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Témoignages de Quatrebornais

Quand la Ville des fleurs n’a plus de parkings

2 octobre 2023, 18:39

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Quand la Ville des fleurs n’a plus de parkings

Le métro a radicalement changé l’avenue St-Jean

La ville de Quatre-Bornes, connue comme la Ville des fleurs, s’est transformée, principalement le long de l’avenue St-Jean. Si des commerces y sont toujours ouverts après des dizaines d’années, d’autres ont fleuri puis se sont fanés. Avec l’arrivée du métro, le chiffre d’affaires de certains a été réduit de 40 à 50 %. Ceux qui sont encore en activité disent survivre par amour pour leur métier. Le problème auquel font face certains commerçants est le même : il n’y a plus de place pour se garer.

Il n’y a plus de stationnement et les clients en voiture ne s’arrêtent pas car ils ne veulent pas perdre un ticket de parking d’une heure juste pour entrer et acheter un article spécifique. Non seulement la clientèle en souffre, mais c’est aussi le cas pour les commerçants qui louent leur emplacement. Ils n’ont pas d’aires de stationnement pour garer leur propre voiture. Les chauffeurs de camion de livraison ne savent plus comment s’y prendre pour décharger leurs marchandises. Certains désespèrent, d’autres ont dû louer un terrain privé pour y aménager un parking afin de conserver leur clientèle. Une des branches d’Emtel, des succursales de Mauritius Telecom, la NIC Insurance et El Mondo Pizza ont plié bagage.

Nous nous sommes entretenus avec quelques commerçants qui sont sur la route royale depuis un certain temps. Voici leurs témoignages sur les multiples facettes de Quatre-Bornes.

Nasreen Gaungoo, gérante du magasin Valence, est sur les lieux depuis 36 ans. Elle tient un magasin de vêtements et de jouets pour enfants. Elle possède également un petit coin avec plusieurs aquariums remplis de différents types de poissons. Jadis, les parents en profitaient pour faire des achats variés lorsqu’ils visitaient le magasin. Aujourd’hui, il ne lui reste que trois ou quatre malheureux aquariums avec quelques poissons. «Auparavant, c’était un plaisir de venir travailler car nous attirions un bon nombre de clients. Cet engouement était présent pour servir et conseiller aux mieux les clients.»
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Elle ajoute que les clients achetaient non seulement des vêtements pour leurs enfants, mais en profitaient aussi pour leur faire plaisir avec un poisson pour leur aquarium. «Aujourd’hui, il ne me reste que les clients qui connaissent mes produits et le service que je leur offre. Ils me sont restés fidèles. Mon chiffre d’affaires a diminué de 50 % depuis les derniers développements du Metro Express. Ce n’est pas que nous sommes contre les développements. Au contraire, nous sommes heureux.» Et de renchérir : «Notre seul souci, c’est que les routes ont été rétrécies. Nous n’avons plus de place pour que la clientèle se gare. Dans ce processus de développement, j’ai perdu des clients qui s’arrêtaient autrefois pour quelques minutes pour l’achat d’un présent pour l’anniversaire d’un enfant. Maintenant non. En tant que locataire des lieux, je n’ai pas d’espace pour ma voiture. C’est une triste réalité.»

Nasreen Gaungoo explique son désarroi : «Il y a des jours où je reste assise sans même faire une seule vente. Cela joue sur le moral. Mais je tiens bon pour voir où cela me mènera. Être au magasin est devenu un passe-temps pour moi. Si j’avais dû dépendre de mon commerce pour élever mes enfants, cela aurait été difficile. Les enfants sont grands et ils ont déjà entamé leur carrière.»

Ashwin Hasowa, le gérant du magasin Crazy Sales, qui opère sur les lieux depuis dix ans, explique qu’avec l’arrivée du tram, les ventes ont baissé. «Je n’arrive plus à payer le loyer. Les clients ne s’arrêtent plus vu qu’il n’y a pas de parking devant le magasin. Je compte sur la clientèle les jours où il y a le marché de légumes et de vêtements. Mon chiffre d’affaires a drastiquement chuté. Nou pé séy tini pou gété kot nou alé.»

ashwin.jpg Il souligne qu’il ne s’est pas plaint du Covid-19 car personne n’avait les moyens pour faire des achats. «Après cette période sombre, nous nous sommes relevés et avons bien redémarré. Si je n’avais pas à travailler, je n’irais même pas sur la route St-Jean. Elle est devenue étroite; elle est bloquée. Une dame accompagnée d’un enfant n’est pas en sécurité pour marcher sur le trottoir. Si un véhicule dérape, un accident mortel peut rapidement se produire.»

Pour sa part, Ricardo Paul, gérant de Chez Robert Foods, nous raconte les débuts du snack. «Mon père Robert était cordonnier à l’origine et ce lieu existe depuis plus d’une trentaine d’années. Avant de se lancer dans la cuisine, il tenait un magasin de chaussures ici. Mais avec l’arrivée de chaussures en provenance de Chine, les ventes ont baissé. C’est en 1992 qu’il a décidé de se diversifier en offrant de bons plats comme les aiment les Mauriciens, et commencé à vendre des boulettes et des bols de mines devant l’emplacement.» robert.jpg

Il ajoute qu’après avoir terminé le collège, il a voulu donner un coup de main à son père afin de soutenir le business. «J’ai été formé en cuisine à l’école hôtelière et j’ai travaillé dans l’hôtellerie pendant cinq ans. En 1997, on a changé de nom pour l’appeler ‘Chez Robert Food’. En 2019, mon père est décédé. On a repris le flambeau. Cette année, nous avons innové avec un nouveau décor. Nous proposons différents plats délicieux avec de l’agneau, des fruits de mer et, bien sûr, nous n’oublions pas les plats végétariens. C’est un business de famille avec mon épouse, ma belle-fille et ma sœur. Nous sommes soudés. Mon grand-père est aussi impliqué dans le business. Nous mettons beaucoup de cœur dans ce que nous faisons.»

Malgré les grands changements en ville, il avoue qu’il ne désespère pas car l’argent est secondaire. «Nous mettons beaucoup d’amour dans ce que nous faisons. Tous les jours, le nombre de clients diffère, mais on s’adapte. Puisqu’il faut bien faire tourner notre business.»

Quant à Michael Shin, gérant de Central Supermarket, qui existe depuis 50 ans, il ne décolère pas. En plus de son chiffre d’affaires qui a baissé de 50 %, il a loué un espace de parking à l’arrière de son bâtiment pour accommoder ses clients. «Nous avons précisément loué cet espace pour ne pas perdre notre clientèle. Auparavant, les camions de livraison pouvaient décharger leurs marchandises sans problème. Maintenant, devant le supermarché, nous n’avons plus d’espace de parking.»
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Il ajoute qu’il ne fallait pas faire passer le tracé du métro sur la route St-Jean. «Les piétons ont du mal à traverser la route. Les vibrations déclenchées par le métro lorsqu’il passe nous importunent.»

Seeb Store opère sur la route St-Jean depuis 40 ans. Son gérant, Soobastian Seebaruth, partage son amertume après y avoir travaillé pendant si longtemps. Il mentionne qu’initialement, il gérait une boutique. Cependant, avec l’arrivée des hypermarchés, ses activités ont commencé à battre de l’aile. Suite à cette situation, il a choisi de la reconvertir en tabagie. Il n’hésite pas à nous avouer qu’il a subi une perte de revenus en raison des problèmes de stationnement, ce qui dissuade les clients à s’arrêter à cause des dangers de la route. «Où vont-ils se garer ?», se demande-t-il. seeb .jpg

Il confie qu’après les heures de cours, il n’y a pas d’activité. «Cela devient assez dangereux car il n’y a plus personne qui passe. Aucun policier ne sillonne les lieux.» Ce qui maintient le commerce en activité, c’est la machine de loterie Vert. «C’est l’un des moyens pour nous de boucler les fins de mois.»

Vinod Mungur, qui tient le salon Vino Hair Designer depuis 18 ans, dit que le métro est une bonne chose pour les Quatrebornais qui vont travailler. «Nous sommes très heureux d’avoir ce type de développement dans notre ville. Le gouvernement a innové.» Néanmoins, il partage l’avis de nos autres interlocuteurs sur le problème de stationnement qui, dit-il «est dans notre vie de tous les jours». Il nous explique qu’il a dû changer de stratégie marketing pour attirer la clientèle. «Nous avons foi que les choses iront pour le mieux car nous allons persévérer pour notre gagne-pain.» vinod.jpg