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Portrait

Ram Etwareea, journaliste retraité qui ne baisse pas les bras

20 avril 2024, 22:00

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Ram Etwareea, journaliste retraité qui ne baisse pas les bras

Une carrière journalistique de plus de 30 ans, surtout à international, Ram Etwareea qui a pris sa retraite du prestigieux quotidien suisse Le Temps, ne raccroche pas. Membre de Friends of Multilateralism, un centre de réflexion sur le commerce international, basé à Genève, et pigiste auprès de quelques titres, il écrit toujours, passionné qu’il est de l’actualité et du monde.

Ram Etwareea, natif du village de Fond-du-Sac, est le deuxième d’une fratrie de neuf enfants, dont deux sœurs. Son intérêt pour l’actualité, il l’a connu grâce à son père, Nand, chauffeur de bus scolaire qui transportait des enfants des riches familles de Belle-Vue-Harel dans différentes écoles des hautes Plaines-Wilhems. Son père lisait le journal The Nation après avoir déposé les écoliers. «Nand sofer» de son surnom était de plus abonné à un autre quotidien, Advance. Ram allait le récupérer chaque après-midi à la poste. On serait tenté de dire qu’il est tombé dans les médias dès son enfance.

Le journaliste se rappelle comment les larges feuilles de The Nation et d’ Advance étaient, comme du papier mural, utilisées pour cacher les murs délabrés de la maison familiale. Ramesh, son aîné, et lui testaient chacun leurs connaissances générales à travers ces journaux en posant des questions dont les réponses se trouvaient dans les articles.

Après ses études secondaires, Ram décide de poursuivre des études en Inde. Mais pour cela, la famille devait débourser entre Rs 200 et Rs 250 par mois. Vu son revenu modeste, son père lui demande un jour de réflexion et le lendemain il dit oui à son projet d’études.

Après trois ans, il revient au pays avec un B Com en Business Management de l’Université de Bombay. Il a alors 20 ans.

Nous sommes en 1979, année durant laquelle le pays connaît l’un de ses plus forts taux de chômage. De jeunes universitaires cherchent désespérément du travail. Ils lancent alors la Mauritius Graduation Association. Ils organisent plusieurs manifestations à Port-Louis. Ram est l’un des meneurs qui ont dû passer une nuit en cellule. Mais il n’y a jamais eu de poursuite contre eux, malgré le fait qu’ils avaient défié cette loi scélérate qu’était la Public Gathering Act.

Comme beaucoup de jeunes, il fait partie du Mouvement militant mauricien (MMM). En 1983, il est candidat aux élections générales à Grand-Baie-Poudre-d’Or (nº 6). Sans succès. Par la suite, il rejoint la rédaction du Nouveau Militant, organe du parti. «C’était une occasion en or pour moi, car je rêvais de devenir journaliste. Par-dessus tout, c’était le début d’un apprentissage qui a mené à une longue et belle carrière.» Il couvrait l’actualité générale, mais il avait un faible pour l’économie. Un de ses grands souvenirs est qu’il a été le tombeur d’un ministre. Il s’agit de Diwakar Bundhun, en charge de la Sécurité sociale. Le titre de l’interview : «Je ne suis pas un caméléon politique». Une fronde qui n’avait pas plu au Premier ministre d’alors, Anerood Jugnauth qui le révoqua le jour même de la parution de l’article.

En 1986, Ram décroche avec sa consœur de L’express Geneviève Flore, une bourse de formation de six mois, offerte par la Fédération suisse des journalistes. À Maurice en cette année-là, l’actualité est dominée par le scandale des Amsterdam Boys, nom donné aux quatre parlementaires mauriciens arrêtés à l’aéroport de Schipol, liés au trafic de drogue. Un an plus tard, le pays est appelé aux urnes. Ram n’est pas candidat mais suit de près ces élections en tant que journaliste. Il s’attendait qu’à la suite du scandale du trafic de drogue, le peuple allait donner une correction au gouvernement sortant. Mais non, la majorité des électeurs lui refait confiance. «C’était la première fois que j’ai perdu confiance dans mon pays», souligne-t-il. Déçu, il rejoint Christiane, sa future épouse, et débute une courte carrière de journaliste libre, notamment en Afrique et en Asie.

Il se souvient particulièrement d’un reportage en Afrique du Sud, pays alors déchiré par l’apartheid, sur les difficultés d’une Suissesse mariée à un Noir à Johannesburg ou encore de la rencontre avec le petit-fils du Mahatma Gandhi à Durban. Mais leur plus grand coup avait été réalisé au Rajasthan, en Inde. C’était en 1988-89, un cas de sati, une pratique ancestrale et controversée, secouait cet État ; la veuve s’était fait brûler, assise sur le bûcher avec son époux sur ses genoux. «Ce n’était pas un fait divers, mais un sujet passionnant qui en disait long sur une Inde déchirée entre le conservatisme têtu et la quête du modernisme», fait remarquer le journaliste.

En 1989, il retourne à Maurice et poursuit sa carrière au Nouveau Militant. Comme c’était un organe de l’opposition, le journal allait connaître des difficultés financières qui impactaient les employés. Il décide alors de retourner en Suisse où il est le cofondateur d’ InfoSud, une agence de presse spécialisée dans les relations Nord-Sud, le commerce international, l’environnement, les droits de l’homme. Dix ans plus tard, il rejoint le quotidien Le Temps, en rubrique internationale, puis en économie et finances.

En 2013, il assume le poste de correspondant du Temps à Bruxelles. Mission : couvrir l’actualité de l’Europe et de l’OTAN. Ram joue alors dans la cour des grands. Les dirigeants mondiaux – les Obama, Merkel, Hollande, Cameron – passent régulièrement dans la capitale belge qui, après Washington, compte la plus grande concentration de médias internationaux. «L’actualité était alors dominée par la crise de la dette grecque et l’Union européenne proche de l’implosion, le Brexit, l’arrivée de plus d’un million de réfugiés en Europe dans le sillage de la guerre en Syrie et en Afghanistan», se souvient le journaliste mauricien.

Son mandat européen terminé, il revient à la rédaction centrale fin 2016. Il est nommé chef-adjoint de la rubrique économique, une position que Ram occupe pendant 18 mois. L’heure de la retraite a sonné en 2023. «J’ai tourné une page, mais je n’ai pas fermé le livre, lance-t-il. Je pense utiliser, mais aussi partager, l’expérience et la connaissance accumulées dans cette nouvelle phase de ma vie.» Grand témoin de son temps, et surtout du basculement historique des relations Nord-Sud, de la montée en puissance de la mondialisation et de l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), le journaliste entend continuer à raconter le monde, ses injustices, sa colère et ses peurs. «D’autant plus qu’on se dirige vers une nouvelle configuration du monde dans le sillage de la pandémie de Covid, des ruptures des chaînes des valeurs, de nouvelles tensions géopolitiques et l’avènement graduel d’un monde multipolaire, fait-il observer. À Maurice, au milieu de l’océan Indien devenu zone de convoitise des grandes puissances, nous sommes au centre de ce basculement en cours.»

Paroles de journaliste qui ne raccroche pas : «Les nouvelles technologies, les crises financières successives et l’autocratisation de nombreux régimes constituent une sérieuse menace à la liberté de la presse. Il est tout aussi inquiétant de noter que le fossé entre les journaux et ses lecteurs ne cesse de s’élargir. Il y va de la survie même des médias libres et in fine, de la démocratie. Nous ne pouvons donc pas rester les bras croisés face à ce danger.»