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Workers’ Rights Act
Télétravail et droit à la déconnexion sous le microscope
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Workers’ Rights Act
Télétravail et droit à la déconnexion sous le microscope
Les employeurs devront maintenant payer une indemnité de dérangement pour les heures travaillées en dehors des périodes protégées par le droit à la déconnexion.
Depuis la pandémie de Covid-19, le télétravail est devenu la norme dans de nombreux pays, y compris à Maurice. S’il offre des avantages certains aux employeurs comme aux employés, il pose quand même des défis qui seront abordés dans les amendements à la «Workers’ Rights Act» par le «Finance (Miscellaneous Provisions) Bill» 2024. Employeurs et syndicalistes s’expriment à ce sujet.
Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ont adopté le télétravail – entre trois et cinq jours par semaine – qui leur permet de réaliser des économies substantielles sur les coûts d’électricité, d’internet, de transport et d’autres frais opérationnels. Pour les employés, le télétravail offre des avantages significatifs : il facilite la gestion de la vie familiale et évite les longues heures dans les embouteillages. Cependant, cette flexibilité a un revers. Beaucoup de télétravailleurs n’ont pas été compensés pour les frais supplémentaires d’électricité, d’internet et de leur équipement informatique. De plus, certains continuent à travailler au-delà des heures normales sans rémunération supplémentaire.
Face à ces défis, la Workers’ Rights Act sera amendée par le Finance (Miscellaneous Provisions) Bill 2024 pour introduire de nouveaux droits pour les télétravailleurs, dont le droit à la déconnexion en dehors des heures de travail et une rémunération pour des conditions exceptionnelles. D’autres amendements prévoient des améliorations pour encadrer le télétravail. Le droit à la déconnexion permettra aux employés de se détacher des exigences professionnelles – courriels, appels téléphoniques et visioconférences – durant leurs périodes de repos. Les horaires protégés seront de 13 heures le samedi à 6 heures le lundi matin et de 22 heures à 6 heures en semaine. Néanmoins, les employés devraient travailler pendant ces heures en cas d’urgence ou si leurs fonctions exigent de se conformer aux horaires du marché qu’ils servent. Ils percevront alors une indemnité de dérangement équivalente à leur taux horaire pour chaque heure travaillée durant ces périodes. La mesure concerne tous les travailleurs, sans distinction de niveau salarial.
Selon Atma Shanto, négociateur de la Fédération des travailleurs unis (FTU), cette décision de déconnexion durant les heures non sociables est une imposition sur les travailleurs, alors qu’ils ont le droit de donner leur avis sur toute décision affectant leur vie. «Le travailleur doit pouvoir décider et non qu’on lui impose.» Cette décision perturbera, dit-il, la vie du travailleur car l’employeur prendra le contrôle de sa vie. Il pense que le gouvernement a pris cette décision pour se conformer au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, bien qu’elle soit à l’encontre des travailleurs. Par ailleurs, Jack Bizlall affirme que «la liberté de travailler est un droit fondamental du citoyen» et que personne n’a le droit de décider pour lui. «Tant que cette liberté n’est pas touchée, une personne est libre de travailler ou non.» Il estime que cette décision est contraire à la liberté humaine, particulièrement lorsque l’État décide. Il craint que la déconnexion durant les heures non sociables favorise, par exemple, plus de consommation et que cette décision «populiste» va plutôt restreindre la liberté humaine.
Selon une source du ministère du Travail, les nouvelles régulations exigent des employeurs qu’ils couvrent plusieurs dépenses des télétravailleurs, qui devront désormais être remboursés pour l’électricité, l’eau, les télécommunications et autres installations nécessaires à leur travail à domicile. Les frais d’entretien des équipements fournis par l’employeur devront également être pris en charge. «Les autres frais professionnels, définis en accord avec l’employeur, seront également remboursés. Les montants à rembourser seront fixés par un accord entre l’employeur et le télétravailleur et devront être réglés mensuellement.» Selon notre source, cette mesure vise à garantir une compensation équitable pour les dépenses liées au télétravail, favorisant ainsi une parité entre le travail à domicile et en entreprise.
Absa Bank soutient la formalisation du droit à la déconnexion
Les banques, les TIC/BPO (technologies de la communication et de l’information/Business Process Outsourcing) et la communication sont des secteurs qui favorisent le télétravail grâce à leur flexibilité et à leur infrastructure numérique avancée. Le télétravail permet une meilleure conciliation travail-vie personnelle et réduit les coûts liés aux bureaux physiques. Cependant, le droit à la déconnexion et la rémunération pour des conditions de travail exceptionnelles peuvent poser des défis : la gestion des heures supplémentaires devient complexe et les coûts peuvent être élevés. Dans une interview accordée l’année dernière à notre édition économie de l’express, Yogen Soobarah, Head of People & Culture chez Absa Bank, avait mis en avant la nécessité d’instaurer un «droit à la déconnexion». «Nous avons exprimé ce besoin l’année dernière et nous accueillons avec satisfaction les propositions de modification de la Workers’ Rights Act concernant ce droit.»
Il explique que les outils numériques envahissent désormais toutes les facettes de notre quotidien, entraînant une disponibilité perpétuelle des salariés. Cette pression pour rester constamment connectés peut conduire à un surengagement et à l’épuisement professionnel, souvent appelé «burnout». «Chez Absa Bank, nous croyons fermement que le bien-être organisationnel nécessite de remettre en question la culture de la connectivité permanente. Nous aspirons à offrir un environnement où nos employés se sentent soutenus, tout en maintenant une séparation saine entre le travail et la vie personnelle.»
Le télétravail, atout pour la cohésion d’équipe et l’équilibre vie-travail
Chez Absa Bank, environ 20 % des employés travaillent à domicile de manière régulière, selon un système de rotation établi en concertation avec leurs managers. Ce modèle hybride, qui allie télétravail et présence en bureau, est vanté pour sa capacité à renforcer le collectif et le sentiment d’appartenance au sein de l’équipe. «Nous nous assurons que nos collaborateurs disposent des outils nécessaires et du soutien requis pour maintenir une performance élevée et une collaboration efficace, peu importe où ils travaillent», souligne notre interlocuteur. «Le travail à distance nous permet d’attirer des talents de divers horizons géographiques, enrichissant ainsi notre réserve de talents avec une diversité accrue», précise-t-il.
Il ajoute que cette flexibilité des conditions de travail favorise l’égalité des genres en permettant une meilleure conciliation entre responsabilités professionnelles et familiales. En période de conditions météorologiques extrêmes, comme les fortes pluies et les inondations, les employés peuvent travailler de chez eux sans le stress de devoir gérer une situation familiale d’urgence. «Les nouvelles mamans bénéficient également de cette flexibilité de travailler à distance après leur congé maternité, facilitant ainsi leur retour au travail tout en restant disponibles pour leur famille. Cette approche est également avantageuse pour ceux confrontés à d’autres contraintes familiales, leur offrant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.»
Jenny Chan : «les heures non sociables varient selon la personne»
L’un des secteurs qui pourrait être affecté par cette décision est celui des TIC/BPO dont les horaires correspondent à ceux du marché desservi. Selon Jenny Chan, présidente de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (OTAM), «les heures non sociables varient selon la personne», qui peut décider de son horaire de travail et de sa pause. Une personne qui travaille en rotation n’aura pas la même définition du droit à la déconnexion qu’une personne qui travaille sur des horaires fixes. S’il fallait suivre la décision du Finance Bill avec des spécifications fixes, cela affecterait des travailleurs qui veulent être plus flexibles, surtout dans les TIC/BPO. «Le droit à la déconnexion est une bonne chose mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier.»
Jenny Chan mentionne qu’aujourd’hui, le client est très exigeant et a beaucoup de choix pour aller là où il veut étant donné les options existantes. Le télétravail est devenu une norme dans le secteur des TIC/BPO dans plusieurs entreprises à Maurice. «Les entreprises sont au courant qu’il faut prôner l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Évidemment, il existe le droit à se déconnecter. Il faut savoir que nous travaillons dans le secteur offshore et que nos clients sont dans différents fuseaux horaires. Il faut donc se préparer à être flexible afin d’être disponible pour les clients dans ces fuseaux horaires. De ce fait, la flexibilité continue, sur le site ou à la maison.» Avant le télétravail, les gens travaillaient en rotation et prenaient leurs pauses à une certaine heure, contrairement à aujourd’hui où ils sont plus flexibles pour leurs pauses.
Commentant cette mesure, une spécialiste de la recherche médicale, employée par une entreprise internationale dans les Plaines-Wilhems, estime que son impact sera minime. «Le projet de loi semble bénéfique uniquement aux personnes dont les heures de travail normales correspondent aux ‘heures non sociables’ en raison des marchés étrangers auxquels elles fournissent des services. Il ne traite pas encore des problèmes généralisés de perturbations liées au travail au-delà des heures de travail quotidiennes ou hebdomadaires convenues. Par exemple, dans le cadre d’une semaine de travail de 8 heures à 17 heures, du lundi au vendredi, le projet de loi impliquerait qu’il est toujours considéré comme acceptable pour un employeur d’attendre des employés qu’ils restent connectés au travail ou aux communications liées au travail au-delà de leurs heures de travail normales convenues, tant que ces tâches ou communications sont envoyées avant les ‘heures non sociables’», explique-t-elle.
Elle estime que l’impact serait minimal pour la majorité des personnes qui travaillent de chez elles. «Bien que les opérations et calendriers puissent varier d’une industrie à l’autre, il semble que les ‘heures non sociables’ proposées ne concerneraient pas la majorité des personnes travaillant de chez elles. Pour de nombreux télétravailleurs, ces créneaux horaires restreints signifient que les demandes de travail supplémentaires seraient probablement plus fréquentes avant 22 heures, réduisant ainsi l’impact potentiel de cette nouvelle loi.» Par ailleurs, elle note que les nouvelles lois sur le télétravail ne répondent pas aux préoccupations concernant les charges de travail incontrôlées et croissantes dans un contexte où il est difficile de suivre les heures de travail et d’assurer le paiement des heures supplémentaires.
Les initiatives mondiales
Le droit à la déconnexion se répand à l’échelle mondiale pour équilibrer les exigences du télétravail et la vie personnelle des employés. En France, les entreprises de plus de 50 salariés doivent mettre en place des accords pour limiter les sollicitations en dehors des heures de travail. L’Allemagne et l’Espagne intègrent ce droit dans leur loi sur le travail flexible, garantissant un meilleur équilibre entre travail et vie privée. Le Portugal a récemment renforcé ses mesures pour protéger les travailleurs de communications professionnelles intempestives. En Italie et en Belgique, des accords collectifs favorisent également le respect des périodes de repos. Ces initiatives visent à prévenir le burnout en établissant des limites claires entre le travail et le temps de repos, contribuant ainsi à une meilleure qualité de vie et à un environnement de travail plus sain à l’ère du télétravail.
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