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Pravind Jugnauth devant un champ de ruines
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Pravind Jugnauth devant un champ de ruines
Abruti par l’ampleur et la soudaineté de la tornade qui s’abat sur lui, sans doute amer et éprouvant, comme ses prédécesseurs au PMO, un pesant sentiment «d’ingratitude» populaire (sir Seewoosagur répétait à l’infini : «The office of PM is a thankless job!»), Pravind Jugnauth s’est réveillé, mardi matin, probablement désemparé pour contempler le champ en ruines de ses ambitions.
Le désastre est total : son pouvoir, croissant sans cesse depuis 2017, s’est évaporé. Son image et sa crédibilité personnelles sont en lambeaux. Jamais sans doute depuis l’Indépendance un de nos chefs de gouvernement n’aura été autant dénigré, publiquement insulté (BLD), ridiculisé, voire à ce point détesté par le peuple. Face à la rage populaire qui a marqué le vote de dimanche, Pravind Jugnauth n’a peut-être dû sa sécurité personnelle et celle de ses collaborateurs, outre la protection policière, qu’à la bienveillance, l’esprit de responsabilité et à la retenue de ses adversaires. Son parti, le MSM, hier première formation politique du pays, est aujourd’hui laminé et n’aura qu’une représentation minimale et symbolique d’un siège au Parlement, avec la nomination de Joe Lesjongard comme Best Loser et probable leader de l’opposition.
Il va lui falloir, d’ici 2029, tout repenser, tout reconstruire avec cette fois une stratégie non plus de gestion des affaires publiques, mais d’opposition extra-parlementaire recherchant lentement la reconquête du pouvoir. Par ailleurs, le temps des récriminations n’est peut-être pas loin. Pravind Jugnauth a, en effet, entraîné dans sa chute d’autres chefs politiques ambitieux, heureux de leur performance ministérielle ou de leurs perspectives d’avenir (Xavier-Luc Duval, dont le PMSD est aujourd’hui sérieusement compromis ; Steven Obeegadoo, fier de ses 8 000 logements sociaux et 1 400 000 touristes ; Alan Ganoo avec la réussite du Metro Express ou encore Ivan Collendavelloo qui espérait faire repartir son ML). Ces derniers ne décolèrent pas d’avoir fait les frais de l’inaptitude du PM à contrôler les dérives et scandales des ministres MSM et de la très controversable «Kwizinn» qu’animait son épouse. Certains d’entre eux, manifestement, n’ont plus d’avenir politique.
Pour l’ex-PM, l’humiliation est loin d’être terminée : d’autres épreuves personnelles l’attendent. Son téléphone va sonner de moins en moins. Ne jouissant plus d’aucun statut protocolaire, les invitations se feront plus rares. En règle générale, les courtisans, jouisseurs et opportunistes qui entourent les chefs politiques dans les salons, s’éloignent prudemment des perdants, sur la pointe des pieds, et savent discrètement changer de loyauté. La victoire, en effet, n’a que des amis. La défaite, elle, est orpheline, solitaire. Demandez à Navin Ramgoolam ou à lady Sarojini Jugnauth…
Comment Pravind Jugnauth en est-il arrivé là, lui qui se croyait promis à un grand destin, possiblement PM jusqu’en 2034, avec le retrait forcé des octogénaires Bérenger et Ramgoolam ? Ses ennuis résultent de nombreux mauvais choix successifs. Ceuxci tournent autour de deux séries de facteurs : gouvernance et politiques.
La gouvernance
Héritant d’un modèle parlementaire Westminster impeccable et de structures démocratiques solides autour d’une Constitution qui nous sied parfaitement, Pravind Jugnauth, au fil des ans, a choisi de s’en éloigner peu à peu pour adhérer à une culture politique nouvelle plus de type plus sud-américain ou asiatique qu’européen, marquée par de dangereuses dérives :
• Un autoritarisme grandissant et une intolérance viscérale vis-à-vis des critiques et opposants ;
• Un affaiblissement systématique et le noyautage des institutions essentielles ou de la fonction publique, au moyen de nominations calculées (State Capture) ;
• La banalisation et le non-respect des contre-pouvoirs, du Parlement, de la presse et du judiciaire ;
• Un insupportable clanisme et copinage caractérisé par l’octroi de contrats, la protection et l’immunité aux «amis du parti» ;
• Le culte du secret d’État, à l’heure de la transparence globale obligée ;
• L’utilisation de «dirty tricks» (planting de drogue notamment, suivie d’arrestations) et de «money politics» choquantes et étrangères à nos mœurs démocratiques ; et
• La recherche permanente d’un matérialisme forcené, et un changement dans nos valeurs traditionnelles de travail dur et de récompenses pour privilégier la séduction de l’argent facile et les jeux d’influence corrosifs pour le moral de la nation.
Là, dans l’un ou l’autre ou dans l’interaction de ces éléments est l’explication tout simplement, pas ce que souhaite notre pays et il l’a dit haut et fort dimanche. À la base de cette défaite catastrophique, il n’a pas été question de bilans économiques et sociaux ou d’avantages financiers à venir, mais strictement de mauvaise GOUVERNANCE, de la manière dont le pays est administré, de l’idée que les Mauriciens se font de leur avenir et de celui de leurs enfants. Les Mauriciens ne se retrouvaient plus, ces derniers temps, dans le modèle de gouvernance pratiqué.
Les ««Moustass Leaks», en fin de campagne, ont exposé de manière spectaculaire et avec une stupéfiante efficacité cette perversion, cette pollution de tout ce qui fait l’originalité et la force de notre société. L’effet en a été dévastateur. Pravind Jugnauth et le MSM n’ont jamais compris, depuis 2019, l’accumulation de frustrations populaires, non seulement par rapport aux difficultés du quotidien, mais aussi et surtout, par le divorce entre l’aspiration de la nation à un pays bien gouverné et la médiocrité qui lui était proposée au Parlement et ailleurs, et qui fait que tant de Mauriciens veulent aujourd’hui respirer hors du pays. La nation étouffait dans cette atmosphère sordide et le verdict de lundi a été vécu par un million de personnes comme une délivrance à la fois nationale et personnelle.
Pravind Jugnauth et le MSM ont payé dimanche tout le prix de cette frustration accumulée. Acheter les consciences n’a jamais été un substitut intelligent à la recherche de ce qu’il y a de mieux pour le pays. Naturellement au pire moment possible pour le MSM, l’existence et l’influence d’une forme de gouvernement parallèle inofficiel et non élu, d’une exceptionnelle vulgarité et petitesse d’esprit, d’un petit noyau qui s’est cru autorisé à s’ingérer dans à peu près tout, gardant un œil sur tout, voulant avoir son mot à dire sur plusieurs questions sensibles et pouvant décider, «second guess» ou renverser des décisions administratives relevant uniquement d’officiels du Gouvernement central ou régional. À travers ces «leaks», Pravind Jugnauth est apparu comme un chef de gouvernement «sous influence», fort envers les faibles mais en définitive faible envers les forts.
Dans une très large mesure, Lakwizinn a perdu Pravind Jugnauth et ses alliés. Elle a amené politiciens et fonctionnaires à se dévoyer, à confondre les centres d’autorité, à ne plus faire la claire distinction entre le Sun Trust et l’Hôtel du gouvernement, et à tolérer un «Vetting right» extérieur qui pouvait amoindrir l’autorité du gouvernement et de l’État. La réprobation populaire a été immédiate, sévère et sans appel. L’Alliance Lepep regrettera cette confusion longtemps, longtemps encore, et le MSM traînera ce problème de dualité de pouvoir comme un boulet dans son œuvre de reconstruction.
Mauvais calculs politiques
Sur le plan strictement politique, enfin, la stratégie première du MSM de viser essentiellement les circonscriptions nos 4 à 14 comme base électorale première avant de rechercher subséquemment l’adhésion des groupes minoritaires a été une erreur majeure. On n’a de cesse de le dire : on ne peut gouverner l’île Maurice que dans le partage réel du pouvoir, le strict respect des droits et des chances de chacun, minorités comprises, en termes de justice sociale, d’emploi et de sécurité. Gouverner autrement pour le MSM, c’est s’exposer à être débordé sur le flanc par un Parti travailliste qui traditionnellement mobilise, au départ même, plus de 35 % du milieu hindou, mais qui peut attirer de très importants renforts chez les minorités. Cela s’est vérifié une fois de plus au scrutin de dimanche. Depuis toujours, le parti de Navin Ramgoolam apparaît plus «national» que le MSM. Tant que le parti de Pravind Jugnauth ne changera pas d’optique sous ce rapport, il se fera systématiquement devancer par le PTr, spécialement si ce parti reste proche du MMM après cinq ans de vie commune à l’Hôtel du gouvernement.
Les notions de mauricianisme et de méritocratie ont fait, depuis une vingtaine d’années, une très importante percée dans le pays et auprès des jeunes. Il n’y a désormais, pour tout parti politique, d’autre choix que l’abandon progressif de calculs ethniques désuets et la reconversion résolue en partis véritablement multiethniques et nationaux. S’il ne s’y adapte pas, le MSM aura fait son temps et n’aura plus vraiment d’avenir.
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