avances répétées, apparemment sans garantie, faites aux compagnies du groupe BAI. Relire à ce propos un remarquable résumé de Ramesh Basant Roi, Gouverneur de la Banque centrale de cette époque, sur ce qui s’était effectivement passé en amont de la fermeture de la Bramer Bank qui avait alors encore Rs 15 milliards de dépôts, mais qui ne comprenaient plus ceux, entre autres, de politiciens bien ‘informés’, de certains directeurs de cette banque et même du fonds de pension du groupe BAI… Lire, en particulier, les paragraphes (iii), (v), (vii), (viii), (x), (xii) et l’épatante suggestion de Basant Roi, à la fin de son article... (***). Les hommes honnêtes, c’est rare, mais ça existe heureusement toujours !
Quant à la Silver Bank, elle faisait l’acquisition de sa licence bancaire, en octobre 2021, en recapitalisant la Banyan Tree Bank qui avait, elle-même, été mise sous administration en avril 2020. Ce nouveau capital de 40 millions de dollars était injecté par Silver Star SPC des îles Cayman, était-il rapporté par la presse d’alors. Le Financial Times du 21 février 2023 rapportait que le contrôle ultime de la Silver Bank et de TMT Metals – une des compagnies accusées par Trafigura d’une escroquerie monumentale de 577 millions de dollars sur du commerce de nickel – était le même. Le gel mondial des actifs de M. Prateek Gupta et de Mme Ginni Gupta, son épouse, fut ordonné par la cour de Londres dans l’affaire Trafigura en avril 2023 et reconduit en décembre dernier. La Silver Bank a nié avoir Prateek Gupta comme actionnaire.
Ce qui caractérise nombre de ces situations, c’est soit que les autorités deviennent victimes des promesses d’escrocs divers qui emberlificotent leurs interlocuteurs, souvent des ‘sponsors’ politiques ; soit encore qu’une fois ces banques acquises, il y a souvent des prêts incestueux qui se font et qui ne se repaient pas, avec, en toile de fond des dépôts ‘de soutien’ d’argent public qui se retrouvent dès lors coincés sur un bilan qui s’affaiblit.
La leçon est donc ancienne ! Mais les erreurs se répètent toujours ! Le communiqué de la Banque centrale annonçant M. Arvin Gokhool comme «conservator» de la Silver Bank n’est pas très explicite (faites donc la comparaison avec(**)) et suscite même des appréhensions, surtout au vu du traitement réservé à l’auditeur courageux qui révélait des transferts potentiellement illicites et qui refusait de plier le genou, même sous pression…
La solution la moins pénible pour les autorités est évidemment de trouver un repreneur. Dans ce cas, la ‘due diligence’ que les autorités exigeront va certainement se concentrer sur les chances de récupérer les fonds prêtés à partir des dépôts dèjà engagés et, par la même, déterminer les besoins de capitaux frais, face aux possibilités éventuelles de profitabilité, si l’investissement est de l’ordre du sincère. Si, par contre, s’y trouve un diable, les conversations risquent d’être d’un autre ordre que nous ne pouvons qu’imaginer, mais qui engageront probablement diverses mangeoires à remplir. L’alternative, c’est que le gouvernement lui-même soit forcé d’engager de l’argent public et gérer la banque, en attendant de pouvoir la vendre à un prix qui soit raisonnable par rapport aux débours engagés. C’est le cas de la MauBank d’aujourd’hui.
Si l’investisseur éventuel cherchait plutôt les bénéfices de posséder une banque lui permettant d’emprunter plus que ce qu’il avait investi, sans se sentir particulièrement obligé de repayer (un effet de levier un peu particulier, assurément…), alors nous ajouterons possiblement au chapelet des petites banques ‘politisées’ dont il faudra finalement rappeler la licence bancaire…
Dans l’intérêt du pays et de son système bancaire, il serait sans doute salutaire que la Banque centrale soit transparente sur les leçons à tirer des expériences Silver Bank et autres, afin que nous ne tombions pas régulièrement dans l’illusion d’un nouveau gourou bancaire qui, jusque-là n’avait AUCUNE expérience financière ou bancaire ou, au contraire, un passé plutôt inquiétant dans ce domaine. On se souviendra, à ce propos, des pressions soutenues engagées, y compris par la présidence, pour convaincre la Banque centrale d’accorder une licence bancaire à Alvaro Sobrinho, principal responsable de la banque Espirito Santo de l’Angola, qui avait fait faillite en 2014.
Une fois encore, le politique mettait sa cuillère sale dans la saucière ; celle-ci, bancaire ! Cette fois-là, sans succès, fort heureusement !
(*) International Indian Article l 'King Con' Ketan Somaia jailed in UK for multi-million fraud
(**) Bank of Mauritius l Monthly Statistical Bulletin Feb 2002
(***) Financial Times l Mauritian regulators examine bank in wake of Trafigura nickel fraud
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