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Que va faire le dragon grippé ?

3 septembre 2023, 09:30

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Que va faire le dragon grippé ?

Apriori, la santé économique d’un pays tiers ne devrait pas trop intéresser Maurice. Mais tout comme on disait, à l’époque, quand l’économie américaine souffrait de bronchite, que c’était l’économie mondiale qui allait souffrir des conséquences ; il est devenu nécessaire de dire la même chose à propos de la Chine maintenant.

En effet, la Chine, dont l’économie ne produisait que 11 % que ce que produisaient les Américains en 1960 (aux taux du marché), était parvenu, en 2010, à 40 % du produit intérieur brut (PIB) américain. En 2021, le ratio était arrivé à 76 %. Mesurée cependant en PPP (Purchasing Power Parity), l’économie chinoise était déjà, en 2022, à 30.33 trillions de dollars, soit à 19 % de plus que celle des États-Unis.

Derrière ces deux économies mondiales, il n’y a rien de comparable ; les trois prochains pays, Japon, Allemagne et Inde pointant autour de seulement 4 trillions de dollars et il faudra maintenant s’inquiéter de la grippe économique chinoise, à défaut de celle de Wuhan.

Car l’économie chinoise est en difficulté de multiples façons.

On pourrait situer le début des difficultés avec la dévaluation intempestive du yuan en 2015. La croissance de la productivité chinoise n’est plus ce qu’elle était, quand on remplaçait des compagnies étatiques sclérosées par des start-ups privées, devenues depuis championnes mondiales. La puissance brute d’une population qui augmente n’est plus disponible pour doper le PIB. Pire, la population âgée d’entre 15 et 64 ans va diminuer par 100 millions et plus dans les années 2030… La croissance ébouriffante de ces dernières décades, c’est probablement terminé !

L’un des gros défis immédiats des Chinois concerne le secteur immobilier qui, responsable de presque 30 % du PIB jusqu’à tout récemment selon l’économiste Rogoff, est en chute libre. Ce n’est pas étonnant, puisqu’ils en sont déjà au point où, alors que leur PIB/tête est six fois inférieur à celui des Américains ; 90 % de la population possède déjà un logement (USA : 66 %, France : 65 %, Japon : 55 %, Maurice : 89 %), alors que 25 % d’entre eux possèdent (spéculativement ?) deux logements ou plus ! Dans un contexte déjà morose, les développeurs (Evergrande, Country Garden…) vendent moins, travaillent donc moins, baissent donc les prix, ce qui refroidit encore plus les acheteurs potentiels, puisque ceux-ci ne voient plus de ‘plus-value’ marchande à ce qu’ils achèteraient maintenant et préfèrent donc attendre les prix plus bas qu’ils anticipent… C’est un danger que courent bien des secteurs immobiliers d’ailleurs, où l’offre dépasse libéralement la demande et il est incroyable que les autorités ne soient pas intervenues plus fortement pour rétablir les équilibres, préférant la fuite en avant. Plus de 140 millions de logements urbains ont été construits durant la dernière décade. Contrairement à Maurice, les étrangers ne souhaitent que rarement habiter la Chine et n’investissent pas dans le secteur…

De plus, la Chine n’est plus dans le pragmatisme de Deng Xiao Ping («Qu’importe la couleur du chat, tant qu’il attrape des rats !») et subit de plus en plus la centralisation ainsi que l’interventionnisme grandissant de Xi, ce qui affecte les ressorts capitalistiques de l’économie. Le gouvernement chinois est ainsi intervenu pour, notamment, mettre le secteur digital et d’autres au pas (Pensez Jack Ma ! Ren Ziqiang ! Bao Fan ! (*) et même décourager l’éducation privée, entre autres l’EdTech. En conséquence, la confiance dans l’avenir a chuté, l’esprit entrepreneurial débridé a été remplacé par plus de prudence face au risque politique, on investit moins, et l’épargne gonfle puisque la consommation est tiède. Que leur ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, franc et direct, puisse littéralement disparaître depuis juillet dernier n’est pas pour rassurer non plus…

Le problème de la Chine semble être que Xi se soucie relativement moins de la croissance à court terme (lockdown insensé pour le Covid, suivi d’un ‘rebond’ de croissance de seulement 3,6 % plus récemment) que de la ‘grandeur’ de la Chine à moyen terme (Taïwan, BRICS, mer de Chine, virilité militaire). Ce fait coïncide avec encore plus de centralisation de pouvoir entre les mains de Xi (voir le dernier congrès du Parti communiste chinois (PCC) (**) et le remplacement fréquent de technocrates par des loyalistes. La Chine, qui tolérait jusqu’à récemment des débats ouverts sur son économie, tant que celle-ci écrasait tout sur son passage, ne publie plus de statistiques embarrassantes, comme sur le chômage des jeunes ou la confiance des consommateurs… Le résultat principal de ces cachotteries c’est d’ailleurs que la confiance fout le camp encore plus et que l’exode des capitaux s’accélère ! Ainsi, en haut de la hiérarchie politique, on hésite à proposer des idées novatrices ou à proposer des contre arguments à ce que pense Xi, qui ressemble donc de plus en plus à un Mao grand timonier. Selon des observateurs, les décisions prises semblent plus idéologiques récemment, dans un étrange mélange de méfiance ‘de gauche‘ envers les entrepreneurs riches, souvent soupçonnés de corruption ou accusés de déloyauté et, d’autre part, de réticence ‘de droite’ pour soutenir les plus pauvres socialement – seulement 35 % des citadins possédant le ‘Hukou’ qui ouvre les portes à l’éducation et aux soins médicaux (***) par exemple.

Les succès chinois jusqu’ici sont indéniables. Même si certains ont souvent exprimé des doutes sur certaines statistiques, parfois outrageusement embellies par les cadres régionaux du parti afin de bien se faire voir, il est certain que le taux de croissance chinois a été sans parallèle sur les 40 dernières années. Arracher, sur cette période, 770 millions de Chinois de la pauvreté absolue (1,90 $ par jour), consacre l’un des plus grands succès économiques de tous les temps ! En passant, la pollution de l’air s’est améliorée de 42 % entre 2013 et 2021, même si la Chine reste 13ᵉ de ce hit-parade, notamment à cause de ses centrales à charbon. Les infrastructures nationales sont impressionnantes, des villes poussiéreuses et fatiguées sont aujourd’hui reluisantes et dynamiques. Et si la croissance de la productivité ralentit, la Chine est quand même le 28ᵉ mondial pour la compétitivité de son économie (****), Maurice étant 52ᵉ.

Mais il y a maintenant un refrain certain à ces succès et ça semble s’aggraver.

Les nouveaux prêts bancaires sont en recul (et ce n’est pas la baisse du taux directeur par 0,1 % qui y changera grand-chose…), les ventes au détail sont molles, les exportations reculent et les transactions immobilières s’affaissent. En conséquence, il n’y a pas un problème d’inflation comme ailleurs, mais de chute de prix et de déflation, dont le moteur principal est l’immobilier, puisque les cash-flows s’assèchent au point où on rate déjà des échéances de remboursement d’emprunts, y compris pour deux des plus importants développeurs, Evergrande et Country Garden. En fait, on rapporte, jusqu’ici, que les développeurs responsables de 40 % des ventes immobilières résidentielles ont été poussés à des défauts de paiement !

Ces difficultés de cash-flow ont évidemment d’autres conséquences. On paie les fournisseurs plus difficilement (ou pas du tout), les fabricants de meubles ou de cuisines voient leurs ventes chuter. Les ouvriers du bâtiment, les décorateurs, les électriciens, les ingénieurs, les agences de vente trouvent du travail plus difficilement ou ne se font pas payer. Cela a des conséquences immédiates sur l’écolage, les hypothèques, les sorties au restaurant, les vacances projetées… La confiance dans l’économie, déjà affaiblie, entre alors dans un cercle vicieux dont on ne voit pas facilement l’issue puisque ceux qui doivent trouver des solutions sont les mêmes qui ont causé les problèmes, étant d’abord responsables de l’emballement immodéré du secteur immobilier, ce qui aidait la croissance du PIB, puis des mesures trop brusques pour réduire la bulle des prix.

Autres conséquences : les fournisseurs ne veulent plus donner du crédit et les acheteurs qui «achetaient sur plans», avec de faibles (ou pas de) dépôts, finançant substantiellement les développeurs, s’y refusent désormais. L’effet boule de neige est partout ! D’autant que le problème pré-date même le Covid, des fournisseurs d’Evergrande rapportant que dès 2017, ils recevaient des IOUs de 12 mois ! La priorité des autorités semble être que les développeurs finissent les constructions qu’ils ont déjà commencées. Evergrande qui avait 720 000 unités à terminer fin 2022, est entré en administration volontaire le 17 août dernier. Lundi, ses actions réapparaissaient à la Bourse de Hong Kong après une absence de 17 mois et chutaient de… 79 %.

Ça sent mauvais ! Et la situation géopolitique va en souffrir. Car, comme le soulignait avec justesse Joe Biden, il y a peu: «When bad folks have problems, they do bad things!»

(*) https://www.bbc.com/news/business-64781986

(**) https://www.theguardian.com/world/2022/oct/22/xi-jinping-tightens-grip-on-power-as-chinas-communist-party-elevates-his-status

(***) https://www.cbbc.org/news-insights/does-china-have-welfare-system

(****) https://en.wikipedia.org/wiki/Global_Competitiveness_Report