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Ponzi : ne pas succomber à l’appel des sirènes

22 novembre 2023, 06:11

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Quand on parle d’investissement, le risque zéro n’existe pas. Cela équivaut à toucher le Saint Graal. Il faut s’alarmer lorsqu’un pseudo-gestionnaire de portefeuille, a fortiori non réglementé, fait miroiter la perspective d’offrir un véhicule d’investissement sécurisé, rentable et liquide. Quand l’on voit s’agiter ce genre de drapeau rouge, cela flaire souvent le coup fourré.

Malheureusement, l’appât d’un retour sur investissement alléchant – pour ne pas dire délirant – fait qu’ils sont nombreux les investisseurs avisés comme les non-initiés à tomber dans le panneau et à se laisser pigeonner.

Depuis la semaine dernière, les casernes centrales croulent sous les plaintes des victimes d’une vaste arnaque sur Telegram, ayant opté de placer leurs économies dans le portefeuille d’investissement VIP 5. Ce système de Ponzi opérait à l’insu des instances régulatrices depuis 2021. Au début, la promesse était tenue. Au bout de 14 jours, les premiers investisseurs touchaient gros en termes de retour sur investissement et de bonus, soit jusqu’à 45 % du montant investi. Le piège se mettait en place. Emballés, ces clients vont convaincre leurs proches de profiter de cette aubaine, ne sachant pas qu’il s’agit en fait d’une vaste fumisterie. Graduellement, l’administrateur de la plateforme s’enhardit et encourage les intéressés à investir au moins Rs 10 000 en promettant des gains quotidiens jusqu’à Rs 3 333. Pris dans l’engrenage, les clients investissent encore et toujours plus. Jusqu’à Rs 100 000 dans certains cas ! La cagnotte grossit démesurément. C’est alors que le piège va se refermer sur les victimes. Prochaine étape : le robinet se ferme. Les supposées plus-values ne sont plus versées aux souscripteurs du VIP 5. Paniqués, les investisseurs essaient de récupérer leurs investissements, mais ils se font balader ; on leur sert comme prétexte des problèmes de virement bancaire. Finalement, ce qui devait arriver arriva ! Le groupe est désactivé sur Telegram le 13 novembre. Comprenant qu’ils se sont laissé embobiner, les victimes vont porter plainte à la police. Le constat est effarant : les arnaqueurs ont escroqué pas moins de 4 000 victimes. Plus de Rs 150 millions se sont évaporées dans la nature.

Aujourd’hui, c’est un véritable drame humain auquel on assiste. Le cas est désespéré dans la mesure où ce sont des mules – les clients eux-mêmes – qui ont récupéré l’argent d’autres clients avant de les transférer sur des comptes bancaires à l’étranger. En l’absence de traité international sur les cas de cybercrime, les enquêteurs se heurtent à une pierre d’achoppement et sont dans l’incapacité d’intervenir.

Cette affaire de phishing virtuelle est un phénomène nouveau contre lequel les instances régulatrices ont montré une certaine forme d’impuissance. Elle nous renvoie à une dizaine d’années lorsque Sunkai et Emidore Trading s’étaient fait prendre pour avoir conçu des véhicules d’investissement bidons s’apparentant à des structures de Ponzi. Il y a eu également l’affaire BAI, avec le démantèlement du conglomérat en 2015, suspecté d’être un « Ponzi-like Scheme ». Le rapport de la firme singapourienne nTan Corporate Advisory Pte devait révéler qu’au 31 décembre 2014, les registres financiers de BA Insurance affichaient des actifs d’une valeur de Rs 33,6 milliards, dont près de Rs 27,8 milliards concernaient des investissements entre apparentés (related-party transactions). Ce, bien au-delà de ce qui est autorisé dans les opérations entre apparentés. Grâce au Super Cash Back Gold, véhicule financier garantissant jusqu’à 12 % d’intérêt par an, le Groupe BAI avait pu lever jusqu’à Rs 19,2 milliards qui sont soupçonnées d’avoir servi à renflouer les caisses de la compagnie pour payer les détenteurs de police dont les plans étaient arrivés à maturité.

Depuis, les autorités ont serré la vis et les compagnies louches n’ayant pas une licence de conseil en investissement essayant de collecter de l’argent sont vite mises sur la touche par la Financial Services Commission et la Banque de Maurice. Avec cette nouvelle forme d’escroquerie sur des applications mobiles comme Telegram, les autorités devront vite trouver un moyen pour détecter toute activité suspecte. La Financial Intelligence Unit, dont la mission est de détecter le crime financier sous toutes ses formes, pourrait certainement y apporter sa contribution.

Il faut savoir que les fraudeurs ont toujours eu un coup d’avance sur les autorités de supervision. L’affaire Madoff en est une démonstration flagrante. Figure incontournable de Wall Street, Bernard Madoff incarnait le rêve américain. En tant qu’entrepreneur, il était loué pour son flair et jouissait d’une solide réputation dans le monde de la haute finance, ayant occupé le poste de président de la Nasdaq. Du haut du 19e étage du Lipstick Building à Manhattan, il gérait son activité tout à fait licite de teneur de marché. Mais, à deux étages plus bas, il opérait dans la clandestinité, administrant les fonds que lui confiaient les grosses fortunes et ses connaissances du Palm Beach Country Club, mais aussi des veuves ayant hérité d’une certaine fortune et qui étaient des proies faciles.

Malgré les signaux d’alarme et les contrôles de la Securities and Exchange Commission, il n’a jamais été inquiété. Petit à petit, il bâtissait son œuvre, attirant dans sa toile des fonds spéculatifs pourtant bien rodés aux mécanismes de la finance en leur proposant d’administrer leurs fonds sans frais et en prenant uniquement une commission sur les transactions, soit les plus-values générées sur les investissements. La promesse de Madoff, ce n’était pas des rendements faramineux, mais des performances annualisées de 9 % à 10 % sur une base constante. Une prouesse qui était tout bonnement impossible sur la durée, mais l’éléphant n’était pas suffisamment gros pour qu’on le soupçonne de fraude massive. Au fait, n’ayant pas de licence de conseil en investissement, le financier n’investissait pas un seul sou. À chaque fois qu’il devait verser des dividendes, il puisait dans l’argent que lui versaient les nouveaux adhérents.

Ce petit manège a continué jusqu’à la survenance de la crise financière de 2008. Étant dans l’incapacité de retourner l’argent des souscripteurs quand il y a eu des demandes folles de retrait, Bernard Madoff finira par tout déballer. C’est la plus fraude jamais répertoriée, soit un montant de 64,8 milliards de dollars. Une somme qui comprend les intérêts fictifs générés par le fonds Madoff.

Plus récemment, le monde de la finance a été ébranlé par la faillite de FTX, plateforme d’échange de cryptomonnaies développé par le techno-entrepreneur Sam Bankman-Fried, qui a été condamné en octobre dernier par un tribunal fédéral de New York pour avoir siphonné pas moins de 14 milliards de dollars des comptes de ses clients.

Alors que les nouvelles technologies occupent une place plus importante dans notre quotidien et que les investisseurs chevronnés et les non-initiés baissent un peu trop vite leurs gardes quand on leur vend des rêves, il est du devoir des autorités de faire davantage de campagnes de vulgarisation sur les risques qu’ils encourent s’ils se laissent séduire par l’appel des sirènes. Car, en fin de compte, le rêve peut vite se transformer en cauchemar.