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Retour à Baie-du-Jacotet

27 octobre 2024, 09:00

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Tout commence par une discrétion calculée, un passage presque fantomatique. Vers la mi-2022, dans les confins de Baie-du-Jacotet, une figure intrigante se matérialise : un Indien, chargé de missions secrètes, glissant tel un serpent dans la jungle mauricienne. Il porte un nom de code qui semble sorti d’un roman : Missie Moustass. À l’ère de la technologie furtive et des confidences fragmentées, cet homme a un dessein bien précis : sonder, surveiller, et, si possible, déjouer un jeu d’échecs géopolitique où chaque coup dissimule mille intentions. Maurice, petite île aux ambitions calmes, devient soudain l’épicentre d’une nouvelle guerre froide.

Les services secrets indiens sont les premiers à lever le voile sur cette pièce du puzzle. Leur intérêt pour Maurice n’est pas un mystère. Avec l’océan Indien qui devient peu à peu un échiquier stratégique, Maurice prend une valeur démesurée, comme un as caché dans la manche d’un joueur de poker. Baie-du-Jacotet, avec son trafic Internet sensible, devient le noyau d’un jeu d’ombres. Pourtant, dans cette vaste toile d’espionnage, l’acteur-clé est un ancien visage familier : Sherry Singh, ancien CEO de Mauritius Telecom. Au gré des murmures, Singh devient une énigme, un homme qui semble habité d’une loyauté diffuse, mais à qui ? À l’Inde? À Maurice ? À la Chine via Huawei ? Ou à lui-même, tirant des ficelles invisibles derrière les rideaux du pouvoir...

La première apparition de Missie Moustass laisse présager une série de révélations et de contre-attaques. Mais ce que l’Inde n’avait pas prévu, c’est l’arrivée d’un second Missie Moustass, plus insaisissable encore, qui n’a ni chair ni os, mais qui s’impose sur les réseaux sociaux, comme un spectre numérique. D’où vient-il ? De qui se moque-t-il ? Ses messages sont comme des énigmes jetées à la mer, fragments destinés à déstabiliser le gouvernement sortant, un jeu de miroirs où la confusion sert d’arme. Est-ce Sherry Singh, tirant les ficelles depuis les coulisses, envoyant des messages subliminaux pour insinuer que cet avatar agit au nom de l’État, ou pour son propre compte ? Combien de Missie Moustass existent vraiment, et lequel poursuit réellement les intérêts de Maurice ? La vérité, elle, se cache dans les interstices, invisible mais terriblement présente.

Les réminiscences du Watergate semblent tout à coup bien plus proches, mais à une échelle où les nations semblent faire de Maurice leur terrain de jeu, leur pièce centrale dans une partie complexe. Les méthodes diffèrent : là où le Watergate exigeait des micros planqués, Baie-du-Jacotet ne nécessite plus qu’une ligne de code, un programme furtif prêt à se faufiler entre les fibres du réseau. Les moyens sont modernes, mais le fond est identique : une lutte acharnée pour le contrôle, pour l’accès à des informations précieuses, une course où tous les coups sont permis.

Pour comprendre ce qui attise tant l’intérêt indien à Maurice, il faut remonter la piste jusqu’aux ramifications internationales. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, l’Inde danse sur un fil. En refusant de condamner Vladimir Poutine, elle se rapproche de la Russie tout en provoquant des frictions avec ses alliés occidentaux, dont elle dépend pourtant pour sa position dans le Pacifique et l’océan Indien. Agaléga, ce confetti d’île dans les eaux indiennes, devient un point névralgique, une pièce de ce Colombo Security Conclave qui relie l’Inde, Maurice, les Maldives et les Seychelles dans une alliance silencieuse. Sous prétexte de protéger les voies maritimes, l’Inde développe sa présence stratégique à Agaléga, une épine dans le flanc de la Chine et de Huawei, qui eux aussi lorgnent avec appétit l’océan Indien.

Sherry Singh, dans cette pièce de théâtre absurde, devient tour à tour le patriote trahi, le complice des puissances étrangères, l’agent double, ou même le bouc émissaire. Il murmure qu’on lui aurait demandé de céder l’accès aux trafics Internet mauriciens à une mystérieuse «troisième partie». Il joue avec les mots, laisse entrevoir des pistes, tout en refusant de nommer explicitement l’Inde ou Israël. Et pourtant, chaque mot est choisi, chaque silence est un indice, chaque esquive une invitation à plonger dans les arcanes d’une conspiration qui dépasse de loin les frontières de l’île. Singh sait jouer cette carte. Il n’a pas peur, peut-être même cherche-t-il à ce que son arrestation devienne un acte politique, le point de ralliement d’une fronde contre un gouvernement devenu, dans cette version du récit, complice ou captif de forces obscures.

Dans cette histoire, la vérité est un jeu de miroirs. Maurice est un laboratoire, où s’entremêlent les réseaux d’influence, les alliances secrètes, les luttes de pouvoir. Un pays où chacun semble connaître l’autre, où les relations claniques et politiques s’entremêlent, où le pouvoir se transmet à l’ombre de promesses chuchotées et de serments bafoués. Ce petit pays, de plus en plus assiégé par les intrigues de ses «amis», devient le théâtre d’une rivalité entre la vision indienne de Modi, l’appui stratégique américain et le flair technologiquement affûté des Chinois.

À Baie-du-Jacotet, tout converge : l’espionnage devient intime, les intérêts étrangers se dévoilent, et chaque réseau de fibre optique devient un fil tendu sur lequel dansent des espions invisibles. Au milieu de cette toile complexe, il reste les Mauriciens, piégés entre les jeux de puissances qui les dépassent, manipulés par des ombres qui, toutes, revendiquent leur bien-être.

Maurice est devenu un bastion où se mesurent les ambitions des grands, un pays à la croisée des chemins, où le passé et le présent s’entrelacent pour révéler une nouvelle guerre froide. Qui servira qui, et pour combien de temps ? Ce que nous savons, c’est que chaque Missie Moustass ajouté à cette histoire est une pièce de plus dans un jeu où le vainqueur demeure aussi invisible que le prochain espion dissimulé dans les ombres de l’île.