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Sur les pas de Lutchmeenaraidoo

14 février 2024, 09:10

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Jusqu’ici, Pravind Jugnauth, avec sa double casquette de Premier ministre et de leader du MSM, détenait quasiment toutes les cartes électorales en main. Sa façon d’en parler trahissait sa supériorité. Avec la démission de Vikram Hurdoyal hier, la donne a changé, le calendrier est devenu plus compliqué pour lui et son équipe. Une partielle au n°10, avant les générales, paraît problématique en cette année électorale. Si le pouvoir perd en région rurale, cela pourrait provoquer un effet domino tout au long de la ceinture 4-14. C’est pour cela que ses conseillers ont déjà commencé à lui dire : le plus vite que se tiennent les prochaines législatives, de préférence, mais pas obligatoirement, après le cinquième Budget de Renganaden Padayachy, le mieux ce sera pour le Sun Trust.

Le cas de Vikram Hurdoyal nous rappelle un peu celui de Vishnu Lutmeenaraidoo en 2019.

Dans les tragédies grecques, le chant du cygne s’avère la dernière oeuvre de quelqu’un avant de mourir.

Vishnu Lutchmeenaraidoo, qui aimait évoquer la possibilité de «Black Swan» (qui décrit un événement imprévisible), savait fort bien qu’il n’allait pas, à 74 ans, rempiler lors des législatives de 2019.

Au lieu de partir se reposer sur la pointe des pieds, Lutchmeenaraidoo avait choisi la confrontation à trois mois de la présentation du dernier discours du Budget de la première législature du gouvernement Lepep d’alors. En cette année électorale, il est venu chambouler la campagne, en faisant bien comprendre que s’il n’y avait pas eu de «deuxième miracle économique», ce n’était nullement de sa faute, mais celle de Pravind Jugnauth, alors ministre des Finances et Premier ministre. Personnage flamboyant, quelque peu diminué par l’âge, la maladie et le scandale de l’or, Lutchmeenaraidoo nous avait joué une tragi-comédie en trois actes. Retour sur sa pièce de théâtre en trois actes qui peuvent éclairer le geste d’Hurdoyal à quelques égards.

● Acte 1 - mars 2015 : Un quart de siècle après son dernier Budget, le tandem sir Anerood Jugnauth- Vishnu Lutchmeenaraidoo veut frapper, à nouveau, les esprits. Malgré une faible marge de manoeuvre économique, le gouvernement Lepep maintient plusieurs de ses promesses électorales (l’abolition de la taxe de 10 sous sur les SMS, la dissémination des bornes Wi-Fi, l’annonce de construction de logements sociaux plus décents). Au coeur du Budget 2015-2016, la notion du «partage». La logique est la suivante : seule une répartition équilibrée des richesses peut assurer la «paix sociale». Lutchmeenaraidoo veut jeter les bases d’une organisation sociale plus juste, qui se place au chevet des plus vulnérables de la société, tout en restant dans le cadre de la démocratie libérale. Autre fait notable : la main tendue vers le privé – outre les six «méga projets» annoncés –, Lutchmeenaraidoo ambitionne de planter le concept de «valeur partagée» et veut, par ailleurs, en finir avec cette tendance vers une «nasion zougader». Août 2015 : l’économie change de capitaine. SAJ prend les devants, Vishnu assiste dans la salle à la présentation de l’Economic Mission Statement. SAJ dit ceci : «History is not written by prophets of gloom and doom. It is written by achievers (…) As a Prime Minister, I am not here to make promises. I am here to say to the Nation that the second economic miracle is well within our reach.»

● Acte II - 6 avril 2017 : La Une de notre édition du jeudi 6 avril 2017 (une année après que l’affaire avait été ébruitée mais contenue) provoque une conférence de presse de l’ancien ministre des Finances, recasé depuis aux Affaires étrangères, après sa malheureuse demande d’emprunt à la State Bank pour spéculer sur l’or. L’express est expulsé d’une conférence de presse par un Lutchmeenaraidoo hors de lui. SAJ veut faire croire que le gouvernement n’est pas déstabilisé, que ce «mini-remaniement» est du «business as usual». Bref, que c’est un problème de santé de Lutchmeenaraidoo, et non l’euro-loan, qui a provoqué sa révocation des Finances. Mais le «pétage de plombs» de Lutchmeenaraidoo en dit long sur le moral de l’homme qui se sent attaqué par ses propres pairs.

● Acte III - mars 2019 : Lutchmeenaraidoo s’est replié sur lui-même, sur sa vie intérieure. Son concept de diplomatie économique n’était pas compris ou suivi par le reste du gouvernement. Il s’était éloigné de son fameux triangle de piliers nouveaux (le port, l’océan et le continent africain) et de la philosophie de Kierkegaard : «L’homme véritablement extraordinaire est le véritable homme ordinaire.» L’avenir, insiste Lutchmeenaraidoo, est un ensemble de possibilités vers lesquelles il faut tendre, «l’avion doit décoller malgré les vents contraires».

Incapable de réaliser ce deuxième miracle, Lutchmeenaraidoo avait choisi, un jour de Holi, pour compliquer la donne de ceux qui ont fait de son rêve d’accéder de nouveau au pouvoir un cauchemar. Aujourd’hui, cinq ans plus tard, c’est Hurdoyal, davantage, dans sa démarche, Lutchmeenaraidoo que Collendavelloo, qui donne des maux de tête à Pravind Jugnauth, en prenant ses distances de la politique.