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Statistiques manipulées : Pourquoi les institutions internationales n’ont rien vu ?
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Statistiques manipulées : Pourquoi les institutions internationales n’ont rien vu ?
Faut-il s’étonner que des statistiques économiques officielles aient été maquillées, voire manipulées, pour offrir à la population un faux sentiment de prospérité économique, comme celles exposées dans «The State of Economy», présenté par le Premier ministre et ministre des Finances le 10 décembre dernier ?
On est tenté de dire oui et non. Oui, sans doute, si l’on se souvient du nombre de fois que des économistes et autres spécialistes de la finance ont fait état, tant dans les colonnes de l’express que sur les plateaux de radio depuis plus d’une année, des chiffres falsifiés du Produit intérieur brut (PIB) et de la croissance. Non, ensuite, en raison notamment de l’ampleur de cette stratégie de window dressing, qu’aurait orchestrée l’ancien régime ces dernières années.
À la faveur d’un audit, la nouvelle équipe de conseillers économiques du Premier ministre, Navin Ramgoolam, a fait éclater au grand jour le mensonge de l’ancien régime sur les principaux indicateurs économiques, plaçant Maurice comme l’un des rares pays dans le monde à s’être livré à un «deliberate triming and cooking of data».
Alors que le ministre des Finances sortant, Renganaden Padayachy, voyait un «boom économique» se profilant à l’horizon à la veille des dernières élections et faisant miroiter à la population les fruits d’une croissance de 6 % à 6,5 % pour les cinq prochaines années et un PIB atteignant Rs 800 milliards d’ici 2025, la réalité des chiffres vient de prouver le contraire. À savoir que la croissance aura été grossièrement surestimée et que le taux réel, tel qu’il figure dans le rapport, est de 5,1 % en 2024 et un PIB révisé à la baisse à Rs 698,5 milliards, loin de l’estimation de Renganaden Padayachy de Rs 734 milliards en septembre 2024 et très loin des Rs 800 milliards de 2025.
En attendant que le ministre des Finances sortant vienne commenter cet audit du bureau du Premier ministre et de démolir, si besoin est, le fondement même de ce constat économique, somme toute accablant, on est tenté de se demander comment les institutions internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) ou des agences de notation, telles Moody’s et Standard & Poor’s, n’ont pas été interpellées par des statistiques manipulées et les ont incluses dans leurs rapports et autres analyses économiques sur Maurice sans se poser des questions.
Le Premier ministre semble avoir donné un début de réponse, lors de sa conférence de presse samedi, affirmant que ces agences travaillent sur la base des données officielles fournies par Statistics Mauritius (SM), convaincues qu’elles sont à la base «reliable». Sans doute oui.
Azad Jeetun, statisticien de formation, auteur de plusieurs analyses sectorielles chiffrées et ex-directeur général de la MEF, pousse la réflexion plus loin et rappelle le langage souvent diplomatique des experts dans leurs rapports. «Même si le chef de l’enquête d’une de ces institutions n’est pas d’accord avec certaines statistiques compilées, il va partager ses appréhensions en privé avec les autorités mais jamais en écrit.»
Sameer Sharma, économiste et banquier international, s’appuie sur son expérience d’expert financier pour souligner qu’une agence comme Moody’s se base généralement sur les statistiques standardisées du FMI pour rédiger son rapport. «Maurice n’est pas encore un élève du FMI. Le traitement des statistiques aurait été différent si le pays était dans un programme d’assistance financière. Ses experts auraient décortiqué les chiffres avec une plus grande vigueur, les questionnant et signalant tout dérapage.» Autre raison avancée : Maurice n’émet pas pour financer sa dette des Euro Bonds, qui exigeraient une notation de Moody’s, donc une analyse plus poussée de ses paramètres économiques pour rassurer les potentiels acheteurs étrangers.
Quid d’institutions locales comme Business Mauritius, dont le CEO, Kevin Ramkaloan, siège sur le board de SM. Pourquoi se réveille-t-il maintenant et se dit choqué des statistiques falsifiées du rapport sur l’état de l’économie ? «Une telle analyse aura pris en compte des données granulaires, des données auxquelles nul ne peut avoir accès par le biais du Statistics Board. Pour les commentaires et analyses de Business Mauritius, nous sommes tenus de nous appuyer sur les informations qui proviennent d’institutions existantes», répond le no 1 de l’instance suprême du secteur privé.
Rôle du board de SM
Par ailleurs, Kevin Ramkaloan tient à faire la distinction entre le board et SM, qui opère comme un département du ministère des Finances. Et il précise que le board «est principalement responsable de la coordination des données, de la protection de la qualité de celles-ci, de l’adhérence aux meilleures pratiques concernant l’accessibilité ainsi que l’intégrité de ces données». De plus, le board, dit-il, est habilité à analyser les chiffres venant de SM, de la Banque de Maurice, de la Financial Services Commission et du ministère de la Santé, et non des finances publiques, qui ne tombent pas cependant sous sa responsabilité.
Jusqu’où SM, comme une institution indépendante, peut-elle résister aux pressions ministérielles ? En juillet 2021, son ex-chairman, Gilbert Gnany, aujourd’hui Chief Economist au PMO, avait dû céder son poste en raison des pressions du Trésor public. «Le directeur est un fonctionnaire. Est-ce qu’il peut refuser un ordre du ministère des Finances pour revoir une projection de croissance en sachant qu’une telle démarche pourrait entraîner des conséquences désastreuses pour sa carrière professionnelle. C’est ça la question», soutient Azad Jeetun.
Il faudra voir comment The State of the Economy, qui a dévoilé ces statistiques maquillées précipiterait le downgrading de la notation de Maurice. D’ores et déjà, les premiers commentaires de Moody’s sont loin d’être rassurants. «The audit’s findings will slow the pace of fiscal consolidation, leaving Mauritius’s debt burden and debt affordability metrics weaker than other Baa3 rated peers”, écrit l’agence de notation américaine lundi. On comprend bien que la décision de rendre officiel ce document, qui a divisé le gouvernement, ait été motivée par un souci de transparence de la part du tandem Ramgoolam / Bérenger pour bien montrer que la caisse est vide et que ce qui a été proposé comme 14e mois, c’est l’extrême limite. Ce, sur la base d’une économie à genoux.
Sameer Sharma estime que malgré l’assurance de Navin Ramgoolam de tout faire en vue d’éviter un downgrading de l’économie, il y a une chance sur mille que le pays en soit épargné. «Cela a été une mauvaise décision de rendre public ce rapport. On aurait pu retarder cette échéance et négocier entretemps avec les pays amis et le FMI pour un audit des finances publiques en fixant une clean sheet. Les Seychelles sont passés par là et se redressent.»
Reste la question de professionnaliser les services de SM et éviter que les statisticiens ne soient l’otage des ministres, hier comme aujourd’hui. L’institution d’un conseil économique consultatif indépendant, calqué sur le modèle indien, pour conseiller le gouvernement et, accessoirement le Premier ministre, sur les grandes orientations économiques, mais aussi pour détecter toutes les failles dans la gestion économique, pourrait être une piste à explorer. Business Mauritius propose, de son côté, plusieurs solutions pour régler cette problématique. «Il faudra permettre l’accès aux données microéconomiques de manière plus transparente et aller plus loin dans nos normes de collecte d’informations», insiste Kevin Ramkaloan.
Alors que l’ex-gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la police à son arrivée à l’aéroport pour malversations financières, d’autres dossiers brûlants s’aligneront en cette fin d’année : MIC, Silver Bank, Pulse Analytics et Menlo Park Ltd, entre autres. Et qui pourraient entraîner d’autres interrogations.
Meilleurs vœux à nos lecteurs
Ainsi s’achève le dernier numéro du «supplément éco» pour 2024. Le prochain sera dans les kiosques le mercredi 15 janvier 2025. Nous en profitons pour remercier chaleureusement nos fidèles lecteurs et internautes de nous avoir accompagnés tout au long de cette année. Et nous vous souhaitons à tous ainsi qu’à nos placiers un Joyeux Noël et une Bonne année 2025.
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