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Patrimoine immatériel de l’UNESCO
Quand le «sega tipik» pousse par la racine
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Patrimoine immatériel de l’UNESCO
Quand le «sega tipik» pousse par la racine
Belle découverte avec le groupe Korperasion Tipuk porté par le coffre et l’énergie de Corinne Zamala.
Pour le lancement d’un beau livre et album, Lasosiasion pratikan sega tipik s’est offert une somptueuse soirée en plein air dans le village du Morne. Le samedi 18 mai, ancêtres protecteurs et nouvelles générations se sont retrouvés, pour veiller sur un art souvent ballotté, jamais effacé.
Comme un tubercule que l’on aurait oublié sous terre. Luttant dans le noir contre la nuit de l’oubli. Avant de bourgeonner à l’ombre de la montagne-symbole des ancêtres. Pour nous reconnecter à nos racines. Pour que nous retrouvions cette partie de nous, égarée au fil du temps.
Riche en émotions fortes que cette soirée de lancement du livre-album de Lasosiasion pratikan sega tipik, Atraver regar bann zenerasion. C’était le samedi 18 mai au village du Morne. Dommage que l’autorisation de la police pour ce concert en plein air ne s’étendait pas au-delà de 21 heures. Ce qui a contraint les groupes à ne chanter qu’une seule chanson au son des ravann lapo. Le synthétique étant proscrit, car c’est faire offense à l’authenticité du sega tipik tel que reconnu par l’Unesco.
Premier défi relevé : réunir au même endroit ces troupes venues des quatre coins de l’île. Dans le livre, la carte des 11 troupes membres de lasosiasion montre que ce patrimoine immatériel reconnu par l’Unesco en 2014 – cela fait dix ans – est enraciné autant lor lakot, dan lavil, que dan vilaz.
Ce beau livre retrace l’histoire des 11 groupes membres de Lasosiasion pratikan sega tipik.
Le beau livre propose aussi une série de photos d’archives où l’on retrouve les visages de chers disparus : Marclaine Antoine, Serge Lebrasse. Encore une preuve, s’il en fallait, d’enracinement.
Toutes ces troupes grandissent – pour ne pas dire résistent – à l’ombre d’illustres aînés. Si Group Mazavarou fer leker bat for, c’est parce que le regretté conteur Fanfan veille sur sa fille Magdala Joseph St-Mart, qui a repris le flambeau. José Legris dit haut et fort qu’il veut porter plus loin ce qu’a laissé Mo kapitenn, Michel Legris. Il est à la fois un pratikan sega tipik et un fabricant de ravann. À Petite-Rivière, le groupe Zenerasion Cassambo perpétue la mémoire de Lois Cassambo, Josiane Cassambo, ces célèbres pratiquants qui ont «marqué l’histoire culturelle de l’île Maurice».
L’héritage de l’emblématique Ti Frer est encore plus fascinant, avec ses deux branches chargées de fruits. D’un côté, il y a le Group Etwal Filant de Mimose Ravaton-Denis. «Ti Frer est le frère de notre grand-père. Marlene Ravaton est ma marraine, la sœur de mon père. Mon père, Wilhem Ravaton, était le joueur de ravann de Ti Frer», raconte-t-elle dans le livre.
D’un autre côté, il y a le cas atypique de Jacqueline Ravaton, aujourd’hui disparue. Mais non sans transmettre sa passion au groupe Revelasion Ti Frer. Jacqueline Ravaton était la nièce de Ti Frer et sa famille vivait à Bonne-Veine non loin de Quartier-Militaire. Sa famille ne pratiquait pas le sega tipik, mais Jacqueline Ravaton y est exposée dès sa naissance. Elle a raconté comment ses parents désapprouvaient le sega tipik. C’est «contre la volonté de son père» qu’elle assistait aux spectacles.
Avec José Legris, l’héritage de Mo kapitenn still going strong.
Au «décès de son mari en 1979», Jacqueline va vivre avec sa mère à Rose-Hill et se rend compte que de «nombreuses lignées de Ti Frer n’existaient plus. Elle s’est alors demandé comment continuer à faire vivre la mémoire de Ti Frer, pensant : ‘Il est la clé, nous nous devons de protéger les racines’». Quand Ti Frer disparaît, Jacqueline «a ressenti le vide, puis le désir et le devoir de s’exprimer à travers la tradition du sega tipik». Le Groupe Revelasion Ti Frer voit le jour. Au début, le répertoire du groupe puise dans celui de Ti Frer avant qu’il ne compose ses propres chansons.
De quoi parle le sega typik ? Mimose Ravaton résume le sujet dans le livre : le sega tipik, c’est l’expression de sentiments profonds «pour que le mot ne glisse pas dans les commérages».
La transmission en marche.
En racontant des expériences vécues, dit-elle, «tout le monde n’est pas intéressé à savoir. J’ai tellement versé de larmes avec cette chanson qui s’appelle Rosa-Roselio. Mais j’ai réussi à m’en remettre toute seule. Je me suis guérie moi-même». Ce qui ouvre la porte vers une autre dimension. Celle des vertus thérapeutiques d’un art qui ne se pratique pas seul. Un art qui vous enveloppe dans la chaleur du cercle familial, pour que dialoguent les différentes générations. L’isolement, aujourd’hui si courant dans la vie moderne, n’a pas sa place dans l’univers du sega tipik. Il est une plateforme pour partager ses déboires. Pa gard dan leker. En chantant, en vibrant, on en sort plus léger. Revigoré, pour reprendre son quotidien.
L’album mémoire
L’album lancé en même temps que le livre comporte 11 titres, un de chacun des groupes membres de Lasosiasion pratikan sega tipik. L’enregistrement a été fait par l’ingénieur du son Philippe de Magnée.
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