Publicité

Patrimoine mondial

Sega tipik : Seki bizin fer pou li tini ferm

27 avril 2024, 18:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Sega tipik : Seki bizin fer pou li tini ferm

De g. à dr. Magdala Joseph, fille de Fanfan, Ginette Nankoo, belle-fille de Josiane Cassambo, Didier Henri, petit-fils de Josiane Cassambo, et Dixon Bègue du groupe Zanfan Losean.

Du haut de son statut de patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2014, le «sega tipik» a accumulé une somme de richesses, que ce soit son histoire, ses grandes figures ou les codes pour le pratiquer. Mais comment les préserver ? Débat lancé lors d’une conférence organisée par Lasosiasion Pratikan Sega Tipik, le mardi 23 avril.

Une petite phrase prononcée par Alain Muneean. Elle a donné une tournure piquante à la conférence organisée par Lasosiasion Pratikan Sega Tipik, «otour linportans dokimantasion ek arsivaz patrimwann kiltirel intanzib». C’était le mardi 23 avril au Caudan Arts Centre.

Alain Muneean s’est demandé comment la station de télévision nationale «continue de tolérer les ravannes synthétiques. Li pa ravann. C’est une aberration, un manque total de respect». Dans les derniers rangs de l’assistance, cela fait bondir Jean Frédéric Triton du groupe Ravann Koze.

Après la conférence, il nous confiera qu’il a pris cette remarque comme, «enn ros dan mo zardin». Que c’est pour des raisons pratiques qu’il utilise les ravannes synthétiques. Dans une salle climatisée, une «ravann lapo pa pou al plis ki kinz minit». Avec enthousiasme, il ajoute qu’il pratique un sega tipik, «ki kosté avek vitess sega Rodrigues, ena maloya ousi ki nou met ladan».

Durant le questions-réponses, Frédéric Triton demande la parole. «Sega tipik samem mo travay», explique-t-il. Ce qu’il veut savoir : «kan pou asizé pou fer zafer-la vivan? Fer bann zeness ki pe leve rant ladan, kontan li.» Réponse en deux temps. D’abord, celle de Sylvain Donice, président de l’association. Il invite Frédéric Triton à le rencontrer après la conférence, «si vremem to anvi promosionn zafer-la».

Ensuite, celle d’Alain Muneean. D’un ton emphatique, le secrétaire de l’association détaille «deux domaines». D’une part, les sirandanes, rakont zistwar, les traditions du langage. D’autre part, les performing arts. Il estime que les traditions du langage sont «roots, net. Si nou rat sa, nanyé pa pou vinn bon. Ki ou pou avoy lao? Ki ou pou perform? »

Pour les pratiquants, «le sega tipik c’est un mode de vie. Ce qu’il faut d’abord soigner, c’est son développement au sein de la communauté. À partir de là, cela deviendra plus facile de le présenter sur scène». Plus simple aussi pour le public d’apprécier l’artiste «si à la base, il a de l’authenticité».

La question de Frédéric Triton lance une boucle. Rebondissant dessus, Sarah Honoré, jeune artiste polyvalente, à la fois chanteuse, musicienne et peintre, affirme pratiquer «une forme de sega tipik propre à moi. Je viens d’une famille de musiciens (NdlR, Sarah Honoré est la fille de Menwar, qui était lui aussi présent à cette conférence) mais elle ne pratique pas forcément le sega tipik avec ce côté instinctif. C’est quelque chose qui m’intéresse».

Elle explique être arrivée à la conclusion que la musique, ce n’est pas que du divertissement. «En tant que musiciens, nous ne devons pas penser uniquement en termes de prestations dans des hôtels, pubs, bars ou concerts. Si on se dit que c’est seulement à tel endroit ou chez telle personne que l’on peut faire de la musique, to pou blok ladan.» Elle a invité ceux présents à considérer d’autres plateformes comme l’école, le musée, «lari ousi». Pour (ré) inventer des plateformes d’expression pour le sega tipik.

À son tour, La Nikita a réagi avec son double «palto, animatris ek artis». Elle a affirmé connaitre Frédéric Triton et son groupe. «Zenerasion Ino Nakeed ki zwe ladan». C’est une équipe qui rend le sega tipik visible sur les réseaux sociaux, «là où la jeunesse mauricienne est beaucoup plus présente. Ceux qui sont présents à cette conférence aujourd’hui sont riches en expérience. Me sé zis nou ki la ki pé tann zot». Elle ajoute avoir constaté sur les réseaux sociaux, l’envie de nombreux jeunes de «trap ravann, zwé li. Mais il n’y a pas de lieux où ils peuvent s’exprimer, en dehors d’un festival kreol une fois l’an».

Nouvelle réponse d’Alain Muneean. Qui, en se basant sur sa longue expérience réaffirme que la solution n’est pas de discuter pour trouver des endroits pour se produire, «avant même de comprendre ce que nous faisons de cette musique-là. Allons-nous la laisser être dénaturée? C’est une attaque contre le sega tipik si nous laissons cela passer. Il faut quelque chose de plus profond : soigner les communautés de pratiquants du sega tipik. Lerla li vinn pli fasil».

Frédéric Triton revient à la charge. Confie au micro que c’est la première fois qu’il entend parler de règles à respecter. «Est-ce qu’il y a une AOC (NdlR, appelation d’origine contrôlée) qui dit comment faire ? Zamé nou finn gagn kit linformasion lorla». A quoi Alain Muneean répond qu’il y a des directives claires qui ont été définies au moment de l’inscription du sega tipik sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2014. Auxquelles Lasosiasion Pratikan Sega Tipik a ajouté d’autres règlements. Mais dix ans après l’inscription, l’information n’a visiblement pas finie de circuler.

sega tipik_2.jpg

Les intervenants de la conférence : de g. à dr. Fareed Chuttan, membre fondateur d’Abaim, ancien secrétaire permanent au ministère des Arts, Vanecia Mungapen, chercheuse au National Heritage Fund, Alain Muneean secrétaire de Lasosiasion Pratikan Sega tipik, Stephanie Tamby Lai, directrice de Le Morne Heritage Trust Fund, et Philippe de Magnée, ingénieur du son qui enregistre depuis 50 ans des albums d’artistes traditionnels et créateur du site Patrimoine musical de l’ocean Indien.

sega tipik_3.jpg

Jean Frédéric Triton qui souhaite avant tout se produire sur scène avec le «sega tipik».

Lancement d’un CD en mai

Dans l’après-midi du 18 mai au Morne, est prévu le lancement d’un album de sega tipik enregistré par l’ingénieur du son Philippe de Magnée. Au cours de la soirée, il y aura un spectacle regroupant toutes les formations membres de Lasosiasion Pratikan Sega Tipik. Cette association a vu le jour après l’inscription du sega tipik sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2014. Lasosiasion Pratikan Sega tipik a été lancée le 5 juillet 2017 au jardin de la Compagnie. «Lors des consultations, nous nous sommes rendus compte à quel point l’Unesco insiste pour que soit prise en compte la parole des pratiquants», a expliqué Alain Muneean, secrétaire de l’association.