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Forensic Science Laboratory

Retards d’analyses, favoritisme et direction questionnée : Un cocktail explosif

3 mai 2024, 20:00

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Retards d’analyses, favoritisme et direction questionnée : Un cocktail explosif

La directrice du FSL Vidhu Madhub-Dassyne, lors de l’annonce de la la construction d’un laboratoire, dont la livraison est prévue pour ce mois-ci. Ce laboratoire a été financé par une ligne de crédit indienne.

Dans les coulisses du Forensic Science Laboratory (FSL), une crise de gestion semble paralyser l’efficacité de l’institution, avec des répercussions directes sur le système judiciaire du pays ainsi que sur la lutte contre la drogue. Depuis quelques années, un changement notable dans la gestion du laboratoire au profit d’un «protégé» a entraîné des retards considérables dans le traitement des analyses judiciaires, notamment celles liées aux affaires de drogue.

Depuis sa nomination en 2015, la directrice du FSL Vidhu Madhub-Dassyne, qui avait déjà occupé le poste de directrice adjointe pendant dix ans sans être nommée sous l’ancien gouvernement travailliste, est sous le feu des critiques pour sa gestion de l’institution. Malgré une retraite officielle en février 2023 à l’âge de 65 ans, elle a été reconduite pour un contrat de deux ans et a repris ses fonctions le lendemain même de sa retraite, soulevant ainsi des questions sur les véritables intentions pour la relève de cette institution clé. Le poste de directeur adjoint est, lui, vacant depuis 2015, soit depuis que la directrice a été officiellement nommée. Cette vacance perdure malgré la présence de deux candidats qualifiés et éligibles au sein du FSL. En janvier 2023, bien que la Public Service Commission (PSC) ait annoncé la vacance du poste, aucune embauche n’a été réalisée et l’exercice semble être gelé, laissant la structure de direction incomplète et potentiellement vulnérable.

Changement de cap

Tout commence en 2018, lorsque la directrice du FSL décide de reconfigurer la section chimie chargée des analyses de drogues. Elle nomme son «protégé» à la tête de l’unité des stupéfiants sans offrir la possibilité à d’autres membres du personnel, pourtant seniors, expérimentés et qualifiés, de postuler. Ce poste bénéficie désormais d’une allocation ad hoc. Le «protégé», initialement recruté comme biologiste à la section biologie, a été transféré à la section chimie par la directrice en 2016, contrairement aux affectations prévues par la PSC. Il a encore plusieurs rapports non terminés en biologie et a créé un important retard à l’unité des stupéfiants. Il aurait également été impliqué dans l’acquisition de plusieurs équipements et logiciels qui ont été critiqués dans un rapport d’audit. En plus de ces questions administratives, la directrice continue de superviser directement l’unité des drogues alors que ce secteur devrait être géré, selon la hiérarchie, par le Chief Forensic Scientist dont les fonctions sont de superviser tout le département chimique, notamment la Drug Unit.

L’intégrité en question

Sous la direction de cette nouvelle équipe, le FSL connaît une opacité de gestion alarmante. Des accusations de favoritisme émergent, certains évoquant un système où des analyses sont priorisées pour certains, tandis que d’autres attendent des mois. Malgré d’importants investissements en équipements, le secteur n’a cessé de voir son efficacité décroître, créant un goulot d’étranglement préjudiciable à l’ensemble du système judiciaire. Le FSL compte un backlog de deux ans dans ses rapports.

Cette situation résulte en partie de la mise à l’écart de scientifiques expérimentés au profit de figures moins compétentes, mais proches de la directrice. Les répercussions de cette gestion se font ressentir sur le terrain. Des équipes de l’Anti Drug and Smuggling Unit bénéficieraient d’un traitement de faveur, avec des analyses prioritaires, tandis que d’autres attendraient des mois pour un rendez-vous.

Les cas Akil Bissessur et Bruneau Laurette

Le climat interne au FSL est également tendu, avec des employés qui rapportent des interventions négatives de la part de la directrice dans les travaux d’analyse. En cas de résultats ADN ne soutenant pas les positions de la police, la directrice n’hésite pas à blâmer et à critiquer ouvertement ses équipes. Deux cas frappants sont ceux de l’avocat Akil Bissessur et de l’activiste Bruneau Laurette qui montrent jusqu’où peut aller cette ingérence, mettant en péril l’intégrité du processus judiciaire. Les scientifiques du FSL avaient trouvé après analyses qu’il n’y avait pas l’ADN de ces derniers sur la drogue saisie à leur domicile lors de leur arrestation. Le rapport avait même été présenté en cour.

La directrice n’aurait pas caché son mécontentement lorsque les scientifiques de la Drug Unit n’ont pas réussi à détecter d’ADN sur les substances saisies. «Si péna DNA, ki ou anvi nou fer? Mazik pou gagn DNA?», disent-ils. L’incident a ravivé les inquiétudes concernant l’influence externe et la pression qui pourrait être exercée sur le personnel scientifique du FSL. Si les résultats scientifiques sont influencés ou manipulés pour répondre à des attentes externes,cela pourrait compromettre toute l’infrastructure judiciaire qui dépend des rapports du FSL.

Cette gestion chaotique a des conséquences directes sur les délais judiciaires. Des affaires sont retardées et, dans certains cas, des accusations sont abandonnées en raison de la lenteur des analyses, portant préjudice aux accusés et engorgeant davantage un système judiciaire déjà sous pression. Plus alarmant encore, il apparaît que l’unité des drogues, sous la direction indirecte de la directrice, a adopté des pratiques douteuses pour maximiser les gains financiers. En privilégiant le travail en heures supplémentaires, souvent pendant le week-end, le personnel choisi peut réclamer des compensations financières substantielles, au détriment des autres membres du laboratoire qui se voient refuser les mêmes opportunités d’ overtime malgré une charge de travail accrue. De plus, certains indiquent que le laboratoire serait devenu une source de revenus supplémentaires pour certains employés qui monétiseraient les heures supplémentaires en traitant des échantillons en dehors des heures normales de travail.

Intimidations et menaces

Un autre point de contention est le manque d’opportunités offertes aux employés permanents pour leur développement professionnel. La directrice bénéficie fréquemment de voyages à l’étranger pour assister à des formations, des ateliers et des conférences, tandis que le personnel permanent n’a pas de telles opportunités. Au cours des dix dernières années, le personnel a été régulièrement intimidé et menacé par la directrice, comme en témoigne un incident récent où un employé a été verbalement agressé par elle en présence d’un évaluateur externe. Cet incident a provoqué une crise de panique chez l’employé, nécessitant l’intervention du Service d’aide médicale urgente. La situation a été signalée au Prime Minister’s Office (PMO), à la police, au ministère du Travail et au service civil, mais aucune mesure n’a été prise.

Les retards accumulés et les pratiques de gestion controversées compromettent non seulement la justice, mais ternissent également la réputation de cette institution. Par ailleurs, on dit ne pas comprendre pourquoi, malgré tous ces retards, les affaires en cours qui sont rayées ou encore des lettres des employés adressées au PMO, ce dernier n’a toujours rien fait à ce jour et semble ne pas vouloir initier une enquête.


Les réponses du PMO toujours attendues

Contactée lundi à 10 h 35 par téléphone, la directrice du FSL, Vidhu Madhub-Dassyne, nous a fait comprendre qu’elle ne pourrait pas répondre à nos questions ou réagir, et qu’il faudrait envoyer un courriel au PMO, qui décidera alors si elle devrait répondre. À 11 h 18 le même jour, un courriel contenant les détails sur ce qui est reproché à la directrice et les points évoqués ici a été envoyé aux personnes concernées au PMO, avec la FSL en copie. Au cours de la journée de lundi, après une deuxième sollicitation à 14 h 51, un responsable de communication du PMO nous a appelés, disant qu’il faudrait qu’il consulte les départements concernés et qu’il nous répondrait par la suite si besoin est. À l’heure où nous mettions sous presse, soit plus de 48 heures après, le PMO n’avait toujours pas répondu.