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Au Caudan Arts Centre – The Basement

Rishi Seeruttun a toujours si mal aux jeans

15 avril 2024, 20:05

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Rishi Seeruttun a toujours si mal aux jeans

Éclaboussures de peinture, brûlures à l’acide. Quand ce n’est pas carrément le feu qui travaille la matière. Le jeans dans tous ses états. Ce textile représente à la fois la recherche de longue haleine et le support de l’expressivité débridée de Rishi Seeruttun. L’artiste expose la série Wounds à The Basement, au Caudan Arts Centre, jusqu’au 1er mai.
Une blessure béante en relief sur la toile. Bien saignante et n’ayant épargné ni le jean ni la peau. Plus loin, dans une autre toile, la vilaine plaie attire des mouches tellement réalistes qu’il faut se faire violence pour ne pas les chasser. Ces mouches ont été réalisées grâce à l’impression Direct-to-Film (DTF printing). Une qualité visuelle que l’artiste a souhaité introduire dans le monde de brutes qu’il dépeint parce qu’il «ne faut pas rester statique». Ces blessures sont «le reflet de ce qui se passe à la fois dans ma vie et dans le monde. C’est ma façon d’exorciser mes démons. Je mets tout dans la peinture, après c’est fini», reconnaît l’artiste. The art of self destruction (c’est aussi le titre de l’une des toiles) poussé très loin.

Les emmerdes, les ennuis de santé et autre tracas du quotidien, c’est avec énergie que Rishi Seeruttun les transforme en tableaux. «Quand une œuvre est terminée, je n’ai plus d’intérêt pour ce travail.» Tant il y a mis de lui-même, tant l’art des jeans torturés est une pratique minutieuse, contrôlée et active. «Il y a des élèves qui viennent chez moi en apprentissage parce qu’ils ont envie d’apprendre cette technique. Sauf que cela m’a pris des années pour la maitriser. Je ne peux pas la partager en 30 minutes. Certains ont collé des jeans sur un tableau et l’ont brûlé. Tout a cramé. Alors qu’il y a tout un procédé de cuisine. Je ne donne pas la recette parce qu’il faut que les jeunes artistes travaillent et développent leur propre technique.»

peinture.png Ne vous laissez pas attendrir par certaines des créations qui sont «esthétiquement jolies. L’histoire derrière est dure», prévient l’artiste. Un cœur rouge dans Rescue Me lance son SOS à qui veut bien lancer une bouée de sauvetage. Ce qui saute aux yeux ce sont les couleurs, les aplats, les dégradés, les combinaisons, chacun bien distincts l’un de l’autre. Les couleurs servent à délimiter des espaces à l’intérieur d’une œuvre pour l’équilibre et la cohérence du tout. Un ciel bleu par opposition à la pourriture qui monte. Par endroits, le textile retourne à l’état de fils emmêlés, comme nos nœuds de vipères.

Nouvelle étape dans cette recherche artistique: les ambiances passent du rectangulaire au circulaire. Met dan serk. Un rond qui renvoie à l’infini. À «l’auréole», à la «réincarnation», explique l’artiste. Une forme et une taille, qui avec son jeans effet seconde peau, fait penser à une ravanne. Pas besoin de la frapper pour qu’elle sonne. Suffit de la toucher du regard pour sentir les vibrations – les crises – de l’artiste. Lui qui préfère «ceux qui désobéissent» aux autres.

Dans cet univers circulaire, en vase clos, où l’on risque d’étouffer tant sont intenses certaines souffrances personnelles de l’artiste, l’espoir n’est jamais absent. «Il y a souvent des portes dans mes tableaux.» Des rectangles blancs, des sanctuaires préservés de toute brûlure. Des espaces, qui se muent au fil de la série de tableaux, en labyrinthes.

Autre évolution dans la recherche stylistique basée sur le jeans que Rishi Seeruttun pratique depuis son premier solo en 2006 : les sculptures en laiton qui s’intègrent au tableau. Comme cette pomme qui a été croquée puis abandonnée. Look what they left after they have gone. Qu’est-ce qu’on nous a laissés ? Vaste questionnement sur ce qui reste après la déforestation, la fonte des glaces, les conflits armés etc.

Rishi Seeruttun, fort de son passé de textile designer a choisi une matière – le denim – qui a transcendé tous les clivages. De l’âge au milieu social, le jeans est partout. La matière dans laquelle il taille ses tableaux lui est parfois donnée, parfois achetée. «Plus c’est sale et usé, mieux c’est.»