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Pour une démocratie robuste
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Pour une démocratie robuste
Il faut se prévenir de l’illusion que la victoire absolue peut se suffire à elle-même, qu’elle est une fin plutôt qu’un début, qu’elle peut régner sans contrepoids. Trois fois, Maurice a connu le cataclysme d’un 60-0. Deux fois déjà, cette victoire éclatante a conduit non à l’épanouissement, mais à l’effondrement ; non à l’unité, mais aux querelles ; non à la justice, mais à l’arbitraire. Il faut un contre-pouvoir, un équilibre, pour que la démocratie et le peuple ne soient pas les éternels perdants.
Je dis que cette victoire de 2024, aussi éclatante soit-elle, porte en elle les germes de son propre échec si elle s’enivre de sa puissance et oublie les leçons du passé. En 1982, l’alliance MMM-PSM, portée par un souffle révolutionnaire, s’est brisée sous le poids des ego et des ambitions. En 1995, le mariage prometteur entre le PTr et le MMM n’a duré qu’un instant, fracassé par les rivalités et les calculs. Ces défaites ne sont pas des accidents ; elles sont les fruits amers d’un pouvoir sans limites, d’un pouvoir qui a rejeté le dialogue et la responsabilité.
Il nous faut dénoncer un système où l’exécutif, centralisé à outrance, contrôle tout : le Parlement, les institutions, les municipalités, les services secrets. Dans cette architecture, il n’existe aucun frein, aucune véritable voix dissonante capable de tempérer les excès ou de poser les bonnes questions au Parlement. Ce déséquilibre est une menace pour notre démocratie. Il n’est pas de liberté sans opposition ; il n’est pas de progrès sans critique.
Prenons l’exemple des États-Unis, où les institutions, solidement ancrées dans la Constitution, s’élèvent contre toute forme d’hégémonie. Là-bas, le président, même puissant, est soumis à la surveillance constante des deux Chambres du Congrès, qui incarnent à la fois la voix du peuple et celle des États. Chaque décision, chaque projet de loi, chaque action est examiné, débattu, contesté, avant d’être accepté. Ainsi fonctionne une démocratie robuste.
Nous ne pouvons plus continuer à laisser un parti ou une alliance contrôler l’ensemble des leviers du pouvoir, du calendrier parlementaire au choix des lois. Cette concentration étouffe la voix du peuple, prive le débat de son essence et fait de nos institutions des ombres serviles. Le contre-pouvoir ne doit pas être vu comme un obstacle, mais comme une lumière, un guide qui éclaire les chemins de la responsabilité.
Nous, citoyens, avons un rôle à jouer. La liberté d’expression est un droit, mais elle est aussi un devoir. Si nous ne parlons pas, si nous ne contestons pas, si nous ne questionnons pas, alors nous sommes complices de la dérive.
La presse a une responsabilité immense dans ce combat. Elle ne doit pas seulement relater les faits, mais les mettre en perspective, les analyser, et, surtout, en tirer les leçons. Une presse captive, soumise à des intérêts partisans, est une presse inutile.
On fait, ici, appel à vous, élus du 60-0, pour que cette victoire ne soit pas une malédiction, mais un renouveau. Le peuple vous a confié un mandat, mais ce mandat n’est pas un blanc-seing. Vous devez écouter, débattre, et gouverner avec humilité. Vous devez accepter la critique et reconnaître que vous n’avez pas toutes les réponses. C’est dans cette diversité que naît la force d’une nation.
Je dis, enfin, que ce combat est le nôtre, à tous. Maurice est à un tournant de son histoire. Ce 60-0 peut être le début d’un âge d’or ou d’une ère de désillusion. Tout dépend de ce que nous en ferons. Le pouvoir doit être équilibré par le contre-pouvoir. La majorité doit être surveillée par une opposition, surtout hors du Parlement, au sein de la société civile, en ce qui concerne. Et le peuple doit être le gardien vigilant de sa propre démocratie.
PS : Nous avons cru utile de reproduire, en page 10, outre nos écrits, des opinions de certains de nos confrères afin précisément d’élargir les perspectives.
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