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Qu’est-ce qu’un pot-de-vin politique...
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Qu’est-ce qu’un pot-de-vin politique...
...ET qu’est-ce qu’un acte politique normal pour gagner une élection ?
À l’heure où les promesses électorales tombent pour différents segments du million d’électeurs et résonnent comme des cadeaux de fin d’année, il nous paraît utile de remettre en perspective le rejet par le Conseil privé de l’appel de Suren Dayal contre l’élection du Premier ministre Pravind Jugnauth. Car une question importante mérite d’être (re)posée : qu’est-ce qui constitue un pot-de-vin politique et en quoi cela diffère-t-il des promesses de campagne légitimes ?
Dans l’affaire Dayal, il a été allégué que les promesses faites par Jugnauth et son équipe lors des élections de 2019 étaient assimilables à de la corruption électorale. Cependant, la Cour suprême mauricienne, tout comme le Conseil privé, n’ont pas été de cet avis. Ce jugement de Londres nous donne à réfléchir sur la frontière entre des actes politiques légitimes visant à remporter une élection et des pratiques corrompues qui subvertissent la démocratie.
L’affaire Dayal en quelques mots
Suren Dayal a contesté l’élection de Pravind Jugnauth, de Leela Devi Dookun-Luchoomun et de Yogida Sawmynaden dans la circonscription no 8, en affirmant que leur campagne était entachée. Il s’est appuyé sur des promesses de campagne, comme l’augmentation de la pension de retraite de base (BRP) et l’accélération de la mise en oeuvre des recommandations du Pay Research Bureau (PRB). Toutefois, les tribunaux ont rejeté ces affirmations, estimant qu’il s’agissait de promesses politiques standards, et non de pots-de-vin ciblés visant à influencer les électeurs d’une circonscription spécifique.
Ce jugement est particulièrement significatif au regard de l’unique cas de corruption électorale ayant «abouti» à Maurice : l’affaire Ashok Jugnauth, en 2005. Ce dernier, alors ministre de la Santé, avait été reconnu coupable d’avoir promis l’extension d’un cimetière et recruté des habitants de la circonscription no 8 dans son ministère pour obtenir des votes. La Cour suprême avait estimé que ces actions étaient directement liées à sa campagne et visaient spécifiquement son électorat. Ce cas a établi un précédent pour la définition du pot-de-vin en politique à Maurice.
Promesses nationales
La principale différence entre ces deux affaires réside dans la portée des promesses faites. Dans le cas d’Ashok Jugnauth, les promesses étaient localisées et destinées aux électeurs de sa circonscription, avec l’intention claire de garantir leurs votes. L’extension du cimetière et les recrutements pour le ministère de la Santé n’étaient pas des éléments d’un programme national, mais des avantages spécifiques offerts aux habitants de la circonscription.
En revanche, dans le cas de Suren Dayal, les promesses concernant la BRP et le PRB faisaient partie du programme national de l’Alliance Morisien, destiné à être appliqué à travers tout le pays. Les cours de justice ont estimé que ces engagements n’étaient pas des pots-de-vin ciblés, mais des propositions politiques générales visant à améliorer la vie de tous les citoyens, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leur vote.
Cette distinction est cruciale pour comprendre la différence entre corruption et promesses électorales légitimes. Un pot-de-vin politique, tel que défini par la loi mauricienne, doit être une promesse de gain personnel ou localisé faite à un groupe spécifique d’électeurs en échange de leurs votes. En revanche, le programme d’un parti, qui présente ses objectifs politiques à l’ensemble de l’électorat, fait partie du processus démocratique. Les électeurs s’attendent à ce que les candidats fassent des promesses sur ce qu’ils feront s’ils sont élus, et ces promesses sont essentielles pour que les électeurs prennent leur décision.
Ligne floue
Toutefois, bien que la distinction entre promesses nationales et pots-de-vin locaux semble claire en théorie, la réalité est souvent plus complexe, puisque cela dépend aussi de la santé économique du pays. Les campagnes électorales visent à persuader ; et les politiciens chercheront toujours à convaincre les électeurs que leur programme et mesures sont les meilleurs dans notre situation actuelle. Mais à quel moment une promesse de campagne franchit-elle la ligne de la corruption ? Quand on donne Rs 300 de mobile data aux jeunes de 18-25 ans ? Quand on promet des prêts logement, sans intérêts svp, aux 18-35 ans ? Quand on offre un chèque de Rs 20 000 à ceux qui atteignent la majorité (et l’âge de voter) ?
Un des facteurs que les tribunaux prennent en compte est de savoir si la promesse fait partie d’un programme politique plus large ou s’il s’agit d’une offre spécifique destinée à un groupe particulier. Dans le cas de Dayal, les cours de justice ont estimé que les promesses concernant les pensions et le PRB faisaient partie d’une stratégie nationale qui profiterait à l’ensemble de la population, et pas exclusivement aux électeurs de la circonscription de Pravind Jugnauth.
Un autre point important est de savoir si la promesse implique l’utilisation de ressources publiques pour obtenir un avantage électoral. Dans l’affaire Ashok Jugnauth, la promesse de l’extension du cimetière et les recrutements au ministère de la Santé ont été considérés comme des abus de pouvoir, car ils utilisaient les ressources de l’État pour influencer directement les électeurs de sa circonscription. C’est un exemple clair de pot-de-vin, le politicien offrant des avantages concrets en échange de votes.
Implications pour la démocratie
La décision du Conseil privé de confirmer le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Suren Dayal comporte des implications importantes pour notre compréhension de la corruption politique. Elle réaffirme que les promesses nationales, même celles qui impliquent des avantages financiers, font partie intégrante des campagnes électorales. Les électeurs s’attendent à ce que les politiciens fassent des promesses ; et ils ont le droit de choisir leurs candidats en fonction de ces engagements.
En même temps, ce jugement souligne les dangers liés à l’utilisation des ressources publiques pour obtenir des votes. Lorsque les politiciens utilisent leur position pour offrir des avantages spécifiques en échange de soutiens électoraux, ils détournent le processus démocratique en transformant les élections en transactions, plutôt qu’en compétitions d’idées.
Comment définir la frontière
Alors que les campagnes électorales dans le monde entier deviennent de plus en plus sophistiquées et que les promesses se multiplient, la frontière entre actes politiques légitimes et corruption continuera d’être mise à l’épreuve. La distinction-clé est de savoir si les promesses sont faites dans l’intérêt du public ou si elles sont des pots-de-vin ciblés pour influencer certains électeurs. Les tribunaux mauriciens ont établi que les promesses nationales qui bénéficient à tous font partie d’une compétition politique saine, tandis que les promesses de gains locaux en échange de votes sont de la corruption.
Au final, c’est aux électeurs de tenir les politiciens responsables. Si les promesses semblent trop belles pour être vraies, cela vaut la peine de se demander si elles font partie d’un véritable programme ou simplement d’une transaction visant à remporter des votes. Les cours de justice peuvent fournir des définitions légales, mais la santé de la démocratie dépend d’un électorat informé qui saura faire la différence entre cadeau légitime offert de bon coeur/bonne foi et bribe...
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