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Il était une fois…

Sous la bruine de la Ville lumière, l’âme persiste

14 septembre 2024, 22:00

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  • La route Royale vers 1908.

    La route Royale vers 1908.

  • Vue de l’Hôtel de ville et de la bibliothèque Carnegie. Photo prise du clocher de l’église Sainte-Thérèse.

    Vue de l’Hôtel de ville et de la bibliothèque Carnegie. Photo prise du clocher de l’église Sainte-Thérèse.

  • L’église Sainte-Thérèse. La première messe fut célébrée en décembre 1872.

    L’église Sainte-Thérèse. La première messe fut célébrée en décembre 1872.

  • Le Collège Royal de Curepipe. Ce n’est que le 1er octobre 1912 que fut posée la première pierre du présent bâtiment.

    Le Collège Royal de Curepipe. Ce n’est que le 1er octobre 1912 que fut posée la première pierre du présent bâtiment.

  • Y. Sik Yuen Store, à l’angle de la route Royale et la rue Pope Hennessy.

    Y. Sik Yuen Store, à l’angle de la route Royale et la rue Pope Hennessy.

L’hiver, et cette vieille ville tout imprégnée de bruine, se réveille alors que l’aurore esquisse timidement ses premières teintes grises. Croisant les piétons emmitouflés et encapuchonnés, il traverse la cour déserte de l’église en marchant contre ce vent chargé de pluie. À pas mesurés, il grimpe prudemment l’escalier escarpé qui mène au clocher, édifice emblématique de cette ville jadis appelée Ville lumière. De son observatoire haut perché, un paysage pointillé de pluie, aux contours imprécis, s’offre à lui comme une vieille carte postale chargée d’âge.

Les lourdes cloches sont momentanément silencieuses, en attente d’une joie à célébrer ou d’un deuil à déplorer. Disséminés par le vent tournant, des cris de joie et d’autres expressions d’insouciance lui parviennent des cours d’écoles avoisinantes. Non loin de là, témoins impassibles de ces scènes de vie mille fois répétées, les grands camphriers générationnels de la cure rechignent à jeter leurs feuilles.

Juste en face, de l’autre côté de la rue appelée route Royale, l’Hôtel de ville, avec son lustre d’antan retrouvé, expose fièrement sa nouvelle parure bleue sur fond de grisaille. Du haut de ses marches de pierre, de ses colonnades et de son faste, cet édifice colonial surplombe la place du marché, flanquée de monstrueuses tours semblables à des vaisseaux spatiaux perdus ou abandonnés par une civilisation en manque d’esthétisme. Jouxtant l’Hôtel de ville, la pimpante mairie, et la moins connue, peu fréquentée, bibliothèque Carnegie. Il se mit à prendre des notes, lui qui rêvait d’être artiste peintre. L’absence de talent l’avait toutefois contraint à substituer l’écriture à la peinture, à remplacer la toile par le verbe, le pinceau par les mots. Telle était son ambition.

Heure de faste... avant de sombrer dans le déclin

Observation annotée, cahier de notes sous le bras, il quitta le clocher pour se diriger vers cette route Royale, jadis poumon économique et social de la ville. À première vue, le centre ville n’avait guère beaucoup changé, exception faite de quelques édifices commerciaux modernes qui déton naient singulièrement avec le reste du paysage. En poursuivant son chemin, bien vite son regard s’attrista en voyant l’état pitoyable des lieux. Çà et là, des façades de bâtiments maculées de longues coulées de moisissure, des locaux délabrés, abandonnés, pris d’assaut par la végétation. C’était un jeudi, et beaucoup d’établissements avaient fermé leurs portes, ajoutant à la désolation de l’endroit. Traînant ses pas devant un tel décor, il s’imagina chercheur d’or dans une de ces bourgades brésiliennes abandonnées des orpailleurs.

Pourtant, la ville avait connu son heure de faste et de prospérité avant de sombrer dans le déclin. L’exode d’une certaine composante de la population vers les cieux plus ensoleillés du nord et de l’ouest de l’île avait porté un coup fatal à la Ville Lumière. L’activité économique et sociale n’avait pas tardé à suivre cette transhumance humaine, mettant fin à toute une époque. Revisiter ces lieux exaltait bien naturellement chez lui des souvenirs d’enfance, tels ces noms de rues adjacentes qu’il traversait. Les enseignes et autres noms connus de jadis avaient presque tous disparu, tout comme ces activités qui donnaient au centre-ville son caractère et son énergie (cinéma, salon de coiffure, épiceries, tailleur et autres artisans).

À l’incompréhension de beaucoup de ses concitoyens, il restait néanmoins attaché à la ville de son enfance. Certes, la ville avait perdu son lustre d’antan, mais pas son âme, ni son authenticité. Derrière cette misère aggravée par la rigueur du climat, il y trouvait une richesse qui ne s’achète pas, une richesse synonyme d’humilité et de compassion, une richesse étrangère à toute ostentation. Dans quelques semaines encore, l’été mettrait fin à l’hiver ; et Curepipe retrouvera son ciel bleu délavé pour la plus grande joie de ses habitants.