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Madagascar

Terre d’une beauté brute

19 novembre 2024, 16:00

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En traversant Madagascar, terre de contrastes et d’une beauté brute, vous serez immergé dans un récit car chaque paysage et chaque visage racontent une histoire. De Tananarive à Morondava, ce voyage résonne comme une quête, oscillant entre l’émerveillement face à une nature puissante et des réalités humaines marquées par la misère et la résilience. Madagascar dévoile son âme, entre traditions, simplicité et une réflexion profonde sur nos certitudes.

Chaleur étouffante, poussière ocre virevoltant sous le vent, anciens panneaux publicitaires au papier arraché… Voilà Tananarive, qui m’accueille, dix années après une première rencontre en 2014. Rien n’a changé, pourtant, tout semble différent.

Tana, cette vaste terre aux mille nuances, s’étend comme un patchwork de terrasses verdoyantes où se mêlent plantations et habitations accrochées aux flancs des collines tandis que les zébus vagabondent sous le regard éveillé de leurs gardiens. En même temps, le centre-ville reste toujours paré de ses foules, surtout des femmes et des enfants, hagards sous le voile de la misère – ceux qui d’un geste las frappent aux fenêtres pour un sou, ceux qui courbés se lavent dans les eaux ternies de la rivière ou fouillent dans les ordures, peut-être pour trouver de quoi manger ! Or, attention – maintenant surgissent aussi des Ford Raptor rutilantes, des bars raffinés, de belles et grandes maisons, des édifices corporate, des restaurants gastronomiques et de beaux hôtels; bref la belle vie.

Il faut le dire, ces premières heures ici laissent l’âme perplexe. Il est donc temps de prendre la route, celle qui mène à Morondava avec ses majestueux baobabs millénaires, dressés comme des sentinelles du temps, ses villages de pêcheurs empreints de traditions – la grande aventure appelle, impatiente !

15 heures de route et d’émotions vers Morondava

C’est aux premières lueurs du jour que commence notre périple vers l’ouest de la Grande île, guidé par un jeune Malgache à l’esprit vif, qui sera notre chauffeur, notre guide et notre compagnon de route. Déjà, il nous avertit avec un sourire espiègle : «Accrochez-vous, les routes ici ne sont pas pour les faibles !» Un sourire qui cependant cache des vérités plus amères : «Ici, l’État ne se soucie que d’offrir nos richesses aux étrangers, qui reviennent, de plus en plus nombreux. Mais c’est comme ça – pour un T-shirt, une cuvette, les plus pauvres vendent leur voix et après… nous restons dans notre misère.»

C’est malgré tout, gaillards et prêts pour l’aventure, que nous prenons la route vers Ampefy et ses fameux geysers – terre d’argile blanche, verte et rouge, où les enfants jouent dans l’eau bondissante, où les adultes savourent un bain naturel – comme au spa, et certains respirent le soufre, jurant que cela fait du bien. La vie semble douce ici, dans ces paysages somptueux : rivière cristalline, cascade, montagnes et nature luxuriante. Et pourtant, ils sont là, ces femmes qui offrent un massage des pieds pour quelques sous et ces enfants qui vous courent après pour vendre de l’argile séchée, murmurant d’une voix timide : «10 000 Ariary Madame, pour la participation…» Nous faisons halte au restaurant La Terrasse, où la patronne nous assure, avec sérieux, que rien n’est impossible : quoi que l’on souhaite manger ou boire, elle saura le trouver.

Antsirabe : entre désenchantement et petits progrès

Et c’est à Antsirabe que nous passerons la nuit. Ville industrielle, elle semble avoir perdu de son éclat d’antan. «C’est le fief de l’opposition ici. Il n’y a donc plus trop de développements, malgré les usines qui tournent», nous dit-on. En effet, la ville paraît encore coincée dans le temps, avec un certain charme je l’avoue, en raison de ses quelques bâtisses coloniales mais elle reste négligée, terne, comme abandonnée.

Cependant, j’ai été agréablement surprise de constater que les tireurs de pousse-pousse, qui, il n’y a pas si longtemps, transportaient des hommes comme des sultans grâce à la force de leurs muscles, n’ont pas disparu mais se sont plutôt réinventés. Maintenant, ils adoptent le cyclopousse, qui, peut-être naïvement, donne l’impression d’une dignité retrouvée. Ils jouent le rôle de taxi en pédalant et il est donc plus facile d’accepter certaines réalités, car après tout, ces hommes travaillent dur et obtiennent honnêtement leur argent pour faire bouillir la marmite.

L’aventure des terres oubliées

Mais le véritable périple commence ici ! Nous entamons des heures de routes hors-pistes, serpentant les terres du centre pour rallier Morondava. Cette route est une explosion de couleurs, un enchantement pour les yeux – des terrasses de plantations évoquant l’Indonésie, formant des escaliers où les teintes passent du vert éclatant au brun desséché. Le plus étonnant est que ces contrastes de couleurs sont posés côte à côte, en parfaite harmonie.

Ces régions, bien que dites «non habitées», semblent toujours avoir de la vie; on y croise toujours une silhouette lointaine, un homme suivant ses zébus ou des abris de fortune en paille, sans eau ni électricité, où les gens semblent vivre des décennies en arrière, à chercher l’eau de source pour boire, se baigner, et attendre que la terre leur offre de quoi se nourrir… On y croise une petite fille, je dirai âgée entre huit et dix ans, vêtue d’habits délavés, trop petits pour son corps, qui commence à se développer, qui soulève des sacs de terre comme un homme – le visage maculé de poussière, la peau brunie par le soleil, pieds nus.

Plus loin, les villages apparaissent avec leurs maisons de briques rouges. De modestes structures, certes plus solides, mais toujours précaires. Le bétail dort au rez-de-chaussée, et les habitants, eux, couchent à l’étage. Ici, point d’électricité ni d’eau courante ; la vie, figée dans un autre temps, se tisse d’une résilience silencieuse – on serait pourtant tenté de penser qu’ils vivent peut-être plus heureux que ceux qui mendient du pain dans les rues animées de Tana.

Retournement des morts et arrivée sur la côte de Morondava

En avançant, nous croisons des villages plus développés, où de petites maisons en dur et des échoppes modestes s’alignent. Soudain, une foule s’approche, avançant en dansant et en chantant. Que se passe-t-il ? Apparemment, c’est le «retournement des morts» – un rituel où plusieurs années après un décès, la famille et les amis exhument le défunt, le portent sur leurs épaules en dansant et en chantant. C’est un moment de passage de la tristesse à la joie, une fête solennelle avant de remettre le mort dans le tombeau.

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Passée cette scène inattendue, les premiers baobabs apparaissent quelques heures plus tard, signe que la côte de Morondava approche. Peu à peu, ils deviennent plus nombreux, plus imposants – quel bonheur !

Direction l’Allée des Baobabs, où des géants millénaires nous attendent, chargés de leurs histoires et de fables anciennes, résonnant de traditions et même de romances. Avec leurs troncs massifs et leurs quelques branches élancées, ces arbres se dressent, uniques et majestueux, différents de tous les autres. Nous arrivons enfin au célèbre Baobab Amoureux – deux baobabs entrelacés, porteurs de légendes et d’amour.

Mais l’aventure ne s’arrête pas là – nous arrivons à Kimony et son village de pêcheurs. Ici, chers amis, nous ne sommes pas sur n’importe quelle plage, c’est le canal du Mozambique ! Les pirogues arrivent, débordantes de poissons et de quelques calamars.

Le principe est simple : vous choisissez votre poisson directement, et c’est l’épouse du pêcheur qui endosse le rôle de chef. Elle vous propose de le griller, mais armez-vous de patience car elle le sale avec l’eau de mer, fait brûler du bois sur le sable, et le poisson sera prêt quand il sera prêt. En attendant, profitez des vagues, de l’ambiance décontractée et de Kimony tout simplement.

Encore une fois, ces habitants vivent dans de petites cases en bois et les enfants se lavent à l’extérieur, muni de seaux d’eau – les adultes font de même, en fait. Mais sont-ils pour autant malheureux ? Cela mérite, je pense, une thèse !

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Le centre de Morondava c’est une autre histoire. Calme et en même temps moins calme, on y ressent l’ambiance balnéaire avec des restaurants, des bars et des hôtels, la plupart tenus par des vahaza (étrangers en malgache) ou des Karanes (Indopakistanais malgaches). Ici, les couchers de soleil sont tout simplement incroyables, la température est agréable, et la nourriture, avec des gambas et du poisson frais, est délicieuse.

Les Malgaches côtiers vendent des noix de coco et des huîtres, et certaines se vendent aux hommes, qu’ils soient malgaches ou vahaza. Dans un lieu où le travail fait défaut, où la diversité des métiers et les opportunités d’apprentissage sont quasi inexistantes, il ne reste que la possibilité de vendre ou d’échanger ce que l’on a – un service en échange de quelques sous pour se nourrir, se vêtir et nourrir sa famille. En fin de compte, nous donnons tous ce que nous avons à offrir contre quelques sous : notre temps, notre jeunesse, notre intellect, nos années d’apprentissage. Elles, elles donnent leur corps.

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Le chemin de retour vers Tana laisse un goût sucré de ces beaux paysages et ces contrastes en passant par la réserve des lémuriens où j’ai enfin pu rencontrer le très célèbre roi Julian.

Oui, ici c’est le lieu où tous les préjugés s’effacent, où l’on apprécie la vie et ce que l’on croyait acquis différemment, où l’on revoit sa définition du bonheur comme du malheur, de la richesse comme de la pauvreté, de la beauté et de la froideur, de l’effort, du travail, de la vie elle-même.

Madagascar est un pays de contrastes et d’émotions, un monde à part qui invite à la réflexion et à la redécouverte. Chaque rencontre, chaque paysage est une expérience unique. Ainsi, ce voyage à Madagascar est bien plus qu’une simple exploration géographique ; c’est une immersion dans l’humanité.