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Sécurité nationale vs libertés individuelles

2 novembre 2024, 08:10

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A-t-on déjà assisté à une campagne électorale aussi survoltée ? Sur le plan des nouvelles technologies de l’information et de la communication, nous atteignons, sans doute, des sommets, ou des abîmes, jamais atteints.

Le Premier ministre sortant place la sécurité nationale avant les leaks de Missie Moustass et évoque une cyber-attaque terroriste avec des ramifications internationales. Son adversaire direct proteste et privilégie les graves atteintes aux libertés individuelles notamment la liberté d’expression et la liberté d’information avant tout le reste. Saisissant la Cour suprême, la troisième force, qui se veut une voie alternative aux partis dynastiques, l’alliance Linion Reform, souhaite que les autorités rétablissent l’accès aux réseaux sociaux et mettent fin aux viols des droits constitutionnels...

Dans la rue, c’est l’incompréhension quasi-totale ; les citoyens-internautes vivent mal cette situation inédite où Facebook, YouTube et Tik Tok ne font plus partie de leurs réflexes, n’alimentent plus leurs communications sur portable. (En passant peut-on vivre désormais sans les réseaux sociaux ?)

En attendant, les agences de presse internationales parlent de Maurice comme un pays qui a choisi de bloquer ses réseaux sociaux à l’instar des pays arabes qui voulaient éviter un embrasement quasi généralisé...

L’actualité du monde nous rappelle constamment cette tension : au Pakistan, l’accès à X (anciennement Twitter) est suspendu depuis des mois pour des raisons de sécurité nationale; en Mauritanie, la diffusion d’enregistrements audio impliquant des personnalités publiques a suscité des inquiétudes gouvernementales ; aux États-Unis, l’application TikTok est menacée d’interdiction en raison de liens présumés avec le gouvernement chinois.

Dans ce contexte, comment concilier liberté d’expression (si chère, en 2024, à Navin Ramgoolam) et protection de la sécurité nationale (si importante, ces jours-ci, à Pravind Jugnauth) ?

Dans toute société démocratique, la liberté d’expression demeure un droit fondamental, soutenu par des conventions internationales. Ces principes stipulent qu’un gouvernement ne peut limiter cette liberté que pour des raisons de sécurité nationale, et uniquement si la restriction est nécessaire, proportionnée et prévue par la loi. La transparence et l’accès à l’information sont essentiels pour la société civile et les médias, garants de la responsabilité des pouvoirs publics. Restreindre l’accès à certaines informations sous prétexte de sécurité nationale pourrait ainsi être interprété comme une entrave à la démocratie.

Cependant, la réalité est complexe.

Il devient alors indispensable de délimiter soigneusement les cas où l’intérêt général pourrait justifier une restriction de la circulation de l’information, et ce sans prendre à contre-pied les dispositions de la Constitution. L’ICTA aura du reste à convaincre la Cour suprême aujourd’hui sur la nécessité de continuer à bloquer l’accès aux réseaux sociaux.

Le numérique a multiplié les vecteurs d’influence et d’ingérence. Les réseaux sociaux, en particulier, sont devenus des outils puissants d’information, mais également de manipulation potentielle. La Chine, avec TikTok, est régulièrement accusée d’utiliser cette plateforme pour collecter des données sensibles et influencer l’opinion publique. Face à ces craintes, le Canada et les États-Unis envisagent des mesures restrictives pour protéger leurs citoyens. En France, la récente loi sur la sécurisation de l’espace numérique (SREN) vise à encadrer les contenus en ligne pour prévenir les cyberharcèlements et lutter contre la désinformation, tout en respectant les principes de liberté d’expression.

Les Principes Globaux sur la Sécurité Nationale et le Droit à l’Information (dits Principes de Tshwane) offrent un cadre éthique pour gérer les informations sensibles. Ils établissent que les gouvernements peuvent légitimement retenir certaines informations – plans de défense, développement d’armes – mais doivent, en contrepartie, respecter la liberté d’expression sur des sujets d’intérêt public et ne pas réprimer les dénonciateurs. La transparence est primordiale, notamment en matière de violations des droits humains, et les médias doivent pouvoir exercer leur rôle de contre-pouvoir, même lorsque cela met en lumière des défaillances des gouvernements.

En Afrique du Sud, la lutte contre le projet de loi sur le secret, visant à protéger les informations d’État, montre l’importance d’un contre-pouvoir. Selon le constitutionnaliste Pierre de Vos, de telles mesures peuvent avoir un effet paralysant sur les médias, ce qui pourrait dissuader les lanceurs d’alerte de révéler des faits gênants pour le gouvernement. Cet exemple montre qu’une sécurité nationale sans transparence finit par miner la confiance des citoyens envers leurs institutions.

Face aux menaces numériques, un équilibre subtil est nécessaire. Les gouvernements doivent assurer la sécurité de leurs citoyens tout en respectant leurs droits fondamentaux. Les législations comme la loi SREN en France montrent une volonté de protéger les citoyens tout en encadrant les contenus en ligne de manière ciblée. En renforçant les dispositifs anti-fraude, en limitant les accès des cyberharceleurs aux réseaux sociaux, ou encore en protégeant les mineurs, cette loi illustre une tentative de répondre aux nouvelles menaces sans compromettre la liberté d’expression.

Pourtant, la surveillance renforcée des contenus en ligne doit rester proportionnée et justifiée, au risque de basculer dans une société de censure. Les récentes restrictions sur X au Pakistan, justifiées par la sécurité nationale, ont engendré une vive opposition, certains accusant le gouvernement de vouloir museler les voix critiques. Ce type de dérives souligne l’importance de maintenir une vigilance constante sur les mesures restrictives.

L’équilibre entre la sécurité nationale, la liberté d’expression et la libre circulation de l’information est complexe et requiert une gouvernance éclairée, fondée sur le respect des droits humains. Les Principes de Tshwane fournissent des lignes directrices pour préserver cet équilibre. Il est essentiel que les gouvernements adoptent des lois claires, proportionnées et transparentes, garantissant à la fois la sécurité et les libertés individuelles. Seul un engagement authentique envers la démocratie et la transparence permettra de bâtir une société numérique où sécurité et liberté coexistent en harmonie.