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Éclairage

Remaniement: des signaux brouillés

6 septembre 2023, 08:38

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Remaniement: des signaux brouillés

Longtemps sur le radar, le dernier (mini) remaniement ministériel devrait apporter, sur le papier, un nouveau souffle au deuxième gouvernement de Jugnauth fils, à un moment où il amorce le dernier virage en vue des prochaines échéances électorales, théoriquement prévues à la fin de 2024.

Il faudra voir au fil des semaines, voire des mois, comment la population réagit à cet exercice. Toutefois, d’ores et déjà, les réseaux sociaux comme des analystes politiques et des membres de l’opposition l’ont réduit à une opération de «damage control» alors que le gouvernement, plus particulièrement le Premier ministre, veut démontrer qu’il «means business».

Car, à première vue, la perception populaire est que l’ex-PPS Rajanah Dhaliah, forcé à la démission suivant sa convocation et son arrestation par les enquêteurs de l’ICAC dans le sillage de l’affaire Stag Party, aura été le seul à porter le chapeau, pour trafic d’influence, dans toute cette affaire présumée de pot-de-vin contre l’octroi d’un terrain à bail à Grand-Bassin. Du coup, il n’est pas étonnant que des voix s’élèvent aujourd’hui dans les rangs de l’opposition ainsi que dans la société civile pour que l’autre protagoniste, nommément Maneesh Gobin, soit également sanctionné. Même si la décision de l’amputer du ministère d’Agro-industrie et de l’envoyer en hibernation au 11ᵉ étage de Newton Tower pourrait constituer une démarche punitive.

Depuis belle lurette, loin d’être une promotion, la nomination à ce ministère ne constitue nullement une ascension dans la hiérarchie ministérielle. Ces derniers jours, on dresse volontiers le parallèle avec Vishnu Lutchmeenaraidoo, qui avait été muté à ce ministère en mars 2016, dans le sillage de l’Euro Loan ou encore de Nando Bodha en 2019, qui ne cachait dans son entourage ses ambitions premierministérielles, étant né sous la bonne étoile. Tout comme d’ailleurs Maneesh Gobin, qui, en se rasant le matin, pourrait penser à un moment avoir toutes les qualités pour se retrouver un jour au bâtiment du Trésor. Il voit peut-être aujourd’hui son rêve voler en éclats.

Il n’a échappé à personne, encore moins à nos dirigeants politiques, que l’arrestation de Rajanah Dhaliah a été fortement instrumentalisée par le gouvernement pour donner une certaine crédibilité et indépendance à l’ICAC, justifiant ainsi son slogan «l’ICAC pa get figir». D’ailleurs, la station nationale de télévision n’a pas tardé à récupérer l’info en se livrant à un micro-trottoir avec des personnes triées sur le volet pour faire l’éloge du Premier ministre dans sa volonté de combattre la corruption, peu importe celui qui est accusé et le camp politique auquel il appartient. De la politique de propagande dans toute sa grossièreté, dit-on.

On peut aussi s’interroger, dans le cadre de ce remaniement ministériel, sur la promotion féminine au Conseil des ministres et aux postes de PPS. Si on peut concéder qu’il existe une réelle volonté de la part du gouvernement de réduire les inégalités entre les sexes, couplée avec l’annonce budgétaire d’ouvrir les conseils d’administration des sociétés listées à 25 % de femmes siégeant comme directrices, il ne faut pas que ces nominations s’apparentent davantage à un exercice de «box ticking» pour se donner bonne conscience dans des instances internationales.

Récemment, quelques rares femmes exerçant comme Chief Executive dans le privé ont exprimé ces dangers. «We need to put forward ladies who have knowledge and experience», a insisté avec raison la directrice du MIoD, Sheila Ujoodha, tandis que la patronne du groupe Mont Choisy, Jyoti Jeetun, trouve qu’il est important de construire un «pipeline by nurturing and promoting individuals from diverse backgrounds and ensuring their growth into leaderships».

«Bread and butter issues»

Si le Premier ministre tente, avec ce remaniement, qui a visiblement créé des mécontentements parmi ses alliés, de maintenir le cap jusqu’au bout de son mandat, on ne peut occulter le fait que son timing est dicté par l’offensive de l’opposition qui essaie de gagner du terrain, démystifiant la théorie qui veut faire croire que la fameuse «hindu belt» du n°4 au n°14 est acquise au MSM. Pravind Jugnauth, comme Premier ministre, manifestement en pré-campagne électorale, doit peut-être revoir sa copie car la course n’est pas gagnée d’avance.

L’expérience des consultations populaires à l’échelle de grandes démocraties mondiales démontre qu’au-delà du rail et du bitume et d’autres infrastructures physiques, ce sont surtout les «bread and butter issues» qui motivent le choix des électeurs. Le BJP de feu Atal Bihari Vajpayee l’avait appris à ses dépens en 2004, quand la masse indienne, ces agriculteurs et laboureurs, ceux au bas de l’échelle, privés des fruits de la croissance dont avait plutôt profité la classe aisée et moyenne, ne s’était pas retrouvée dans son slogan de campagne «Shining India».

Sans pour autant être un oiseau de mauvais augure et prévoir le même phénomène à Maurice, tout en sachant que le gouvernement s’appuiera sur son bilan infrastructurel (routes, logements, métro etc.) pour marquer des points, ce qu’aurait fait tout gouvernement sortant, même s’il a laissé filer la dette publique, il reste que la situation économique l’année prochaine devrait être déterminante.

Pour le moment, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, est dans son rôle quand il rassure sur la bonne gestion économique de son gouvernement. Il l’a rappelé vendredi dernier lors de la grand-messe gouvernement/secteur privé, en fondant son optimisme sur les dernières projections de Maurice Stratégie. On y relève ainsi une croissance estimée de 7,3 % du PIB cette année, résultant d’une combinaison de prévisions : hausse de 19 % d’investissements publics ; augmentation de 13 % d’exportation des services ; exportation des biens à Rs 110 milliards ; investissements privés atteignant Rs 103 milliards ; des investissements directs étrangers FDI dépassant la barre de Rs 30 milliards ou encore une hausse de 8,5 % de la consommation et le tout face à une inflation ramenée à 8%. Qui dit mieux ?

Toutefois au même moment, Analysis Kantar offre une autre lecture de la perception de la situation économique du pays, dans sa dernière étude sur la confiance des consommateurs mauriciens pour le deuxième trimestre 2023. En gros, elle note que 42 % des personnes sondées sont toujours pessimistes et incertaines, estimant que «la situation actuelle n’est pas bonne du tout», même si les opinions négatives ont baissé de plus de 10 % par rapport au premier trimestre de cette année. Fait important à signaler : la perception de la situation économique dans six mois est toujours loin d’être optimiste (33 %).

Plus généralement, Analysis note une tendance au pessimisme qui s’est fortement installée chez la population depuis la crise pandémique. Et précise que même si près de la moitié des ménages considèrent que leurs conditions de vie correspondent à la moyenne, 72 % des interviewés ont du mal à respecter leur budget mensuel et à couvrir leurs dépenses. Du coup, ils sont inquiets de voir leur pouvoir d’achat constamment s’éroder, estimant que les mesures prises ne sont pas jugées suffisantes.

Cette étude offre une photographie instantanée de la perception populaire qui peut évidemment évoluer dans douze mois. Mais elle a le mérite de faire entendre un autre son de cloche, celui que les «spin doctors» du pouvoir ne veulent pas que la population entende.

Visiblement, les messages sont brouillés.