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Questions à...
Stephan Rezannah: «Il n’y a jamais eu de réflexion sur l’avancée de notre seggae»
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Questions à...
Stephan Rezannah: «Il n’y a jamais eu de réflexion sur l’avancée de notre seggae»
Stephan Rezannah, fondateur du label Kingston Seggae.
Stephan Rezannah nous présente un nouveau label dont le but est de promouvoir le seggae à l’international.
Après avoir fondé Jorez Box et Momix, vous venez maintenant avec Kingston Seggae. Comment cette idée vous est-elle venue ?
L’idée de ce projet est née lorsque nous finalisions l’album de Blakkayo, Soz Seyre. En 2021, Veer Dhaniram, ingénieur du son de Stephen Marley (NdlR, fils de Bob Marley et plusieurs fois lauréat du Grammy Award) et des Marley Brothers, a collaboré sur l’album, notamment sur le titre 6 AM de Blakkayo et Jason Heerah. Veer Dhaniram a mixé ce morceau aux États-Unis. Lors de cette collaboration, nous avons réfléchi à l’état du seggae. Nous avons conclu que, bien que le talent et la créativité soient présents, la qualité du son, notamment au niveau du mastering et du mixage, n’est pas à la hauteur des standards internationaux. Sur certains réseaux, ça passe, et sur d’autres, non. À l’international, les mixages et le mastering sont réalisés dans des studios spécialisés.
À Maurice, nous n’avons pas de tels studios.
Travailler avec Veer Dhaniram nous a montré une méthodologie différente, répondant à des normes professionnelles. Avec Davin Veerasamy, Mauricien travaillant également avec Stephen Marley et les Marley Brothers, nous avons réfléchi à comment faire avancer le seggae. J’ai alors compris qu’il fallait créer un nouveau label, et c’est ainsi que Kingston Seggae a vu le jour. Kingston Seggae n’a rien à voir avec Jorez Box ; ce n’est pas une filiale mais une nouvelle identité, une nouvelle structure.
Comment Kingston Seggae est-il en train de se construire ?
Ce label travaille sur la promotion du seggae à l’international en collaboration avec des Américains et des Jamaïcains. En juillet, je me suis rendu à Miami et en Jamaïque pour dix jours. À Miami, car l’équipe de production de Stephen Marley y est basée. Ensuite, nous sommes allés à Kingston, en Jamaïque, où nous avons visité sept studios. Nous avons également rencontré plusieurs artistes, producteurs et musiciens de Stephen Marley, ainsi que ceux de Koffee, Capleton et Chronixx. Nous avons discuté du seggae avec eux, leur avons fait écouter le genre, et les avons encouragés à travailler sur le rythme 6/8 du seggae. Nous avons aussi réfléchi à la sonorité que nous voulions mettre en avant dans ce projet. Certes, il s’agit d’un label travaillant sur le seggae, mais nous voulons mettre en avant la qualité sous tous ses aspects, du début à la fin. Nous avons travaillé sur le modèle du label, son fonctionnement et l’équipe qui le constituera.
En mettant ce projet sur pied, qu’avez-vous appris ?
En m’investissant dans ce projet, j’ai constaté que notre méthode de travail n’a rien à voir avec celle des autres. Par exemple, pour l’album de Blakkayo, cela nous a demandé quatre mois de travail en studio, avec les frais de location du studio pendant cette période. Là-bas, ils m’ont dit qu’aucun artiste ne travaillait de cette façon. Ils expliquent qu’avant d’entrer en studio, tout le travail doit être préparé en amont. Que ce soit au niveau des studios ou de leur méthodologie de travail, tout est différent. À titre de comparaison, si on parlait du football, je dirais qu’ici nous sommes dans la cinquième division de la ligue anglaise et là-bas, la première division. On s’est rendu compte que si on n’arrive pas à avoir le même résultat qu’eux, c’est parce que tout ce qu’on fait est différent. Je ne dis pas que la méthode que nous avons n’est pas bonne, mais que, pour un meilleur résultat, il y a des choses à changer, à appliquer. On ne peut plus se contenter d’enregistrer un morceau et de faire une vidéo ; il faut tout un travail de promotion après. Depuis le décès de Kaya, il s’est passé 25 ans. Et où en est le seggae aujourd’hui ? Certes, il se retrouve en tant que tel à Rodrigues ou aux Seychelles, mais après ? Pena nanie. Il faut aussi comprendre que quand on va jouer pour la diaspora mauricienne à l’étranger, la promotion musicale reste communautaire et n’est pas internationale. Il y a quelques artistes qui ont pu participer à des festivals internationaux. C’est vrai qu’ils ont fait voyager la musique, mais la plupart du temps ce ne sont pas des tournées, et il n’y a pas de grand travail de distribution et de promotion derrière. Et si la qualité ne répond pas à une exigence internationale, ils n’iront pas plus loin.
Vous voulez dire que le seggae a stagné ?
Je ne dis pas qu’on a stagné, mais que si on évolue, on évolue à la vitesse d’une tortue. Un coup d’œil à ce qui se passe dans le monde : on trouve qu’en 25 ans, l’afrobeat a connu une expansion mondiale, de même que le reggaeton et le K-pop. Ce qu’on doit reconnaître, c’est que durant 25 ans, il y a eu des artistes qui ont continué à faire du seggae et à garder vivante cette musique. Mais il y a une différence entre la garder vivante et la faire épanouir. Depuis 25 ans, il n’y a pas de seggae qui ait été classé sur un chart international. Je dis du seggae qu’il est apathique. On est resté sur nos acquis. Je pense que si on en est arrivé là, c’est parce qu’il n’y a jamais eu de réflexion sur comment faire évoluer le seggae ; on a juste travaillé sur sa survie, mais rien de plus. On s’est rendu compte qu’avec l’album de Blakkayo, c’était une entrée vers l’international, mais qu’il faut encore du travail.
Justement, en parlant du travail, comment Kingston Seggae va-t-il procéder et quels sont les artistes mauriciens avec qui vous allez travailler sur ce nouveau label ?
On n’a pas de distributeur américain ou jamaïcain qui écoute la musique de Maurice et la distribue. Pourquoi Kingston Seggae va-t-il travailler avec ces gens en Jamaïque et aux ÉtatsUnis ? C’est parce qu’aujourd’hui, la musique est digitale et la compétition est là. Oubliez le CD, tout se passe sur le digital aujourd’hui et il y a autour toute une stratégie. La question est : comment fait-on pour augmenter le nombre de streams et toucher les zones hors de la diaspora ? Il faut déjà que les morceaux présentés soient compétitifs en termes de qualité, et puis, il faut travailler sur le réseau de distribution et ne pas rester que dans la zone européenne. Le groupe de réflexion autour de Kingston Seggae inclut Davin Veerasamy, Veer Dhaniram et Gregory Morris, qui est Jamaïcain, et moi. Ce qui fait de Kingston Seggae un label international. Et durant notre visite en Jamaïque, nous avons déjà vu les aspects de communication, trailer, photos et vidéo du projet. Le premier artiste avec qui nous avons décidé de travailler est Murvin Clélie de The Prophecy. Nous l’avons choisi car, quand nous avons pris connaissance des conditions et des exigences requises, nous avons trouvé que Murvin Clélie a les qualités qu’il faut. Il a la compréhension musicale, et la possibilité d’écrire et de chanter en anglais, entre autres. Le morceau qu’il écrira ne sera pas 100 % en anglais ; il sera en créole et en anglais. La réflexion tourne autour de ce dont on a besoin pour toucher une plus large audience et entrer dans des réseaux auxquels nous n’avons pas encore accès. Quand j’ai demandé aux gens là-bas où ils classent le seggae, ils disent que c’est de la World Music et que ce n’est pas du reggae. Il faut donc voir comment on peut faire pour qu’il soit classé dans l’univers du reggae. Et comme je l’ai dit, il y a tout un travail autour, sur lequel on s’attelle. Outre Murvin Clélie, nous pensons aussi à d’autres artistes. Le titre sur lequel nous allons travailler avec Murvin Clélie devra voir le jour vers la fin de cette année. Rien que le travail à faire sur le son va durer six mois. Nous comptons repartir pour la Jamaïque en mars de l’année prochaine et, en vingt jours, nous ferons l’enregistrement, les photos, les vidéos et le trailer, entre autres. Et pour que cela soit possible, le gros du travail doit être fait en amont.
Quel est le budget pour un tel projet ?
Je ne peux pas donner de chiffre exact, mais je peux vous dire qu’il est conséquent, parce qu’à l’exception de la maquette, tout se fait en Jamaïque et aux États-Unis. Il ne dépasse toutefois pas les Rs 10 M. Nous allons aussi travailler avec des personnes connues et des studios de qualité. On a choisi le gratin. On va travailler avec trois ingénieurs du son qui travaillent avec Stephen Marley, Marley Brothers, Kapleton et Chronixx, entre autres. Ce projet va vraiment mettre Maurice sur la carte du monde musical en touchant des réseaux comme les États-Unis et la Jamaïque. Ce projet aura beaucoup d’impact et je pense que la Mauritius Tourism Promotion Authority devra nous suivre à la même hauteur qu’elle a suivi d’autres projets musicaux. On lance aussi un appel aux compagnies privées. C’est la première fois que notre seggae aura autant d’impact aux États-Unis et en Jamaïque. La musique peut être un vecteur de promotion de notre pays à l’international. Il n’y a qu’à voir l’impact du K-pop dans le monde. Cela a été possible car les Sud-Coréens ont cru dans ce projet. Il est temps que nous aussi nous croyions dans notre musique.
Veer Dhaniram, Stephan Rezannah, Gregory Morris et Davin Veerasamy.
Bob Marley Museum.
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