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Quand le déficit commercial est tiré par la faiblesse de la roupie
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Éclairage
Quand le déficit commercial est tiré par la faiblesse de la roupie
Il faudra sans doute s’attendre à ce que le déficit commercial dépasse la barre des Rs 200 milliards cette année. Un chiffre qui inquiète et donne du tournis aux communs des mortels, car c’est la première fois que ce déficit se creusera pour atteindre un tel niveau, suscitant dans la foulée des explications.
Évidemment, chacun tentera, allant du spécialiste de la finance au simple observateur lambda, de relativiser ce déficit même si la tendance ces dernières années pointait vers une hausse. Pour autant, s’il y a un facteur qui transcende les explications des uns et les analyses des autres, c’est le poids de la dépréciation de la roupie dans cette équation.
Car il ne faut pas être un grand expert ou encore moins un comptable pour comprendre qu’une forte dépréciation de la roupie vis-à-vis des monnaies étrangères, dont le dollar, utilisé majoritairement pour régler les factures d’importation du pays, rend mécaniquement les échanges des biens plus chers, creusant dans la foulée le déficit commercial. Une certaine logique, dira-t-on. Mais jusqu’où ira ce déficit commercial ? Dispose-t-on d’une stratégie pour réduire sa progression et éventuellement inverser sa tendance haussière ?
Pour le moment, les spécialistes s’interrogent, sachant que Maurice, comme Singapour, souffre d’un déficit commercial structurel et qu’en même temps, il y a peutêtre des facteurs exogènes qui ont pu aggraver le déficit commercial ces dernières années. Ils pensent notamment à l’effet économique de la crise pandémique qui est venue rompre la chaîne d’approvisionnement mondiale, influant négativement sur les exportations. Mais aussi de l’avènement de la guerre russo-ukrainienne, avec à la clé une envolée des prix des matières premières et des commodités, ce qui a entraîné dans la foulée un choc inflationniste à l’échelle mondiale, n’épargnant aucun pays, dont Maurice.
Rajeev Hasnah, économiste, pousse sa réflexion plus loin en se basant sur une analyse comparative entre 2019 et 2022 pour bien cerner l’impact de la dépréciation de la roupie sur le déficit commercial. Il rappelle que les importations ont cru de Rs 93milliards, passant de Rs 199 milliards en 2019 à Rs 292 milliards l’année dernière, soit une hausse de 47 %. Parallèlement, les exportations sont passées de Rs 79 milliards en 2019 à Rs 106 milliards en 2022, soit une hausse de 34 %. «Entre 2019 et 2022, la roupie s’est dépréciée de 25 % face au dollar. Ce qui me fait dire que par rapport à cette hausse de 47 % dans la valeur d’importations entre ces deux périodes, la dépréciation de la roupie représente 53 % et la différence est liée à d’autres facteurs, dont l’augmentation des prix des matières premières.»
Autant l’économiste s’interroge sur l’effet de cette dépréciation de la roupie, autant il se dit perplexe quant au poids de l’importation des produits pétroliers sur le déficit commercial. Cela, sur la base des dernières statistiques. De 2019 à 2022, la facture pétrolière, dit-il, a accusé une hausse de 82 %, sortant de Rs 30 milliards pour atteindre Rs 56 milliards, une hausse de 82 %, dont 25 % relève de la dépréciation de la roupie et le reste se rapportant aux augmentations des prix.
«En 2016, le prix d’un baril était de USD 116 contre une moyenne de USD 80 aujourd’hui ; il y a une baisse de 44 % de 2022 à ce jour. Or, compte tenu du poids de cette transaction sur la balance commerciale, je ne comprends pas ce déficit commercial à plus de Rs 200 milliards avec le cours du baril en baisse et un dollar qui semble stabilisé autour de Rs 44 à Rs 45 face au dollar. Doit-on recourir à une baisse des exportations ou encore une augmentation de la consommation pour faire filer le déficit commercial ?» lance Rajeev Hasnah.
Une récente analyse d’Eric Ng démontre en revanche qu’il n’y a pas la corrélation entre l’augmentation du déficit commercial et la consommation accrue. Pour preuve, la part des biens de consommation (incluant les produits pétroliers) dans les importations était en 2022 la même qu’en 2023, soit autour de 53 %. «Ces dix dernières années, les Mauriciens ne sont pas devenus ‘plus consommateurs’», analyse-t-il.
Déficit et taille de l’économie
Chez Maurice Stratégie, opérant au sein de l’Economic Development Board, et qui réalise des projections et des analyses économiques pour le compte du Trésor public, il ne faut pas analyser les estimations du déficit commercial en isolation face à d’autres indicateurs économiques, dont le Produit intérieur brut (PIB). «Lorsque nous examinons la balance commerciale visible par rapport à la taille de l’économie, en l’occurrence le PIB, nous constatons qu’il n’y a pas eu de changement majeur. En 2022, le déficit par rapport au PIB s’élevait à 33,4 %. Pour 2023, le déficit commercial serait d’environ 32,6 %, du PIB, ce qui démontre pratiquement un scénario de statu quo.» Une observation partagée par l’économiste Swadicq Nuthay.
Les experts de Maurice Stratégies maintiennent qu’une analyse approfondie des exportations et des importation révélerait des détails supplémentaires sur la structure des échanges du pays. «Si l’on regarde les exportations totales pour 2023, Statistics Mauritius s’attend à ce qu’elles atteignent environ Rs 110 milliards, soit 3,8 % de plus que les exportations totales d’environ Rs 106 milliards en 2022. D’après les chiffres disponibles en juin 2023, on peut voir que les exportations nationales et les réexportations, qui contribuent le plus en valeur au PIB, ont augmenté respectivement de 7,5 % et 11,2 %. En revanche, les activités de bunkering ont enregistré une baisse, conséquence de la baisse du prix de l’essence», souligne Maurice Stratégie. Quant aux importations, la cellule de recherches et d’analyses d’EDB précise qu’elles incluent exceptionnellement cette année des machines pour les terminaux de métro et que 20 % des importations concernent de «machines et matériels de transport», qui soutiennent le développement futur de l’économie
Quid de l’évolution du taux de change ? Stratégie Maurice rejette l’argument que c’est le principal facteur pouvant expliquer le déficit en termes absolus. «Une baisse de la valeur de la roupie soutient également les exportations, et aurait ainsi un impact compensatoire sur le solde visible, l’impact net étant proche de zéro. La même logique s’applique à l’inflation, en particulier dans les cas où celle-ci affecte de la même manière presque toutes les économies.»
Le Trésor public est convaincu qu’à mesure que l’inflation s’atténuera et que les recettes des exportations du secteur des services, en particulier du tourisme, continueront d’augmenter, l’économie mauricienne se rapprochera de ses fondamentaux. «La clé pour réduire le déficit consistera à augmenter la production en améliorant l’accès aux facteurs liés à l’offre tout en continuant à diversifier nos marchés et à exploiter de nouvelles demandes.»
Attendons pour voir…
Entre balance commerciale et compte courant
Il va sans dire que les économistes aiment attirer l’attention sur le fait qu’il ne faut surtout pas confondre la balance commerciale visible, qui concerne uniquement les marchandises, et le compte courant de la balance de paiements, celui-ci comprenant les biens et les services dont le transport, le tourisme, la finance. Or, pour schématiser, on va dire qu’un déficit commercial intervient quand la valeur d’importation dépasse celle d’exportation. Les spécialistes rappellent qu’il est parfaitement possible d’avoir un déficit commercial et un surplus du compte courant comme cela a été le cas à Maurice en 2001, 2002 et 2003 et que c’est à partir de 2004 que le compte courant est devenu déficitaire.
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